Dans son interview au «Figaro», l’ex-chef de l’État épouse le narratif pro-russe, ce qui fait bondir plusieurs observateurs du conflit.
«J’ai toujours été un ami de Vladimir Poutine». Ainsi parlait Nicolas Sarkozy lors d’une conférence (grassement rémunérée) accordée à Moscou en 2018. Cinq ans plus tard, le maître du Kremlin peut manifestement toujours compter sur l’amitié de l’ex-président français. Dans une interview accordée au Figaro ce mercredi 16 août, l’ancien chef de l’État s’exprime sur la guerre en Ukraine déclenchée par la Russie, et plaide pour un rapprochement avec Moscou.
Nicolas Sarkozy s’en prend notamment aux «promesses fallacieuses» faites, selon lui, par les Occidentaux à Kiev, en particulier sur une éventuelle adhésion à l’Union européenne et à l’Otan. «L’Ukraine est un trait d’union entre l’Ouest et l’Est, il faut qu’elle le reste», tranche l’ancien président de la République, estimant que ce pays «a une vocation de pont entre l’Europe et la Russie». Raison pour laquelle il considère que le pays dirigé par Volodymyr Zelensky «doit rester un pays neutre», en dépit des désirs d’Europe qui peuvent s’y exprimer.
Ce qui revient à nier ce qui fonde l’article 1-2 de la Charte des Nations unies, consacrant le «principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes», puisque des puissances étrangères, conformément aux intérêts russes, décideraient à la place des Ukrainiens de son statut international.
Toujours dans ce narratif partagé par les réseaux pro-Poutine en France, Nicolas Sarkozy appelle à une « sortie par le haut» de cette guerre, en imaginant des «référendums strictement encadrés par la communauté internationale pour trancher les questions territoriales de façon définitive et transparente». Sans aucune condamnation pour les crimes de guerre commis sur le sol ukrainien par les troupes russes, l’ex-chef de l’État juge par ailleurs «illusoire» que l’Ukraine puisse récupérer la Crimée, annexée illégalement en 2014 par la Russie.
«Propos honteux»
Sans surprise, cette analyse aux relents poutiniens n’a pas manqué de faire réagir. Y compris parmi ses ex-collaborateurs. Jérôme Poirot, ancien adjoint du coordinateur national du renseignement à l’Élysée entre 2009 et 2015, a fustigé sur LCI les « propos honteux » de Nicolas Sarkozy. Dans un long et précis réquisitoire, le haut fonctionnaire rappelle en premier lieu les révélations faites par Mediapart en janvier 2023, concernant les sommes perçues par l’intéressé pour des conférences très complaisantes à l’égard de Vladimir Poutine données à Moscou en 2018 (en dépit de la mise au ban diplomatique de la Russie en raison de l’annexion de la Crimée quatre ans plus tôt).
Et aussi les trois millions d’euros venant d’une société d’assurance russe contrôlée par deux oligarques – une somme rondelette qui a attiré l’œil du parquet national financier, qui a ouvert une information judiciaire à l’été 2020.
Ceci étant dit, Jérôme Poirot entre dans le vif du sujet. «Quand il dit dans son interview qu’il a eu raison, en avril 2008, avec Angela Merkel, de s’opposer à l’Ukraine, à la Géorgie et aux Américains, qui souhaitaient que l’Ukraine et la Géorgie entrent dans l’Otan, ça montre qu’il n’a aucun recul sur ce qui s’est passé », poursuit le haut fonctionnaire, rappelant que ces garanties accordées à la Russie au sommet de l’Alliance atlantique en avril 2008 n’ont pas empêché Vladimir Poutine d’envoyer des chars sur la Géorgie quatre mois plus tard.
Toujours dans le milieu des spécialistes, le chercheur en relations internationales Edward Hunter Christie, ancien consultant pour l’Otan, a fustigé sur Twitter «l’interview catastrophique» donnée par un Nicolas Sarkozy qui «n’a rien compris à la nature du problème sécuritaire posé par la Russie de Poutine». «Un ramassis de faux lieux communs de la part d’un dirigeant qui s’était pris une raclée verbale inouïe de la part du même dictateur russe. On aurait pu espérer que ce souvenir lui donne aujourd’hui une once de courage. Hélas, c’est à l’évidence le contraire», déplore cet expert, en référence à la révélation – faite par le journaliste Nicolas Hénin – des propos houleux tenus par le maître du Kremlin à l’égard de son homologue français lors du sommet du G8 en 2007.
«Les Russes sont des Slaves. Ils sont différents de nous. (…) Malgré cela nous avons besoin d’eux et ils ont besoin de nous.Cela pourra faire rire, pleurer, ou susciter de la commisération», raille de son côté Bruno Tertrais, président de la Fondation pour la recherche stratégique, en citant un autre passage de l’interview de Nicolas Sarkozy.
«Acheté par les Russes»
Au-delà des observateurs du conflit, plusieurs responsables politiques sont également montés au créneau. C’est notamment le cas du député écologiste Julien Bayou, membre de la commission de la Défense au Palais Bourbon. « Ceux qui relaient aveuglément la doctrine du Kremlin défendent leur intérêt, pas ceux de la France. C’est encore plus grave pour un ancien président de la République, sous le coup d’une enquête pour trafic influence», dénonce sur Twitter l’élu de Paris. Invité sur LCI, le même estime que Nicolas Sarkozy est «acheté par les Russes» et que, de ce fait, ce dernier «ne doit plus être considéré comme un ancien président de la République mais comme un influenceur russe ».
Même son de cloche chez Natalia Pouzyreff, députée Renaissance et présidente du groupe France-Russie à l’Assemblée nationale. «Trouver une voie de sortie à la guerre en Ukraine, oui. Discuter avec Poutine, non. En envahissant son voisin le 24 février 2022, le chef du Kremlin a tout simplement commis l’irréparable», a commenté sur Twitter l’élue des Yvelines, invitant l’ancien chef de l’État à ne pas réécrire l’histoire.
Sans faire explicitement mention à l’interview donnée par Nicolas Sarkozy, le député Renaissance de Paris Pieyre-Alexandre Anglade, par ailleurs président de la commission des Affaires européennes de l’Assemblée nationale, a rappelé que «L’Ukraine se bat pour sa liberté et sa souveraineté» mais aussi «pour l’Europe et ses valeurs».
À noter toutefois que d’autres approuvent l’analyse faite par Nicolas Sarkozy. C’est notamment le cas de Régis Le Sommier, qui a partagé l’interview de l’ancien président sur son compte Twitter et dénoncé la condamnation faite à l’antenne de LCI par Jérôme Poirot. Régis Le Sommier ? Il s’agit d’un ancien de la chaîne RT France, aujourd’hui directeur du magazine Omerta, média pro-russe considéré en France comme le relais de la propagande du Kremlin. De quoi conforter les détracteurs de Nicolas Sarkozy dans leurs appréciations.
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