Les intellectuels congolais tiraillés entre la recherche de la vérité, la survie et l’exil (Tribune de Freddy Mulumba)

Le politologue Freddy Mulumba Kabuayi

Les intellectuels congolais, qui font du respect de leur probité intellectuelle une ligne de conduite, vivent un pénible dilemme. Ou bien ils restent au pays et, dès lors, se condamnent à lutter quotidiennement pour leur survie. Ou bien ils choisissent l’exil, quittant leurs familles et leurs amis avec l’espoir de vivre correctement sans renier leurs pensées. Tribune

Appelés moralement à remplir leur mission – rechercher la vérité, la dire même si elle dérange – les intellectuels congolais sont souvent placés dans une position délicate. Doivent-ils sacrifier leurs propres vies et celles de leurs familles pour faire triompher la vérité alors qu’au nom de cette vérité, certains de leurs homologues sont morts dans le dénuement le plus complet et l’anonymat le plus total ? De nos jours encore, de nombreux  professeurs des Universités et des Instituts supérieurs meurent, faute de disposer de moyens pour se nourrir convenablement, de scolariser leurs enfants ou incapables de faire face aux soins médicaux et aux médicaments indispensables. Aussi, entre aliéner leurs intelligences ou vivre dans la misère, nombreux universitaires finissent-ils par choisir le chemin de l’exil alors que la société congolaise a grandement besoin d’eux et de leur savoir.

Pour comprendre le dilemme des intellectuels congolais, il convient d’analyser leur parcours à travers l’Histoire, expliquer les raisons pour lesquelles certains d’entre eux ont failli à leur devoir ou ont choisi l’exil afin de redéfinir leur rôle au sein de la société congolaise en mutations et reconquérir leur autonomie intellectuelle face au pouvoir politique.

De cercles d’évolués  aux intellectuels congolais

Les élites intellectuelles au Congo tirent leurs origines de la scolarisation obligatoire des enfants instituée par la colonisation belge dans le cadre de l’évangélisation et l’œuvre de la civilisation.  L’objectif poursuivi à travers cette scolarisation, selon Mgr Roelens, fut de donner aux noirs congolais une conscience nette et intime de leurs devoirs, de leur inspirer le respect de l’autorité et l’esprit de loyalisme à l’égard de la Belgique, souligne Crawford Young.

Formatées par l’école coloniale et estampillées « évoluées », ces élites congolaises émergentes avaient commencé à formuler des revendications, face à la population blanche coloniale qui les considérait comme moins «civilisées».  Elles souhaitaient non seulement une réelle amélioration de leurs conditions de vie, mais aussi demandaient que l’administration coloniale les traite de manière différente que la masse d’indigène «ignorante» et «arriérée».

Selon l’historien Mutamba Makombo, ces évolués réclamaient un statut spécial qui ferait d’eux un groupe tampon entre les Blancs et le reste des Noirs ; mundele dombe », européen à peau noire. Cela signifie « un homme ayant rompu les rapports sociaux avec son groupe, ayant accédé à un autre système de motivations, à un autre système de valeurs ». 

Pour rencontrer les exigences de ces nouvelles élites congolaises, l’administration coloniale créa, en beaucoup d’endroits du territoire, des cercles d’évolués à qui elle offrit certains avantages sociaux.  Les évolués, qui ont eu droit à ces derniers, avaient en général un niveau de formation de quatre années post-primaires : prêtres, commis, moniteurs agricoles, assistants médicaux etc. Par rapport à d’autres peuples africains, les Congolais n’avaient pas accès à des niveaux supérieurs d’instruction, l’administration coloniale belge considérant, en effet, qu’un niveau élevé d’instruction pourrait conduire les congolais à exprimer des revendications politiques. La formule coloniale connue fut : pas d’élites, pas d’ennuis.

Quoi qu’il en soit, c’est tout de même de ces cercles d’évolués qu’est sortie la première génération d’intellectuels au Congo. Les évolués ne voulaient plus être qualifiés des «mindele ndombe», ils désiraient désormais, et avec force «ne pas perdre leur racine». Déçus par la vaine attente de l’assimilation, ils ont opté pour revendiquer les aspirations des Congolais comme porte-paroles.

Après la deuxième guerre mondiale de 1940-1945, cette première génération d’intellectuels a pris conscience du rôle qu’elle pouvait jouer au sein de la société congolaise. Dans ce cadre, ces premiers intellectuels congolais ont contribué à la conscientisation des masses congolaises dans la lutte pour l’indépendance du Congo.

Les premières manifestations de cette conscientisation sont apparues avec les publications destinées à l’administration coloniale belge. A travers les manifestes de l’Abako (Alliance des Bakongo) et de la «Conscience Africaine», ces élites congolaises ont réellement participé à l’émancipation de leurs concitoyens, canalisant leurs aspirations qu’ils ont traduites en revendications économiques, sociales et politiques.

Avec la création des premières universités dès 1954, la deuxième génération d’intellectuels formés dans les deux Universités du Congo – Kinshasa (Léopoldville) et Lubumbashi (Elisabethville) – a repris le bâton de pèlerin, s’engageant à jouer un rôle actif dans leur pays en profonde mutations. Par leurs prises de position, leurs publications et leurs analyses, ces universitaires congolais se sont attachés à décortiquer, d’une manière aussi rigoureuse, objective que scientifique, les problèmes qui se posaient au sein de la société congolaise. Un exemple parmi tant d’autres de réflexions publiées à l’époque, c’est l’ouvrage rédigé, en 1959, par Mabika Kalanda sur le conflit Lulua-Baluba dans la province du Kasai intitulé : Lulua et Baluba, une ethnie à la recherche de l’équilibre.

Au lendemain de l’Indépendance, a émergé une troisième génération d’intellectuels qui a pris appui sur les Congolais formés dans des universités à l’étranger. Il faut dire que bon nombre d’étudiants avaient poursuivi leur cursus universitaire en dehors de nos frontières, en Belgique notamment. Et ce phénomène a même subi un coup d’accélérateur dans un Congo qui venait d’acquérir son indépendance et avait besoin de penseurs et de cadres pour l’édification du nouvel État.  Ici, il faut relever qu’à l’indépendance, le Congo ne comptait pas plus de dix cadres universitaires.

A la fin de leurs études, de retour au pays, bon nombre de ces diplômés formés à l’étranger ont tout naturellement choisi de s’investir dans la politique et d’y jouer un rôle actif dans la rédaction des textes fondateurs d’un Congo qu’ils voulaient démocratique. C’est la raison pour laquelle certains d’entre eux, tout en militant, se sont orientés vers l’enseignement et la recherche scientifique, histoire de passer le relais à la jeunesse tout en publiant des réflexions, les voies et les moyens de construire leur pays.

Cet élan enthousiaste a été brisé net par un coup d’Etat militaire le 24 novembre 1965, monté par le Général Joseph Mobutu qui était soutenu par les puissances occidentales dans un contexte de la guerre froide. 

S’inspirant  de l’essai de Mabika Kalanda sous le titre évocateur : « La remise en question, base de la décolonisation mentale » publiée en 1965 et du courant anticolonialiste et anti-impérialiste dans les milieux universitaires, le président Joseph Désiré Mobutu va mobiliser toute l’intelligentsia de l’époque pour contribuer à la décolonisation des universités congolaises restées sous l’influence belge.

Tout en mobilisant les intellectuels contre l’influence belge au nom du nationalisme et de la révolution, il va réussir un coup de maître en les mettant au service de l’idéologie du Mouvement populaire de la révolution, parti unique qui deviendra plus tard parti-État. Il va s’attaquer d’abord à la machine à produire des intellectuels, c’est-à-dire l’enseignement supérieur et universitaire. Dans ce contexte, écrit le professeur Emile Bongeli dans son ouvrage « L’Université contre le Développement au Congo-Kinshasa », que l’Unaza (Université Nationale du Zaïre) fut créée en 1971, centralisant les trois universités et les instituts supérieurs. L’objectif de cette réforme est de créer une parfaite harmonie entre la finalité et les méthodes de l’enseignement d’une part, et le système politique, d’autre part.

C’est ainsi que l’idéologie politique mobutiste a gangrené les universités, les instituts supérieurs, les séminaires et d’autres centres de recherche. Consentants ou non, les universitaires sont assimilés aux militants du mobutisme au nom des intérêts supérieurs du Parti-Etat et sont obligés à mettre leur savoir au service du régime.

Intellectuellement asservis, ces intellectuels militants bafouent la vérité et n’hésitent pas à ériger le mensonge en morale. La plupart des philosophes congolais se muent en serviles penseurs du mobutisme tandis que nombre d’économistes défendent la centralisation et la zaïrianisation de l’économie.

Quant aux politologues d’alors, ils justifient, avec la dernière des énergies, le monopartisme et la pensée unique. Cette situation sous les deux régimes politiques qui se sont succédé n’a pas changé, mais une confusion s’installée dans les milieux des intellectuels.

Reste les autres intellectuels, ceux qui n’ont pas voulu se soumettre et qui ont dû se démettre. Refusant de trahir leur mission, d’hypothéquer leur autonomie ou d’aliéner leur cerveau, ils ont eu, pour toute issue, l’exil, avec au mieux un statut de réfugié politique.

Traitres ou exilés

Les conditions dans lesquelles travaillent les intellectuels en République Démocratique du Congo les contraignent, soit à trahir leur mission, soit à s’exiler. Plusieurs raisons sont à la base de cette situation.

Tout d’abord, il y a … la faim. La privation s’accommode, en effet, assez mal de l’intégrité intellectuelle. Or, celle-ci est particulièrement mise à mal dans une dictature, un régime autocratique, un pays où s’impose le culte du chef. Parce qu’ils ont naturellement développé un esprit critique, les intellectuels sont toujours les premiers soupçonnés d’être des opposants potentiels.  Quand ils sont rémunérés  par des pouvoirs publics  et mis sous tutelle, ces opposants potentiels s’empressent d’oublier leurs collègues qui refusent de courber l’échine devant la dictature. La fin justifie les moyens. La faim aussi, semble-t-il. Toujours est-il que les chercheurs et professeurs congolais, recevant pourtant des salaires de misère, ont changé radicalement de cap intellectuel. Pour survivre et pour que leurs familles ne soient pas inquiétées, ils ont accepté d’aliéner leur autonomie intellectuelle. Et ceux, qui avaient tenté de se faire autrement des revenus par la vente de leurs publications, ont rapidement négocié une courbe rentrante après que leurs ouvrages aient été frappés d’interdit par la censure mobutiste. Privés de ressources, paupérisés sinon clochardisés à souhait par les dirigeants de leur pays, bon nombre d’intellectuels congolais ont ainsi renoncé à tout esprit critique, soutenant les seules vérités véhiculées par le régime et ses thuriféraires.

Paupérisation et clochardisation. A elles seules, ces pathologies n’expliquent pas ce type d’attitude qui s’apparente à la prostitution intellectuelle. La mentalité du pays n’est pas étrangère à l’accentuation du phénomène : les Congolais considèrent souvent le diplôme universitaire comme un simple marchepied vers des postes élevés et bien rémunérés, sinon comme un couloir d’accès aux privilèges en tous genres. Autrement dit, pour la plupart des Congolais, le diplôme ne constitue qu’un sésame vers l’enrichissement personnel. Rarement, les diplômés de nos université prennent conscience que les disciplines enseignées, du droit aux mathématiques, de l’économie à la philosophie, de la médecine aux sciences politiques, sont, avant tout, un extraordinaire moyen d’élargir ses connaissances, d’analyser les faits et d’aiguiser son esprit critique. Ces talents-là, les diplômés universitaires congolais négligent de les mettre à la disposition de la société. Une telle conception des études et de la carrière universitaires affecte les comportements et les habitudes. La seule quête de biens matériels et de signes extérieurs de richesse, s’il devient le seul objectif d’une vie, s’impose au détriment de la défense du juste, du bien, et de la vérité.

Dans une enquête menée en 1974 sur les intellectuels zaïrois, le professeur V.Y. Mudimbe analyse  les comportements des professeurs universitaires alors mieux rémunérés que les autres couches de la population. Sans conclusion est claire : «La classe des intellectuels parait donc caractérisée par une conscience nette de ses virtualités pour la puissance mais aussi de sa vulnérabilité. Si les positions de classe sont bien marquées chez les intellectuels, il ne nous a pas paru évident que celles-ci étaient en fonction d’une conscience de classe. En outre, le fait que les personnes interrogées semblent vivre quelques frustrations comme épreuves nécessaires ou accidentelles en vue d’une percée sociale éventuelle ou d’une reconversion professionnelle qui les établiraient en des rapports sociaux  de production plus heureux, nous a paru significatif».

Outre les justifications qui pourraient expliquer la trahison des intellectuels congolais – la faim et les mentalités- une troisième se dessine: c’est l’absence de dimension spirituelle. Sans une lecture attentive des grands textes des traditions religieuses et la force de foi qu’elles impliquent, la conscience ne peut être en éveil et le chemin pour affecter des connaissances au service des intérêts égoïstes et obscurs est grandement ouvert. Comme le disait Rabelais, «science sans conscience n’est que ruine de l’âme». De toute évidence, pour des intellectuels, la conscience joue le rôle de fondation et la vérité ou la raison scientifique celui de l’édifice. Quand la fondation se fissure, tout l’édifice s’ébranle. Voilà pourquoi certains intellectuels ne se gênent pas à déformer ou à nier des vérités scientifiques.

Quant au chemin de l’exil, il reste le seul moyen pour les intellectuels congolais d’échapper à la misère, à la persécution et parfois à l’emprisonnement. Dans la plus des cas, ils trouvent refuge en Europe, aux États-Unis d’Amérique, au Canada ou en Afrique du Sud. Il en est de même pour les congolais ayant terminé leurs études universitaires à l’étranger. Ces universitaires, pour s’exiler, sont obligés, soit d’adopter la nationalité du pays hôte, soit de solliciter le statut de réfugié politique.  Dans ces pays d’accueil, comparativement à la République Démocratique du Congo, les conditions de travail sont meilleures, la liberté intellectuelle garantie et les salaires alléchants.

Cette image idyllique d’exil est remise en cause par le professeur Pius Ngandu Kashama dans sa lettre à un universitaire zaïrois publiée en 1991 : «Notre situation actuelle est sans issue. Nous voilà obligés d’accepter des postes de travail qui n’ont souvent aucune commune mesure avec nos capacités, parfois dans des conditions les plus désobligeantes, uniquement pour pouvoir demeurer le plus longtemps possible en dehors des frontières nationales».

Fatigué, Pius Nganda Kashama demande à la diaspora intellectuelle de trouver la force d’agir, et de préparer le voyage de retour vers la terre natale. Malgré cette volonté de retour au pays, le professeur Ngandu Nkashama est décédé l’année dernière aux Etats-Unis d’Amérique. Et le professeur Ka Mâna qui a décidé de retourner au pays définitivement est mort dans la pauvreté et l’anonymat total. Est-ce que les professeurs Ngala et V.Y Mudimbe qui sont encore en France et en Amérique, sont-ils sur les mêmes traces ?

Mais l’exil ne consiste pas seulement à prendre un vol pour l’étranger. Cela peut être aussi le silence qui engloutit tant d’écrivains congolais qui n’arrivent même pas à publier un seul article, tant de peintres que l’inspiration a abandonnés, tant de scientifiques dont les recherches n’aboutissent pas. Il y a aussi ceux qui auraient pu s’exprimer mais qui ont préféré garder le silence ou ceux qui se sont lancés dans des activités commerciales afin de survivre.  Certains intellectuels ont sombré dans l’alcoolisme pour noyer leurs soucis tandis que d’autres ont trouvé refuge dans des sectes religieuses en abandonnant les bibliothèques et les laboratoires.

Si l’exil permet à certains intellectuels congolais de sauvegarder leur autonomie et leur intégrité morales, il constitue néanmoins une perte incommensurable pour la société et l’Etat congolais. D’un côté, l’Etat perd l’expertise indispensable au bon fonctionnement de ses institutions et de l’autre, la population perd ses portes puisque ceux qui peuvent l’éclairer sur une situation donnée et la défendre face aux abus du pouvoir politique brillent par leur absence. Encore faudrait-il que cette diaspora intellectuelle continue à s’intéresser à son pays d’origine.

Sans doute, cette absence n’est-elle pas ressentie de la même façon par tout le monde. Le pouvoir politique notamment doit se frotter les mains : pas d’intellectuels critiques, pas d’ennuis non plus. La même attitude s’est retrouvée dans le chef du pouvoir colonial, à savoir : pas d’élite, pas d’ennuis.

Astreint au devoir de réserve dans les pays d’accueil, les réfugiés intellectuels sont surveillés par les services de polices afin de les empêcher d’engager des actions politiques contre leur président dictateur protégé. Ce qui n’empêche pas le pays d’accueil, quand ses intérêts économiques ou géopolitiques sont remis en cause, d’utiliser les intellectuels congolais contre leur président protégé, au nom de la démocratie.

La reconquête de l’autonomie intellectuelle comme une exigence

Les intellectuels congolais ont perdu toute crédibilité aux yeux de la population qui les traite de menteurs, voire de corrompus. Ils sont également méprisés par le pouvoir politique dans la mesure où, en parfaits vassaux, ils se comportent comme des courtisans et des mendiants. Puisqu’ils ont perdu tout crédit tant du côté du peuple que du côté des dirigeants, pourquoi ne se regardent-ils pas dans  le miroir ? Pourquoi ne se lancent-ils pas dans une salutaire autocritique? Pourquoi ne reprennent-ils pas leur travail d’intellectuels et de chercheurs pour retrouver ainsi leur place dans les cénacles congolais ?

S’ils veulent reconquérir leur autonomie intellectuelle et leur intégrité personnelle, il y a un prix à payer. Et les coûts sociaux qui en découlent doivent donc être assumés avec courage.

Par ailleurs la reconquête de l’autonomie intellectuelle n’est possible que s’il y a une certaine organisation et une autonomie financière. L’organisation des intellectuels dans des associations privées autonomes permet de définir les objectifs à atteindre et de choisir les moyens à mettre à leur disposition. Regroupés ainsi et donc plus forts, les intellectuels congolais sont à mesure de défendre leurs liberté et autonomie intellectuelles face à n’importe quel régime autoritaire. De plus, la constitution de telles associations privées peut donner naissance à une intelligentsia qui, libérée de ses fantasmes de pouvoir et de prestige, tenterait de mieux comprendre et d’aider la société dans laquelle elle vit.

Quant à l’autonomie financière sans laquelle l’autonomie intellectuelle n’est pas possible, elle n’est pas facile à atteindre. Ces associations privées rencontreront certainement des difficultés pour financer leurs activités. Face à un régime autoritaire qui voit en eux une menace, la seule source de financement des associations d’intellectuels reste la population congolaise pourtant pauvre. Est-ce utopique  de croire en la capacité du peuple à soutenir ses intellectuels? Est-ce inconscient de vouloir s’adresser aux plus pauvres pour financer l’avenir du pays ? La réponse est : non. Après tout, bon nombre de Congolais ne puisent-ils pas dans leurs (trop) maigres cassettes pour financer des orchestres ou des équipes de football… ou pour alimenter les caisses d’une des multiples Églises de réveil qui ont pignon sur rue. Alors, pourquoi ne financeraient-ils pas aussi l’une ou l’autre association privée d’intellectuels de leur pays ? Ces derniers doivent évidemment convaincre leurs compatriotes, qu’un tel investissement de chacun, si minime soit-il, peut profiter, sur le long terme, à la société congolaise d’aujourd’hui et de demain.

Enfin, la reconquête de l’autonomie ne peut être effective que si les intellectuels congolais revendiquent l’accès aux médias publics et privés afin de mettre leurs idées à la portée de tous. Cette vulgarisation permet à chacun de comprendre les enjeux et susciter le débat. Ainsi, les associations d’intellectuels acquerront-elles une notoriété publique qui les protègera des humeurs du pouvoir politique. En d’autres termes, elles auront le soutien de l’opinion, au cas où le régime politique tenterait de restreindre leurs libertés intellectuelle et académique.

En définitive, cette reconquête de l’autonomie des organisations d’intellectuels congolais ne peut être acquise que si les concernés prennent conscience de la nécessité de disposer d’un Etat moderne. Si les intellectuels veulent se réaliser pleinement en tant qu’intelligentsia, ils doivent s’engager dans un combat pour la démocratie et pour la vraie indépendance. La démocratie est sans doute le seul système politique qui permette d’expliquer de manière libre et transparente tous les enjeux de société, qu’ils soient d’ordre économique, politique, philosophique ou culturel. La démocratie permet aussi, à plus long terme, de redonner à la raison la place qui lui revient dans la société. Bref, sans une véritable indépendance face aux puissances étrangères et leurs multinationales, la démocratie restera une illusion.

Freddy Mulumba Kabuayi wa Bondo

Politologue et Chercheur