Exclue de la plateforme de paiements internationaux Swift en mars, la Russie a annoncé le développement d’une solution de rechange basée sur la blockchain. Un projet jugé tout à fait crédible et viable par un ancien employé de Swift.
Sanctionnée, isolée et acculée au lendemain du lancement de la guerre en Ukraine, la Russie continue de multiplier les stratagèmes pour maintenir le cap. Elle vient d’ailleurs d’annoncer la création d’un système parallèle à celui de la plateforme Swift, de laquelle de nombreuses banques russes sont exclues depuis mars, pour garantir des paiements internationaux sécurisés.
La solution ? La block-chain. Le conglomérat de défense public russe Rostec a en effet annoncé la création, en collaboration avec l’Institut des systèmes logiciels de Novossibirsk (ISLN), de la chaîne de blocs CELLS. « Les pays étrangers pourront ainsi continuer à payer les importations en provenance de Russie dans leurs devises respectives », avec une capacité allant « jusqu’à 100.000 transactions par seconde, avec un potentiel d’augmentation supplémentaire du débit », affirme Rostec.
Une solution tout à fait crédible
Une blockchain est-elle réellement une solution viable pour remplacer Swift ? « C’est tout à fait crédible », clarifie d’emblée André Casterman, qui a travaillé pendant 24 ans pour le compte de Swift. Pour lui, la plus grosse différence se situe principalement au niveau de l’approche. «Swift est une plateforme centralisée, alors que la blockchain repose à l’inverse sur un système décentralisé : les programmes tournent chez chaque participant. Mais les régulateurs et les banques centrales comprennent de plus en plus cette technologie et y travaillent. Il n’est donc pas surprenant de voir la Banque centrale de Russie se tourner vers elle ».
Très souvent associée aux crypto-monnaies, la blockchain n’est pourtant pas exclusivement réservée à ce secteur. « La blockchain, c’est la troisième génération d’Internet. Elle permet d’échanger de la valeur, et plus seulement de l’information », ajoute-t-il. Une manœuvre qui a de quoi faire sourire dans le chef de la Russie, alors que le pays était l’un des plus réticents aux crypto-monnaies et technologies associées avant l’éclatement de la guerre…
Mais si l’approche et la technologie diffèrent de Swift, les garanties devraient toutefois être les mêmes. « La sécurité de la blockchain est également très forte. Par son aspect décentralisé, elle est plus difficile à pirater. Elle est aussi moins coûteuse à défendre que les trois forteresses centralisées de Swift ».
Qui va accepter de l’utiliser ?
CELLS serait donc une solution viable. Mais reste à savoir si les partenaires de Moscou seront prêts à l’utiliser. «Je pense qu’ils le feront. S’ils veulent faire du business avec la Russie, ils n’auront pas le choix», analyse André Casterman, qui rappelle que la Russie n’est pas le premier pays dans cette situation. La Chine a également développé sa propre plateforme de paiements internationaux en parallèle. « On se dirige vers un modèle avec plusieurs systèmes qui seront utilisés en parallèle : Swift, celui de la Russie, celui de la Chine, etc.».
Cette multiplication des systèmes ne représente toutefois pas un risque de fragilisation pour Swift, estime notre interlocuteur. «Swift se distingue toujours par son rôle de tiers de confiance. En cas de désaccord entre deux banques lors d’un paiement, la plateforme fait office de médiateur neutre. Dans le système russe, en cas de désaccord, ce sera plus compliqué pour une petite banque de se faire entendre face à un organisme de la taille de la Banque centrale de Russie ».
Sans oublier que Swift reste, malgré tout, la plateforme la plus largement répandue. « Elle garde cette capacité à atteindre toutes les banques. Les nouveaux systèmes qui apparaissent visent des niches ou des corridors : Etats-Unis/Mexique, intra-européen, etc. Swift n’a pas accès à tout le marché, mais elle reste au sommet. Je ne la vois pas disparaître ou être remplacée ».
Pas de retour en arrière pour la Russie
Sans disparaître, Swift voit toutefois les solutions annexes se multiplier autour d’elle. Et la dynamique de fragmentation pourrait se poursuivre à l’avenir. « A sa création dans les années 1970, Swift était la seule solution pour les banques mondiales. Ce n’est plus le cas aujourd’hui : elle devient opaque, coûteuse, et les tensions géopolitiques forcent les pays exclus à innover », note encore André Casterman.
Preuve en est avec la Russie. Fortement affectée par son exclusion au début, elle est en train de retomber sur ses pattes. «Si vous coupez le Wi-fi à la maison, les enfants vont être perdus, jusqu’au moment où ils vont découvrir la 4G », illustre-t-il. « Les crises poussent aux innovations. Les pays comme la Russie vont désormais s’occuper de leur propre business, avec leur propre système. Pour eux, je ne vois pas de retour au sein de Swift à l’avenir».
Avec La Libre Eco