Quand l’impopularité est élevée au rang d’art majeur par son président, la France se trouve rabaissée au rang d’acteur mineur…
Parfois, se retrouver seul contre tous, c’est un brevet de courage et de lucidité, comme dans 12 hommes en colère, le chef d’œuvre de Reginald Rose, mis en scène par Sidney Lumet en 1957.
Mais quand 12 hommes et femmes sont en colère contre un seul, que celui-ci fait également l’objet de la colère d’une grande partie de son propre peuple, et qu’on peine à identifier un seul allié objectif au sein du premier cercle des pays limitrophes, les plus proches économiquement et culture-llement, il y a de quoi douter de ses chances de retourner la situation à son avantage.
L’homme seul, c’est Emmanuel Macron, qui était fâché avec Theresa May, puis l’a été avec Boris Johnson. Mais il l’est aussi avec Erdogan (qui lui a attribué des noms d’oiseau), après Donald Trump, puis désormais Vladimir Poutine. Et il le sera avec la future Première ministre italienne, Giorgia Meloni, qui le déteste viscéralement.
Les alliances s’effacent
Hors d’Europe, à la recherche de gaz, il s’est fait balader par le président algérien Abdelmadjid Tebboune (qui affiche sa proximité avec Poutine) avant de se faire insulter par la foule à Oran. Il s’était aussi fait traiter de tous les noms à la tribune de l’ONU par le Premier ministre malien Choguel Kokalla Maïga, entre autres.
Il est également boudé par les Burkinabés, n’est plus considéré comme un allié fiable par la Côte d’Ivoire (où la Chine pousse ouvertement ses pions). Le sentiment anti-français progresse partout depuis cinq ans, à Ouagadougou, Bamako, Bangui ou encore à Niamey.
Jamais la France n’avait vu son rôle battu en brèche, ni son président autant critiqué en Afrique, depuis le début de la Vème République.
Ce sont certes des pays aux cultures et aux climats très différents – mais au destin historiquement lié à celui de la France depuis quelques siècles. Les vieilles alliances du passé, au mieux, se décomposent de façon accélérée, ou, au pire, se retournent radicalement depuis quelques mois.
Si seulement les déboires subis avec des pays lointains étaient compensés par de remarquables succès de coopération avec les pays les plus proches… mais voilà que la brouille entre Macron et Olaf Scholz éclate au grand jour !
Le sommet bilatéral des ministres franco-allemand prévu pour le 26 octobre à Fontainebleau a été annulé sine die ce mercredi 19 octobre. Aucune nouvelle date n’est fixée côté français. C’est une forme de rupture rarissime des échanges au sein du couple franco-allemand.
Berlin parle d’un report en janvier mais tout le monde comprend que Macron en est l’origine : il a très mal pris les décisions unilatérales allemandes sur les questions de l’énergie (200 Mds€ de soutien à l’économie allemande) puis son attitude de franc-tireur sur les questions de défense européenne sous l’égide de l’Otan, dont la France fait partie mais où Berlin a joué sa propre carte sans concertation avec l’Elysée.
Emmanuel Macron et le chancelier Olaf Scholz se croiseront tout de même aujourd’hui et demain à Bruxelles, à l’occasion d’un Conseil européen. Tout le monde guettera la longueur des poignées de main et le degré de crispation des sourires de façade.
Prévoir la crise politique
Macron ne pourra trouver le moindre soutien –pour faire contrepoids aux yeux des partenaires de l’Allemagne – du côté du Royaume-Uni : la Première ministre Liz Truss pourrait faire prochainement l’objet d’une motion de censure au sein de son propre parti.
En attendant, face à aux critiques assassines de ses adversaires travaillistes, elle exclut de démissionner et promet qu’elle «va continuer à se battre pour relancer son pays». C’est à peine si les membres de sa «majorité» l’ont applaudie.
Et, pour achever de la mettre dans l’embarras, sa ministre de l’Intérieur vient d’annoncer sa démission. On relèvera que plusieurs démissions de membres du gouvernement avaient préfiguré la chute de Boris Johnson cet été.
Pour revenir en France, Macron ne va pas être mis en difficulté par les motions de censures déposées concurrentes par les deux principales formations de l’opposition. Il bénéficie donc d’un sursis avant d’affronter une crise politique majeure «en interne». Mais il est bien difficile d’imaginer comment autant d’adversité et de revers successifs «en externe» pourraient être annonciateurs d’un retour de la France sur l’échiquier économique et diplomatique.
Avec une France dont le président se retrouve aussi isolé et affaibli sur la scène internationale, les Etats-Unis sont pratiquement maîtres du jeu en Europe. Plus personne ne semble avoir ni l’influence ni la volonté suffisante pour contrecarrer le processus d’escalade avec la Russie.
Ce n’est pas le couple franco-allemand qui s’opposera au cours des prochaines semaines au risque d’un conflit frontal avec Moscou, que Bruxelles semble appeler de ses vœux sous la pression de l’Otan. Privée d’autonomie énergétique et diplomatique, l’Europe n’a pas grand-chose à envier au Royaume-Uni (considérée depuis le Brexit comme vassale des Etats-Unis).
Ce qui se passe outre-Manche (dette attaquée, devise fracassée) pourrait bien avoir valeur de précurseur de ce qui attend l’Europe dans les prochaines semaines et les prochains mois.
Et le match planétaire se déroule avec une France reléguée en seconde division des nations, son capitaine se retrouvant complètement isolé sur le banc de touche, ses 11 coéquipiers en colère ne voulant plus passer le ballon à ce 12ème colérique qui ne peut s’empêcher d’accabler son propre peuple de tous les maux dès qu’il met le pied à l’étranger.
Avec Chronique Agora