La Force régionale de l’EAC, observatrice et inopérante, accusée de faire le jeu du projet de balkanisation de la RDC

Le commandant kenyan de la Force régionale de l’EAC à gauche, aux côtés du général-major Chico Tshitambwe, chef d’état-major général adjoint des FARDC en charge des opérations.

La Force régionale de l’EAC devient de plus en plus une énigme. Voulue offensive à sa mise en place, avant son déploiement sur le terrain des opérations de l’Est congolais, cette force brille plutôt par son inactivité. Dans l’opinion publique, on pense que cette Force régionale joue le jeu des « terroristes» du M23, en faisant le lit à la balkanisation de la République Démocratique du Congo. Décryptage avec le journaliste Nicaise Kibel’Bel Oka, spécialiste de la région des Grands Lacs et éditeur du journal Ls Coulisses, paraissant dans la ville de Beni (Nord-Kivu).
Goma. Jeudi 24 novembre 2022, de- vant la presse au quartier général de l’EAC (Communauté de l’Afrique de l’Est), le général-major kenyan, Feff Nyagah, commandant de la Force régionale de l’EAC en RDC, (EACFR/RDC) a déclaré: «La Kenyan Defence Force (KDF), comme les autres forces armées constituant la Force régionale, est une force offensive aux côtés des FARDC pour neutraliser tous les groupes armés qui refusent le dialogue, y compris les rebelles du M23. La population congolaise ne doit pas douter de la volonté des Chefs d’État de l’EAC de restaurer la paix dans l’Est du pays. Elle doit faire confiance en la capacité opérationnelle de nos forces spéciales qui viennent se battre aux côtés des FARDC».
Le général-major Nyagah a précisé que l’armée kényane a engagé des unités spéciales avec du matériel capable de répondre à toute éventualité. Elle se déploie aux côtés des FARDC. Sur ce point : «La population congolaise n’a rien à craindre. Il n’y aura pas de zones tampon comme il n’y aura pas de plan d’évacuation de la population de la ville de Goma. La Force régionale ne le permettra jamais », a renchéri le Commander Force.
Répondant à la question sur le retrait des rebelles du M23 soutenus par le Rwanda des localités occupées, il a précisé qu’un retrait exige certaines conditions, dont la mobilité, le transport et le lieu de cantonnement.
Pour toutes ces conditions, il ne peut pas se faire en un jour. Le cessez-le-feu signifie en premier lieu : « La cessation totale des hostilités militaires en opération. Ne plus s’engager à combattre. » Les éléments de la Force régionale vont y veiller en suivant toutes les étapes pour respecter l’engagement des Chefs d’État de la région aux côtés des populations congolaises.
Mardi 13 décembre 2022, la Force régionale se rend à Kibumba, sur invitation des rebelles du M23. Au lieu d’appliquer le point 9 de la résolution du mini-sommet de Luanda sur le retrait des localités de Rutshuru qu’il contrôle, la Force régionale est appelée à prendre acte des conditions posées par le M23 avant tout retrait. Ces préalables sont :

  1. Le M23 exige des garanties de sécurité pour les populations Tutsi aussitôt qu’ils se retireront.
  2. Le gouvernement congolais doit répondre à la question : «se retirer pour aller où ?». Le gouvernement congolais doit d’abord définir le critère des lieux identifiés pour le M23 avec engagement écrit qu’il ne va pas les attaquer.
  3. Le M23 accepte de se retirer à la seule condition que les groupes armés qui appuient les FARDC (FDLR, NYATURA et autres) se retirent eux aussi avec des indications précises des lieux de leur cantonnement.
  4. Le M 23 ne doit pas se retirer avant l’arrivée d’une enquête internationale avec laquelle il va organiser les enquêtes sur le massacre de Kishishe.
  5. La Force régionale et le Mécanisme conjoint de vérification doivent soumettre tous ces préalables au facilitateur (l’ex-président du Kenya, Uhuru Kenyatta) et obtenir une rencontre facilitateur –M23 pour des discussions franches.
    Ainsi donc, la parole du général kényan se présente comme un mensonge ou une volonté délibérée de ne pas combattre les rebelles du M23.

Zone tampon, une offre pour la conquête d’autres localités
Alors que lors de son point de presse, le général Kényan a affirmé haut qu’il n’y aura pas de zone tampon sans même qu’on lui pose cette question, les rebelles soutenus par le Rwanda vont ce jour-là obliger la Force régionale à occuper des localités lui indiquées avec interdiction de voir la présence des troupes congolaises. La Force régionale se contente d’occuper Kibumba afin de sécuriser Goma et les déplacées. Aucune cessation des hostilités n’a été observée ni respectée. Les rebelles du M23 soutenus par le Rwanda vont par ailleurs lancer des offensives et conquérir d’autres localités jusqu’à la porte de Goma sur l’axe Masisi. Le document « mystérieusement fuité » de l’EAC pousse la population congolaise qui digère mal cette avancée des rebelles du M23 face à l’inaction des éléments de la KDF à des réactions plus vives. S’en suivront des séries de manifestations populaires exigeant le retrait de la Force régionale du front et son départ du territoire congolais avant même qu’elle n’ait tiré un seul coup de feu.
Cette carte fait penser qu’on entérine une forme d’occupation extérieure ou à tout le moins qu’on donne une chance à une annexion possible d’un territoire «stratégique ». En clair, si le général-major kényan parle de «zone tampon », cela signifie qu’on accepte le fait qu’il puisse exister aussi avec une réalisation partielle, c’est à dire avec une occupation d’une partie du terrain par le M23.

Balkanisation de fait d’une partie du territoire du Nord-Kivu
Depuis cette date, les rebelles du M23renforcent leurs positions en hommes et en occupent d’autres. Ils ont ouvert deux fronts sur l’axe Goma-Rusthuru-Bunagana et sur l’axe Goma-Sake-Kitchanga-Mweso asphyxiant pour ainsi dire la population de la ville de Goma. La mission assignée à la Force régionale paraît floue si on la compare avec celle de la Brigade FIB en 2013.
En effet, début octobre 2013, les FARDC, conduites par le général Lucien Bahuma appuyées par la FIB, ont monté une stratégie de collaboration confiante sur la reprise à venir de de tout Rutshuru sans oser considérer comme certaine la reprise d’un périmètre adossé aux frontières, autour de Tchanzu. Avec la détermination, les résultats ont été palpables. En 2022, la donne a changé. Les sponsors du M23 ont analysé tout ce qui n’avait pas marché et préparé une action avec d’autres moyens. Les processus politiques, qui prennent du temps et n’offrent aucune garantie de réussite, permettent de fait l’avancée ou le maintien de gains militaires. Pour résumer, le facteur «temps» que la Force régionale ne maîtrise pas parait le plus important et avantageux aux sponsors de la guerre d’agression. Si une occupation du M23 semble difficile à accepter d’abord par les populations locales et si la situation dure, le projet de la balkanisation est alors en marche. La zone tampon ne serait que le prétexte à sa réalisation.

Défendre seule la souveraineté de la RDC
Pour de nombreux congolais, la Force régionale à la suite de celle de la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en République Démocratique du Congo (MONUSCO) doit plier bagage et se retirer du territoire congolais au regard de leur attitude attentiste et de leur mauvaise foi pour s’engager aux côtés des FARDC. Les populations congolaises sont convaincues qu’il existe un projet de balkanisation de leur pays par les grandes puissances qui exploitent de façon illicite les ressources naturelles de la RDC. Elles prennent pour preuve le fameux embargo sur l’achat des armes avec son euphémisme de la notification de l’ONU pour l’achat des équipements militaires. En 2022, le pape François lançait cet appel pathétique au peuple de la RDC : «Peuple congolais, ne laissez à personne vous voler votre espérance».
Le complot consiste à soutenir financièrement les voisins du Congo notamment le Rwanda et l’Ouganda et à les équiper militairement afin qu’ils envahissent la RDC. En le faisant, l’on peut espérer tirer les dividendes de l’insécurité. Ce, malgré les dégâts humains et matériels en terme des morts, des déplacés et de destruction des infrastructures que cette politique provoque. D’où la mobilisation à travers des manifestations de rue, la diplomatie agissante.
Nicaise Kibel’Bel Oka (CP)