Premier pourvoyeur de recettes courantes de la République Démocratique du Congo, la Direction générale des impôts (DGI) traverse une zone de très fortes turbulences, créé à la suite de nombreuses interférences de l’autorité de tutelle, en l’occurrence le ministre des Finances, dans le fonctionnement de cette régie financière. Depuis lors, il s’observe un arrêt dans tous les ressorts de la DGI. Une paralysie qui menace sérieusement la trésorerie de l’Etat en ce moment de grande pression sur les finances publiques liée notamment aux contingences sécuritaires et à l’organisation des élections générales de décembre prochain. Etant donné le langage des sourds qui semble s’installer entre le ministre des Finances et l’intersyndicale de la DGI, un arbitrage du Président de la République s’avère nécessaire pour dégager un compromis entre les parties en conflit. Décryptage d’un bras de fer aux conséquences désastreuses.
«Dura lex sed lex (la loi est dure, mais c’est la loi)», dit-on. Dans un pays qui se dit démocratique, le non-respect de la loi, spécialement dans le domaine fiscal, est assimilable à un crime qui mérite la condamnation populaire.
L’actuelle Constitution de la République Démocratique du Congo stipule en son article 65 : «Tout congolais est tenu de remplir loyalement ses obligations vis-à-vis de l’Etat. Il a, en outre, le devoir de s’acquitter de ses impôts et taxes». En son article 174, la même Constitution dispose : «Il ne peut être établi d’impôts que par la loi. La contribution aux charges publiques constitue un devoir pour toute personne vivant en République Démocratique du Congo. Il ne peut être établi d’exemption ou d’allégement fiscal qu’en vertu de la loi ».
Dans sa sagesse, le législateur a confié la gestion des impôts dans la RDC à la Direction Générale des Impôts (DGI); en ce qui concerne notamment la gestion exclusive des impôts du pouvoir central. C’est ainsi qu’au terme du décret n°017/2003 du 02 mars 2003 portant création de la Direction Générale des Impôts, il est clairement dit à l’article 2 de ce décret ce qui suit : «La Direction Générale des Impôts exerce, dans le cadre des lois et règlements en vigueur, toutes les missions et prérogatives en matière fiscale. Les missions et prérogatives visées à l’alinéa précédent comprennent notamment celles concernant l’assiette, le contrôle, le recouvrement et le contentieux des impôts, taxes, redevances et prélèvements à caractère fiscal. A cet effet, la Direction Générale des Impôts est chargée d’étudier et de soumettre à l’autorité compétente les projets de lois, de décrets et d’arrêtés en la matière. Elle doit être consultée pour tout texte ou toute convention à incidence fiscale ou tout agrément d’un projet d’investissement à un régime fiscal dérogatoire. La Direction Générale des Impôts exerce ses compétences, de manière exclusive sur toute l’étendue du territoire national ».
Cette disposition confirme clairement toutes les compétences exclusives de la DGI, celles-ci vont de l’assiette en passant par le contrôle, le recouvrement et le contentieux des impôts, taxes, redevances et autres prélèvements à caractère fiscal. Le même article 2 atteste le fait que quiconque (y compris le législateur lui-même) a l’obligation de consulter la DGI pour la rédaction de tout texte ou toute convention à incidence fiscale ou tout agrément d’un projet d’investissement à un régime fiscal dérogatoire.
Selon l’esprit et la lettre des réformes engagées au sein de l’administration fiscale pour accroitre les recettes fiscales en RDC, la haute hiérarchie des impôts s’occupe de la politique fiscale du pays, tandis que la gestion au quotidien des impôts relève de la compétence exclusive des directions opérationnelles, à savoir, la Direction des Grandes Entreprises (DGE) qui gère les gros contribuables et mobilise à elle seule plus de 90% des recettes fiscales globales de la DGI; les centres des impôts; les directions provinciales, sièges modélisés et modernisés ainsi que les centres d’impôts synthétiques. En d’autres termes, même la haute direction des impôts n’a pas le pouvoir de gérer l’impôt au quotidien.
Plus loin, l’article 25 de la loi n°004/2003 du 13 mars 2003 portant réforme des procédures fiscales, modifiée et complétée à ce jour par diverses dispositions légales note : «L’Administration des Impôts à le pouvoir exclusif de vérifier, sur pièces ou sur place, l’exactitude des déclarations de tous les impôts et autres droits dus par les redevables, conformément aux dispositions légales en vigueur».
Ce travail exclusif de la DGI se fait au 1er degré, mais aussi au second degré à travers son Inspection des Services (IS), qui fait la contre vérification à l’interne, à la DGI. Il va sans dire que le contrôle au second degré peut aussi se faire exceptionnellement, c’est-à-dire, sur réquisition dérogatoire de l’autorité compétente par l’Inspection Générale des Finances (IGF) ou par la Cour des Comptes (CC), qui sont les deux organes de contrôle supérieur des finances publiques en RDC.
La loi a tout verrouillée
Cette architecture de contrôle est tellement complexe et légale au point qu’aucun autre service, en ce y compris le ministère des Finances, ne peut sous quelque prétexte que ce soit, signer une lettre ou un arrêté mettant en place une quelconque commission de contrôle-qualité soit-elle, pour s’immiscer ou encore s’arroger les prérogatives régaliennes de l’Administration fiscale sans énerver la Constitution ainsi que tous les textes des lois et règlements qui régissent le secteur des finances publiques en RDC.
Improviser ou imposer un contrôle à la DGI que ça soit au niveau de la 1ère direction opérationnelle qu’est la DGE ou sur d’autres directions ou services opérationnels qui gèrent l’impôt auprès des contribuables constitue ni plus ni moins, un véritable crime économique qui peut engendrer des conséquences désastreuses souvent incontrôlables, susceptibles de gripper à tout moment la machine de la maximisation des recettes fiscales. C’est ce qui justifie la levée de boucliers des délégués syndicaux qui invitent le Ministre des finances, Nicolas Kazadi, à revenir à la loi et à la raison, sinon, ils vont déclencher une grève illimitée qui va priver le trésor public congolais des recettes fiscales que mobilise miraculeusement la DGI ce dernier temps.
C’est donc pour éviter ce genre des dérapages que l’ancien Premier ministre Adolphe Muzito avait en son temps, par décret n°12/029 du 23 août 2012, formalisé le principe d’interdiction de contrôle et de recouvrement des impôts, droits, taxes et autres redevances dus à l’Etat, sans requête des régies financières. L’ancien Premier ministre Matata Ponyo lui avait aussi emboîté les pas, en consolidant ce principe, désormais immuable.
C’est donc avec raison que l’intersyndical de la DGI en appelle avec raison à l’arbitrage du Chef de l’Etat, en sa qualité de garant de la Nation et du bon fonctionnement des institutions, pour que la poule aux œufs d’or qu’est la DGI ne soit par dévorée par le renard qui rôde déjà au tour de la basse-cour des finances publiques.
En réalité, il y a bel et bien panique en la demeure. L’arrêt du travail est grave de conséquences autant pour le pays que ses finances. Il est donc du devoir de l’Etat congolais de remettre dans les bonnes conditions de travail cette poule aux œufs d’or. Car, la DGI est, à ce jour, la seule régie financière parmi les trois que compte notre pays, capable de mobiliser à elle seule par mois près d’unmilliard de dollars américain en recettes propres.
Il n’est pas politiquement correct de laisser la DGI plonger dans une grave léthargie, après les espoirs suscités par l’avènement de Barnabé Mwakadi à sa direction générale.
En effet, depuis l’avènement de l’actuelle équipe dirigeante de la DGI, les recettes d’impôts sont parties en flèches. A la DGI, tous les signaux sont au vert et tous les plafonds des assignations des recettes fiscales sont systématiquement crevés. Dans les milieux spécialisés, tous saluent – avec raison d’ailleurs – ce miracle fiscal jamais réalisé auparavant, en commençant par le ministre des Finances, Nicolas Kazadi, autorité de tutelle de la DGI.
Emballé dans une éphorie surdimensionnée et sans que les réformes attendues ne soient déployées comme prévu, le législateur congolais a décidé d’accroître de 83% en une année, soit de 2022 à 2023, les assignations fiscales de la DGI, lui imposant plus de dynamisme dans la mobilisation des recettes. C’est curieusement au moment où l’Etat attend plus de la DGI que l’on a décidé de créer le désordre dans es rangs. C’est inadmissible !
Malgré ces incohérences et pesanteurs politiques, à la fois nocives et toxiques, l’on apprend que l’équipe dirigeante de la DGI multiplie des stratégies de recouvrement des recettes fiscales pour répondre à l’appel du Gouvernement.
Pendant que cette équipe dirigeante est en train de se concentrer sur la mise en œuvre de ces nouvelles stratégies, notamment dans le secteur minier où le chiffre d’affaires cumulé des 70 sociétés minières opérationnelles en RDC approcheraient les 33 milliards de dollars américains dans lequel la DGI se propose d’y prélever près de 5 milliards de dollars US et couvrir ainsi tout le gap budgétaire que recherche le Gouvernement Sama II pour couvrir les besoins urgents de l’Etat, en termes sécuritaire et électoral, voilà que certains « experts » du ministère des Finances – faudrait-il encore démontrer leur niveau d’expertise – poussent le ministre à la faute en préconisant la mise en œuvre d’une vielle recette de triste mémoire, dénommée «commission contrôle-qualité», pour, prédisent-ils, déstabiliser la stratégie de recouvrement des recettes fiscales. Du vrai sophisme !
A coup sûr, l’objectif poursuivi et non avoué est, apprend-on, d’anéantir les efforts consentis autant par la haute direction de l’administration fiscale que l’ensemble du personnel dans le cadre de la maximisation des recettes fiscales en suscitant de vives tensions à la DGI.
A tout prendre, c’est la tête du directeur général Barnabé Mwakadi qui est visée. Pas plus !
Une décision venue de nulle part
L’argentier national fonde sa décision sur l’une des recommandations de la 105ème réunion du Conseil des ministres au cours de laquelle le Gouvernement avait opté pour «l’encadrement de la taxation d’office des entreprises n’ayant pas fait leurs déclarations fiscales par le ministre des Finances assisté par l’Inspection Générale des Finances».
Selon les experts fiscalistes contactés par Econews, cette décision gouvernementale, très grave en conséquence, disent-ils, a été prise en violation de l’article 2 du décret n°017/2003 du 02 mars 2003 portant création de la DGI, d’autant plus que «les autorités actuelles de la DGI n’étaient même pas consultées par le Gouvernement central comme l’exige la loi ».
C’est dire que la fameuse «commission contrôle-qualité » n’est aucunement une nouveauté à la DGI. Elle était expérimentée par le passé, mais forcée de disparaître parce que non seulement elle était porteuse des germes anticonstitutionnels…
et illégaux qui concouraient à sa propre destruction, mais aussi elle avait occasionné des retards dans la clôture des dossiers fiscaux sous examen à la DGE.
«C’était un véritable doublon du génie du mal, conçu pour gérer illégalement les prérogatives de la première direction opérationnelle de la DGI qu’est la DGE », a rappelé l’un de ces experts. Et de renchérir : «L’illégalité de cette commission s’explique aussi par le fait que le contrôle fiscal est une exclusivité de l’administration fiscale, selon l’article 25 de la loi du 13 mars 2003 sur les procédures fiscales, étant donné que les compétences sont d’attribution, et ne peut vérifier la véracité d’une déclaration d’impôts d’un contribuable qu’un vérificateur assermenté. Tous ceux qui sont proposés comme membres de la fameuse commission contrôle-qualité proposée par le ministre des Finances ne sont pas des vérificateurs fiscaux polyvalents et assermentés, comme l’exige la loi».
Un autre va plus loin, en faisant savoir qu’«au regard de la loi, le vérificateur fiscal polyvalent est le seul maître du dossier fiscal, en tant qu’OPJ à compétence restreinte et le seul à engager sa responsabilité pénale ou administrative en cas de redressement fiscal complaisant».
C’est donc une pratique qui a démontré ses limites par le passé que certaines «têtes pensantes» du ministère des Finances ont décidé de réactiver, sans se préoccuper de graves conséquences qu’elle pourrait entraîner.
C’est donc pour éviter de faire le médecin après la mort que certaines voix patriotiques s’élèvent pour demander au ministre Nicolas Kazadi de revenir à la loi et à la raison. Il s’agit, ni plus ni moins, de respecter la Constitution et tous les textes légaux et règlementaires régissant la DGI.
A ce titre, tous les regards sont donc tournés vers le Chef de l’Etat, Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo, pour arrêter cette folie meurtrière qui s’abat sur la DGI. Il faut éviter l’effet contagion dans les deux régies financières de la RDC, à savoir la DGDA et la DGRAD.
Le pays a autant de défis qu’on ne peut pas se permettre d’entretenir un climat de tensions permanentes à la DGI, premier pourvoyeur de recettes courantes de l’Etat. A cinq mois des élections, le Gouvernement ne peut pas se permettre un tel niveau d’irrationalité.
La DGI se meurt et il n’est pas tard pour la sauver. La solution passe inévitablement par le respect de la Constitution et des textes légaux régissant la DGI.
Econews