Les énergies renouvelables suscitent de plus en plus l’intérêt de la part des investisseurs en Afrique. C’est d’ailleurs l’un des secteurs les plus dynamiques, qui accélère le développement de la capacité installé de l’Afrique et surtout l’électrification de sa population. À l’occasion de l’Africa Energy Forum (AEF), organisé du 15 au 17 novembre 2021 à Londres (Royaume-Uni), AFRIK 21 fait un zoom sur les énergies renouvelables… les différentes sources exploitées en Afrique, leurs impacts sur le processus d’électrification, ainsi que la contribution à la transition écologique d’un continent en pleine mutation.
Pour de nombreux observateurs, l’Afrique détient là une formidable occasion d’éviter l’impasse d’un développement fondé sur les hydrocarbures et d’électrifier directement ses territoires à partir des énergies renouvelables. Il est vrai que le continent, peuplé de plus de 1,3 milliard d’habitants, dispose d’un énorme potentiel en matière d’énergie solaire, éolienne, hydroélectrique, de biomasse et de biogaz.
Même si la situation n’est évidemment pas uniforme sur l’ensemble du continent, l’Afrique a déjà entamé l’exploitation de son potentiel, notamment en matière d’énergie solaire photovoltaïque. Selon l’Agence internationale pour les énergies renouvelables (Irena), l’Afrique détient un potentiel d’énergie solaire de 10 TW. Actuellement, deux technologies permettent de convertir l’énergie naturelle du soleil en électricité, le solaire photovoltaïque et le solaire thermodynamique. Certains pays africains redoublent déjà d’efforts pour tirer parti de cette abondante ressource naturelle.
Un développement énergétique porté par le solaire
Grâce à un seul projet, notamment le complexe solaire de Benban dans le gouvernorat d’Assouan, l’Égypte a développé une capacité solaire de 1.650 MWc, pour une capacité de production d’énergie renouvelable de plus de 6 GW, combinant l’hydroélectricité et l’éolien. Mais la part du solaire devrait encore monter dans le mix électrique égyptien, qui s’établit actuellement à 14 %, grâce à la politique du Caire visant à produire 42 % de son électricité à partir de sources d’énergie primaire renouvelables d’ici à 2035.
À l’autre bout du continent, en Afrique du Sud, la stratégie récente de transition énergétique élaborée par les autorités a permis la construction de nouvelles centrales solaires, portant la capacité solaire à 2.323 MW, l’équivalent de la capacité électrique installée dans un pays comme la Côte d’Ivoire (2.200 MW, officiellement).
À l’échelle du continent, les centrales solaires totalisaient une capacité de production de 4,15 GWc en 2017, dont plus de la moitié en Afrique du Sud, selon le rapport 2018 de l’Agence internationale des énergies renouvelables (Irena). Depuis, cette capacité a largement augmenté avec la mise en service de nombreuses centrales en Afrique du Sud, le complexe solaire de Benban en Égypte, l’inauguration du complexe solaire de Noor Ouarzazate (580 MW) au Maroc, ainsi que d’autres grandes centrales solaires connectées aux réseaux en Afrique subsaharienne.
Si l’énergie solaire connaît actuellement un développement aussi fulgurant en Afrique, c’est aussi grâce aux systèmes décentralisés, les off-grids, utilisés pour l’électrification des zones rurales, les sites miniers ou les entreprises. Il est difficile de mesurer la capacité de production cumulée de ces solutions. Mais, selon le rapport 2019 de l’Association mondiale pour l’industrie de l’énergie solaire hors réseau (Gogla), les mini-grids et les systèmes solaires domestiques fournissaient de l’électricité à 100 millions de personnes dans le monde, dont une bonne partie en Afrique subsaharienne.
Les promesses de l’énergie éolienne
Quant à l’énergie éolienne, autre source majeure d’énergie renouvelable, elle était exploitée en Afrique bien avant le développement de l’énergie solaire. Le continent est abondamment balayé par les vents qui peuvent être exploités pour produire de l’électricité à grande échelle. Selon la Société financière internationale (SFI), filiale de la Banque mondiale, le continent africain dispose d’un potentiel technique de ressources éoliennes de plus de 59.000 GW, soit suffisamment pour satisfaire 250 fois la demande énergétique du continent, estime le Conseil mondial de l’énergie éolienne (Gwec).
Dans son rapport datant de 2020, l’institution indique qu’en 2020 environ 821 MW de nouvelles capacités éoliennes ont été installés en Afrique et au Moyen-Orient, portant la capacité totale de la région à plus de 7 GW. Toutefois, cette capacité installée ne représente que 0,01 % du potentiel éolien du continent africain. Pour l’heure, cette énergie est produite essentiellement grâce à des parcs éoliens terrestres. L’Afrique du Sud, qui affirme aujourd’hui un certain leadership dans le domaine, dispose d’une capacité éolienne installée de 2.323 MW, selon Power Africa, le programme soutenu par l’Agence des États-Unis pour le développement international (Usaid).
Pour sa part, l’Égypte poursuit le développement de projets éoliens dans le golfe de Suez grâce aux investissements de producteurs indépendants d’électricité (IPP) tels qu’Engie, Siemens Gamesa ou encore Lekela Power.Ce dernier a doté le Sénégal du tout premier parc éolien d’Afrique de l’Ouest. L’installation située sur la commune de Taïba Ndiaye affiche une capacité de 158,7 MW. À l’instar du Sénégal, des parcs éoliens sont opérationnels au Maroc, au Kenya et en Namibie. Ces pays seront bientôt rejoints par l’Éthiopie et Djibouti grâce notamment à leurs parcs éoliens respectifs d’Assela (100 MW) et de Ghoubet (60 MW), construits actuellement par Siemens Gamesa.
Le développement de l’hydroélectricité
Outre l’énergie éolienne, l’hydroélectricité contribue fortement à l’éclairage de l’Afrique. Le plus grand projet en cours sur le continent se trouve en Éthiopie. Ce pays de la corne de l’Afrique construit le grand barrage de la renaissance éthiopienne (Gerd) sur le Nil. L’installation, dont le second remplissage s’est achevé en juillet 2021 disposera bientôt d’une centrale hydroélectrique qui injectera 6.450 MW dans le réseau électrique national de l’Éthiopie. À plus de 5.100 km de là, en République Démocratique du Congo (RDC), le gouvernement tarde à lancer la phase de construction du mégaprojet hydroélectrique d’Inga III de 11.050 MW sur le fleuve Congo.
En Afrique de l’Est, le projet hydroélectrique de Stiegler’s Gorge progresse et devrait permettre d’injecter à terme 2.100 MW dans le réseau électrique national de la Tanzanie.
Parmi les pays à fort potentiel hydroélectrique en Afrique, figure bien sûr la RDC, mais aussi le Cameroun, tous deux situés en Afrique centrale. Les deux pays situés dans le bassin du Congo posséderaient à eux seuls 60 % du potentiel hydroélectrique du continent, qui reste cependant très largement inexploité à ce jour.
L’Afrique affiche actuellement une puissance hydroélectrique installée de 38.174 MW selon l’Association internationale de l’hydroélectricité (IHA). Pourtant, selon la Banque africaine de développement (BAD), seulement 5 % du potentiel hydroélectrique de l’Afrique est utilisé jusqu’ici.
Rien qu’en Afrique de l’Ouest, le potentiel hydroélectrique avoisine les 25.000 MW, principalement dans les pays bordant le golfe de Guinée, notamment le Nigeria (37 %), la Guinée (26 %), le Ghana (11 %), la Côte d’Ivoire (11 %) et la Sierra Leone (5 %), selon l’ouvrage Le retour des grands investissements hydrauliques en Afrique de l’Ouest : les perspectives et les enjeux, publié par le Cirad (Centre français de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement).
Des sources d’énergies renouvelables encore sous-exploitées
Parmi les sources d’énergies renouvelables encore très peu exploitées en Afrique figure la géothermie. Produire de l’énergie géothermique consiste à exploiter la chaleur naturelle du sous-sol pour produire de l’électricité grâce à des turbines à vapeur. Les centrales géothermiques opérationnelles ou en construction sur le continent se concentrent en Afrique de l’Est, principalement dans la vallée du rift. Le Kenya est d’ailleurs de loin le premier producteur d’énergie géothermique du continent africain, avec une capacité électrique installée de 713 MWe, sur un potentiel de 7.000 MWe estimé par la BAD. À proximité du Kenya, plusieurs pays d’Afrique de l’Est, notamment l’Éthiopie, la Zambie, l’Ouganda et la Tanzanie tentent eux aussi d’exploiter leur potentiel de géothermie, sans résultat palpable pour le moment.
Pour ce qui concerne la biomasse, l’électricité est produite en récupérant la chaleur dégagée par l’incinération du bois, des végétaux, des déchets agricoles ou encore les ordures ménagères organiques. Selon le groupe agroindustriel Sifca, la biomasse reste encore la principale source d’énergie en Afrique subsaharienne et représente 60 % à 80 % des bilans énergétiques dans la plupart des pays. Cette biomasse issue du bois utilisé pour la cuisine ou le chauffage. Pour l’instant, il existe très peu de centrales biomasses qui produisent de l’électricité à grande échelle. Mais deux projets prometteurs sont mis en œuvre en Côte d’Ivoire. Dans la future centrale biomasse de Divo, la chaleur issue de la combustion des cosses de cacao, permettra de produire entre 60 et 70 MW d’électricité. À Ayébo, Électricité de France (EDF) et ses partenaires Meridiam et Sifca utiliseront la même technologie pour la valorisation des déchets de palmiers à huile dans la centrale biomasse Biovéa.
Le biogaz est également utilisé à partir de la biomasse. Il s’agit d’un gaz très épuré, issu de la fermentation des matières organiques en l’absence d’oxygène. Ce gaz peut être produit à partir des déchets agricoles et ménagers, ainsi que les bouses d’animaux. En Afrique, le biogaz remplace facilement le bois et le charbon, encore largement utilisés pour la cuisine. Si le biogaz est encore peu produit, de beaux exemples incitent à l’optimisme. Au bord du lac Victoria, des biodigesteurs contribuent à l’élimination de la jacinthe d’eau, une plante envahissante qui constitue un réel fléau pour la préservation des ressources du lac.
Outre les mégaprojets mis en œuvre notamment en Égypte avec le complexe solaire de Benban ou encore au Maroc avec son complexe de Noor, d’importants programmes et projets locaux, sous régionaux ou régionaux sont mis en œuvre en Afrique. Le Programme de fourniture d’électricité par des producteurs indépendants d’énergies renouvelables (REIPPP) fait partie des initiatives majeures impulsées localement pour accélérer la production des énergies propres. Le programme mis en œuvre par le gouvernement sud-africain vise à attirer les investissements d’IPP.
Ainsi, grâce aux partenariats public-privé (PPP), de nombreuses centrales à énergies renouvelables ont vu le jour au sein de la nation arc-en-ciel, faisant du pays un modèle incontestable en matière de production des énergies renouvelables. D’ailleurs, la 5e phase d’appels d’offres du REIPPP, dont les résultats sont toujours attendus, a enregistré 102 propositions pour un objectif de 2.600 MW d’énergies propres.
L’apport des banques de développement
Les IPP sont également au centre du programme Scaling Solar. Cette initiative de la SFI vise à encourager les entreprises privées à investir dans le solaire pour fournir de l’énergie au réseau électrique national des pays bénéficiaires du programme, et assurer l’exécution rapide des projets grâce notamment à la mise en place de partenariats publics privés (PPP). Parmi les principaux pays bénéficiaires du programme figure le Sénégal qui a obtenu deux centrales solaires photovoltaïques pour une capacité totale de 60 MWc. Scaling Solar bénéficie également à la Côte d’Ivoire, au Togo, au Niger, au Mali, à la Zambie, à l’Éthiopie et à Madagascar.
Outre la SFI, la BAD a également lancé un programme en faveur de la production à grande échelle d’énergie solaire photovoltaïque. L’initiative Desert to Power vise à accélérer le déploiement de l’énergie solaire dans le Sahel, le renforcement du réseau de transport, le déploiement de solutions hors réseau, l’amélioration du climat des affaires, avec la revitalisation des sociétés nationales d’électricité. À travers ce programme qui couvre 11 pays africains (Burkina Faso, Éthiopie, Érythrée, Djibouti, Mali, Mauritanie, Niger, Nigeria, Sénégal, Soudan et Tchad), la BAD veut fournir de l’énergie solaire à 250 millions de personnes vivant dans la bande sahélienne. La Banque de développement panafricaine ambitionne ainsi de faire du Sahel la plus grande zone de production d’énergie solaire du continent, avec une capacité installée de 10.000 MWc.
Jean Marie Takouleu (Afrik21)