Maintes fois annoncé en République Démocratique du Congo, le Roi des Belges, Philippe, a entamé mardi une visite de six jours qui va l’amener jusqu’à Lubumbashi, dans la province du Haut-Katanga, et Bukavu, dans le Sud-Kivu. Sur le trône du Royaume de la Belgique, c’est la première visite en RDC du monarque belge. Entre la Belgique et la RDC, son ancienne colonie, beaucoup d’eaux ont coulé sous le pont. Les dernières années de Joseph Kabila au pouvoir ont été très agitées entre Kinshasa et Bruxelles. Au pouvoir depuis janvier 2019, le Chef de l’Etat, Félix Tshisekedi, s’efforce de jeter les nouvelles bases d’une coopération mutuellement avantageuse avec la Belgique qu’il considère, à juste titre d’ailleurs, comme sa « seconde patrie ». Pendant six jours, le Souverain belge tentera de tourner une page et réécrire l’histoire, faite de hauts et de bas, entre les deux parties. Ce mercredi, il s’adresse à la nation congolaise depuis le Palais du peuple.
Le Roi des Belges, Philippe, est arrivé mardi à Kinshasa pour sa première visite officielle en République Démocratique du Congo (RDC), sur fond de travail de mémoire et de réconciliation entre la Belgique et son ancienne colonie.
Le souverain, son épouse Mathilde et la délégation gouvernementale qui les accompagne ont été accueillis à l’aéroport international de N’Djili par le Président de la République, Félix-Antoine Tshisekedi Tshisekedi, et sa femme, Denise Nyakeru., aux côtés de tout le gotha politique congolaise.
Cette visite royale, la première depuis celle en 2010 d’Albert II, père de Philippe, a été deux fois reportée, en 2020 à cause de la pandémie de Covid-19, puis au début de cette année en raison de la guerre déclenchée par la Russie en Ukraine.
Pour les deux nations, cette visite, prévue pour six jours en terres congolaises, revêt une forte portée symbolique, deux ans après que le roi, à l’occasion du 60e anniversaire de l’indépendance de l’ex-Congo belge, a exprimé dans une lettre à Félix Tshisekedi ses « plus profonds regrets » pour les « blessures » de la colonisation, une première historique. Le souverain, qui règne depuis 2013, avait regretté les « actes de violence et de cruauté » commis à l’époque où son ancêtre Léopold II avait fait du Congo sa propriété personnelle (1885-1908), avant le demi-siècle de présence de l’Etat belge dans l’immense pays d’Afrique centrale.
Le Président Tshisekedi avait salué les paroles du roi comme une «avancée » à même de «booster les relations amicales » entre les deux pays.
Sur invitation de ce dernier, deux ans après, le monarque belge se trouve en RDC, du 7 au 13 juin 2022, pour une visite de six jours.
Tandis que le monarque belge souhaite renforcer les relations avec le président Tshisekedi et continuer le travail de mémoire sur le passé colonial, cette visite est entourée de grands enjeux. Il s’agit principalement de tourner une page, fait de hauts et de bas, tout en s’efforçant de répartir sur de nouvelles bases.
Réchauffement des relations entre les deux pays
«Dans le contexte actuel, depuis l’arrivée du président Tshisekedi, on assiste véritablement à un réchauffement des relations entre les deux pays. Du point de vue Belge, ce sera une espèce de consolidation du message du roi Philippe qui a déjà eu des mots assez forts », indique le professeur Bob Kabamba, chargé de cours au Département de sciences politiques de l’Université de Liège, cité par BBC Afrique.
«Maintenant on a l’impression qu’il veut poser des actes au-delà des paroles. Le deuxième aspect, c’est du côté congolais. Actuellement au Congo, la vie politique est assez mouvementée. Cette visite est pour Felix Tshisekedi un moment important pour justement consolider ce pouvoir, montrer que la Belgique le soutien, montrer à l’opinion publique congolaise que la Belgique le soutien, que le Belgique est avec lui et qu’il est digne d’avoir le soutien de toute la communauté internationale à travers la Belgique », poursuit Bob Kabamba par ailleurs spécialiste de politiques africaines.
Reconnaissance d’un lourd passé colonial
Jean-Michel Sama Lukonde, Premier ministre de la République démocratique du Congo, reçoit l’inventaire complet des quelque 84 000 objets ethnographiques et organologiques de la République démocratique du Congo qui se trouvent actuellement à l’Africa Museum.
En 2020, le monarque belge avait exprimé ses regrets au sujet des «actes de violence et de cruauté» commis lors de la domination coloniale au Congo.
Tout avait commencé avec une lettre envoyée au président congolais Felix Tchisekedi en juin 2020.
Sans s’excuser, le roi Philipe avait déploré la souffrance et les humiliations infligées au Congo pendant 75 ans, de 1885 à 1960. Notamment les tueries et les mutilations subies par les travailleurs congolais dans les plantations de caoutchouc.
«C’est ce qu’on appelle les reliquats qui polluent les relations entre les deux pays. Il y a bien sûr la reconnaissance de ces aspects, la violence de la colonisation, la spoliation de toute une série de biens socio-culturels congolais qui sont exposés dans les musées en Belgique », explique M. Kabamba.
«Il y a la question aussi des mutilations, des exactions qui ont été commises à l’époque de l’Etat indépendant du Congo sous Léopold «La Belgique doit demander pardon», dit Mgr Donatien Nshole
Présent mardi à l’aéroport international de N’Djili, Mgr Donatien Nshole, secrétaire général de la CENCO, souhaite que «la Belgique s’engage à nous accompagner à aller de l’avant (…) Le pardon par rapport à ce qui n’a pas été durant la colonisation».
Pour Christophe Mboso, président de l’Assemblée nationale, la visite du couple royal « enterre une page d’histoire douloureuse entre la RDC et la Belgique» et «ouvre une nouvelle page de coopération dynamique et privilégiée ».
Ce mercredi déjà, le Roi Philippe s’adresse à la nation congolaise depuis l’esplanade du palais du peuple».
Vers une réconciliation entre la Belgique et la RDC ?
Les regrets exprimés par le monarque en 2020 ont été suivis pas l’amorce d’un travail de mémoire sur le passé colonial.
En Belgique, une commission parlementaire spéciale a été mise en place, ainsi que la rédaction d’un rapport avec un inventaire sans concession des exactions et spoliations commises pendant la période coloniale belge.
Cette commission explore aussi les mécanismes de réparation, de compensation et de réconciliation entre les deux pays.
En parallèle, la Belgique a ouvert la porte à des restitutions d’objets artistiques ou symboliques à la RDC.
Au premier rang de cette restitution, on retrouve la dent de Patrice Lumumba, les derniers restes de l’ancien Premier ministre exécuté en 1961 avant que sa dépouille ne soit dissoute dans de l’acide. Cette dent doit être rapatriée en RDC en juin prochain, et ce, après plusieurs reports.
Un véritable chemin vers la paix, cette fois dans l’est du Congo, grâce à la médiation du Kenya ?
Vers une restitution des œuvres d’art
Une commission parlementaire belge spéciale a été mise en place, ainsi que la rédaction d’un rapport avec un inventaire sans concession des exactions et spoliations commises pendant la période coloniale belge.
La Belgique a aussi remis le mois dernier un inventaire de plus de 80 000 objets d’arts originaires du Congo et stocké dans le musée de l’Afrique de Tervuren en Belgique, entre autres.
Il se pose aussi la question de la décolonisation de l’espace public, notamment à Bruxelles.
La capitale belge a commandé un rapport pour inventorier les symboles coloniaux. Le texte publié le mois dernier a pour objectif de recontextualiser les monuments érigés à la gloire de la colonisation.
Bruxelles veut récupérer sa place
«La Chine a largement supplanté les partenaires traditionnels. La seule plus-value sur laquelle la Belgique joue, c’est dans le domaine de la santé et de l’éducation. Dans ces deux domaines, la Belgique est toujours en pointe et peut toujours continuer à apporter une plus-value et peut toujours compter comme numéro 1 dans les relations entre les deux pays », remarque le politologue.
Et d’ajouter : «Il y a toujours des hauts et des bas, soit du côté belge, soit du côté congolais. Quand on regarde le calendrier électoral tel qu’il a été publié, je doute fort que ce calendrier soit respecté. Hélas, on va commencer à voir toute une série de remarques et de conditions qui vont être posées au niveau belge, cela va avoir des répercussions. Il y a aussi le domaine des droits de l’homme surtout à l’est du pays où on a dans deux provinces l’état de siège qui est censé normalement mettre fin aux exactions, mais lorsque l’on lit les différents rapports, on se rend bien compte qu’il y a aussi des exactions qui sont commises par les forces de l’ordre du gouvernement congolais. Progressivement, dans les mois qui vont arriver, certainement, que ces dossiers-là vont aussi devenir problématiques ».
Econews