Le stratagème du cheval de Troie : histoire et applications modernes dans le contexte de la RDC

L’histoire nous rapporte un stratagème militaire astucieux qui permit aux Grecs de s’emparer de la ville de Troie après de longues années de siège infructueux. Il s’agit du célèbre stratagème du cheval de Troie, inventé selon la légende par Ulysse. Une légende qui colle bien aux réalités actuelles de la RDC, confrontée depuis trois décennies à une guerre permanente dans sa partie Est. Analyse.

Confrontés à une cité fortifiée qu’ils ne parvenaient pas à prendre d’assaut malgré dix ans de combat, les Grecs eurent l’idée de construire un immense cheval de bois. Des guerriers furent dissimulés à l’intérieur tandis que le reste de l’armée faisait semblant de lever le camp. Les Troyens, croyant à une retraite de l’ennemi, firent entrer le cheval dans leur ville en signe de victoire.

Mais durant la nuit, les soldats grecs sortirent du cheval et ouvrirent les portes de la cité à leurs compatriotes, piégeant les Troyens. La ville fut mise à sac. Bien que son historicité soit débattue, ce stratagème rusé est entré dans la légende comme un exemple d’astuce militaire.

APPLICATIONS MODERNES DU STRATAGÈME  

Le stratagème du cheval de Troie, devenu célèbre dans le monde entier à travers l’épopée d’Homère, a trouvé écho durant les temps modernes dans des domaines aussi variés que la politique,

En politique, on parle de «cheval de Troie » pour désigner une ruse visant à dissimuler ses véritables intentions sous couvert de diplomatie. L’invasion militaire directe étant prohibée, certains États n’hésitent pas à soutenir secrètement des rebelles ou des groupes dissidents afin d’affaiblir leurs voisins de l’intérieur.

En économie, le terme désigne parfois une prise de contrôle déguisée d’une entreprise via des actions dilutives ou des acquisitions masquées de petites sociétés.

Dans le domaine informatique, un «cheval de Troie » ou Trojan désigne aujourd’hui un logiciel malveillant dissimulé dans un programme légitime dans le but d’accéder à des informations sensibles ou de prendre le contrôle d’un ordinateur à l’insu de son utilisateur.

Ainsi le stratagème militaire antique continue-t-il de faire écho de nos jours à travers des applications multiples, révélant sa modernité et son actualité.

LES NOUVELLES FORMES DE «COLONISATION » DE L’AFRIQUE 

De la même manière, l’Afrique a pu être la cible, depuis la décolonisation, de nouvelles formes plus subtiles de mainmise sur ses richesses naturelles. Plutôt que le recours à la force, certains États ou multinationales ont eu recours à des «chevaux de Troie » diplomatiques et économiques pour tirer profit du sous-sol africain.

Contrairement à une occupation militaire directe, inacceptable aujourd’hui tant elle rappellerait l’ère coloniale, des partenariats techniques ou des programmes d’ajustement structurel imposés par les institutions financières internationales peuvent permettre d’accaparer progressivement les matières premières africaines tout en maintenant une apparence de souveraineté des États.

Des ONG ou experts locaux peuvent également servir de «cheval de Troie » en infiltrant la société civile ou les pouvoirs publics de certains pays riches en ressources afin d’orienter leur politique vers une exploitation minière toujours plus lucrative pour les intérêts étrangers.

En somme, bien des exemples montrent que l’Afrique demeure la cible de nouvelles formes de mainmise et de dépossession de ses immenses richesses naturelles, par le biais de stratagèmes plus subtils visant à occulter les véritables enjeux de pouvoir et d’influence derrière une façade de coopération.

LE CAS DE LA RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO 

Un cas emblématique est celui de la République Démocratique du Congo (RDC), dont le sous-sol recèlerait des ressources parmi les plus importantes du continent africain.

Après la chute du régime de Mobutu Sese Seko, renversé en 1997 à la faveur de la rébellion soutenue par le Rwanda et l’Ouganda, ceux-ci sont soupçonnés d’avoir poursuivi des visées annexionnistes sur une partie de l’Est du territoire congolais riche en minerais.

Sous couvert de soutenir le nouveau pouvoir de Laurent-Désiré Kabila, ils auraient en réalité cherché à installer des hommes à eux dans les institutions politiques et l’armée congolaise, afin de contrôler l’exploitation minière dans la région. Cet exemple illustre l’utilisation de la rébellion comme «cheval de Troie » pour infiltrer un pays cible et étendre son influence.

D’un autre côté, la communauté internationale s’est empressée d’exiger la promulgation d’un nouveau code minier favorable aux majors internationaux. Permettant une exploitation sans entrave des ressources naturelles du pays exsangue, ce texte légal a pu être assimilé à un «cheval de Troie » ouvrant grand les portes du sous-sol congolais.

L’ÉTABLISSEMENT DE NOUVELLES FORMES DE DÉPENDANCE 

Au-delà de la conquête des richesses, les «chevaux de Troie » viseraient aussi à maintenir les pays africains dans un état de dépendance qui empêcherait leur développement autonome.

Ainsi, les programmes d’ajustement structurel imposés par les institutions financières internationales ont-ils pu apparaître comme une forme déguisée de colonisation économique, contraignant les États bénéficiaires à ouvrir leurs marchés et à privatiser leurs entreprises publiques selon les canons néolibéraux, au risque d’accroître leur endettement à long terme.

De même, une aide au développement trop importante, de la part d’ONG ou de fondations, comporterait le risque de voir émerger une «société civile » dépendante de subsides extérieurs et donc potentiellement malléable par leurs bailleurs de fonds. Ce type d’aide pourrait dès lors servir d’outil d’influence politique déguisé.

Enfin, le recours massif à des «experts internationaux » de longue durée, dénoncé autrefois par Mobutu, n’aurait-il pas aussi pu couvrir des logiques d’ingérence plus ou moins occultes ? En s’immisçant durablement dans l’appareil d’État des pays aidés, ces experts ne chercheraient-ils pas à en orienter les politiques publiques selon les vœux des pays donateurs ?

Ainsi se pose la question des arrière-pensées cachées derrière certaines formes d’aide et de coopération présentées comme désintéressées.

LE DÉPEÇAGE PROGRAMMÉ DE LA RDC ?

Dans le cas de la RDC, l’analyse laisse entrevoir un scénario inquiétant de dépeçage programmé du géant africain, par le jeu habile de plusieurs «chevaux de Troie ».

D’un côté, le Rwanda et l’Ouganda ont su habilement se servir du prétexte de renverser un dictateur pour s’immiscer dans les affaires congolaises, via leurs relais au sein de l’AFDL puis du pouvoir de Kabila. Leur objectif inavoué serait de mettre la main sur une manne minière stratégique.

De l’autre, la communauté internationale a exercé des pressions pour faire adopter un code minier favorable aux multinationales. Sous couvert de relancer l’économie, cette mesure légale ouvre en réalité un accès sans limites au sous-sol congolais.

Entre ces deux mouvements antagonistes, l’État congolais se retrouve progressivement vidé de sa souveraineté sur ses richesses et sur une partie de son territoire.

Pire, cette mainmise risque d’attiser de nouvelles convoitises et d’alimenter une guérilla sans fin dans la région des Grands Lacs, victime désignée d’appétits voraces et d’ambitions géostratégiques rivales.

LA NÉCESSAIRE RÉAPPROPRIATION DES RESSOURCES NATIONALES 

Face à ce sombre tableau, comment la RDC et les autres pays africains ciblés pourraient-ils se prémunir contre de telles inerties ?

Tout d’abord, il leur faudrait reconquérir une réelle souveraineté sur leurs richesses naturelles, en renégociant les termes des contrats miniers conclus dans la précipitation, et en reprenant progressivement le contrôle des sociétés d’exploitation implantées sur leur sol.

Ensuite, un effort devrait être mené pour diminuer la dépendance à l’aide extérieure, qu’elle vienne des institutions de Bretton Woods ou d’ONG parfois plus soucieuses de leurs propres intérêts que du développement durable des populations. Il s’agirait de trouver des sources de financement alternatives moins assujetties à des conditionnalités politiques.

Enfin, un renforcement des capacités de l’État et une meilleure gouvernance des ressources minières seraient nécessaires pour tarir les appétits de voisins peu scrupuleux. La constitution d’organismes de contrôle indépendants et transparents jouerait aussi un rôle dissuasif contre la corruption.

Bref, c’est par une véritable réappropriation de leur destin que les pays africains pourraient espérer se prémunir contre le jeu habile des «chevaux de Troie » et reconquérir leur pleine souveraineté.

LA MANIPULATION DES CONFLITS IDENTITAIRES  

Outre l’accaparement des richesses, certains «chevaux de Troie » viseraient aussi à déstabiliser les pays cibles en alimentant les fractures identitaires.

Au Rwanda, au Burundi ou en RD Congo, on a pu assister à l’instrumentalisation politique et militaire des antagonismes historiques entre Hutus et Tutsis. Sous couvert de soutenir tel ou tel camp, des puissances rivales ont pu attiser les braises du conflit interethnique afin d’affaiblir durablement la région.

De même, en Irak, en Syrie ou en Libye, le financement discret de groupes rebelles ou djihadistes a parfois pu servir de levier de déstabilisation pour affaiblir des régimes gênants. Sous le masque de la révolution, ces «chevaux de Troie » idéologiques minent en réalité l’unité et la souveraineté nationale.

En Afrique toujours, certaines ONG défendant des minorités ou propageant des idéologies controversées sont suspectées de servir certains agendas géopolitiques, en alimentant les tensions communautaires.

Ainsi, derrière le discours des droits de l’homme, certains acteurs n’hésitent plus à attiser les braises des conflits ethno-religieux pour affaiblir des nations indociles ou défendre leurs intérêts stratégiques. Un usage pervers des fractures identitaires qui gangrène la paix dans de nombreuses régions du monde.

LA COURSE AUX MATIÈRES PREMIÈRES DE DEMAIN 

Un autre enjeu majeur réside dans l’accès aux ressources minières qui seront stratégiques dans les décennies à venir, comme les terres rares ou les métaux du futur.

Or, l’Afrique centrale et australe regorgerait de gisements prometteurs dans ces domaines. La RDC notamment détiendrait d’immenses réserves en coltan, cobalt ou lithium.

On comprend dès lors l’empressement de certaines puissances, comme la Chine, à tisser des liens étroits avec les pays détenteurs de ces métaux convoités, par le biais d’investissements massifs dans les infrastructures minières et énergétiques.

Sous couvert de partenariats «gagnant-gagnant », des «chevaux de Troie » économiques et financiers se mettent donc discrètement en place pour verrouiller l’accès à ces ressources de demain, au risque d’asservir durablement leurs pays hôtes.

Face à cet enjeu crucial, l’Afrique devra faire preuve d’une vigilance accrue et d’une plus grande solidarité interétatique pour ne pas se trouver en situation de faiblesse dans les négociations à venir sur le partage des fruits de son sous-sol.

VERS UNE GÉOPOLITIQUE AFRICAINE DU 21ÈME SIÈCLE 

Au total, l’analyse des multiples «chevaux de Troie» visant le continent africain invite à repenser en profondeur ses liens avec le reste du monde.

Il lui faut développer une stratégie commune de défense de ses intérêts fondamentaux, qu’il s’agisse de souveraineté nationale, d’indépendance économique ou d’unité politique interne.

Cela suppose de renforcer les coopérations Sud-Sud tout en cultivant une fermeté nouvelle face aux ingérences. Seule une Afrique unie et déterminée pourra résister aux pressions et rééquilibrer les rapports de force à son avantage.

Les pays africains devront aussi opérer un sursaut démocratique en luttant résolument contre la corruption endémique et le non-respect des principes de bonne gouvernance. Car c’est dans la faiblesse de leurs institutions que prospèrent bien des «chevaux de Troie» hostiles.

Enfin, le renforcement des capacités étatiques en matière de souveraineté stratégique, notamment dans les domaines de la défense, du renseignement ou de la cybersécurité, apparaît comme une nécessité pour contrer les velléités expansionnistes ou les sabotages informationnels.

Seul un tel sursaut permettra à l’Afrique de redevenir maître de son destin au 21ème siècle.

Willy CARLOS MPETE

Analyse indépendant