Manono, territoire enclavé de la province du Tanganyika, n’a de regards que sur le projet d’exploitation du lithium que se propose de développer l’entreprise Dathcom, avec comme actionnaire majoritaire l’Australien AVZ, à côté de la Congolaise Cominière. Entre 2017 et 2021, AVZ a pris le temps d’explorer le sous-sol de Manono jusqu’à réunir en avril 2021 les indices probants d’un gisement de lithium estimé à 400 millions de tonnes avec une teneur de 1,6% de Lithium. En mai 2021, AVZ, qui pilotait toutes les phases d’exploration avec son associée, la Cominière, a déposé auprès du Cadastre minier (CAMI) son étude d’impact environnemental et son étude de faisabilité, espérant acquérir le Permis d’exploitation le plus rapidement possible pour entamer le développement de la mine. Depuis lors, c’est le trou noir. Non seulement que l’Etat tarde à lui délivrer le Permis d’exploitation, mais d’autres considérations ont pris le dessus sur le projet, semant le doute sur sa mise en oeuvre. Pour s’enquérir de la situation, l’ONG congolaise « Tous pour le Congo », accompagnée d’une équipe de journalistes, est descendue dans le territoire de Manono pour interroger les acteurs, tout comme la population de ce territoire reculé du Tanganyika. Sur place à Manono, les attentes sont nombreuses. Face à la pauvreté qui le ronge, Manono place tous ses espoirs sur ce projet de lithium. Mais, à Kinshasa, le discours est tout autre. Des mains noires, sûrement politiques, ont pris en otage ce projet, sans se soucier des innombrables effets d’entraînement positifs qu’il pourrait susciter aussi bien dans la province du Tanganyika que sur l’ensemble de la RDC. Qu’est-ce qui se passe autour de ce projet ? A-t-on finalement décidé de tuer la poule aux œufs, sacrifiant le peuple de Manono ?
Décryptage.
Le territoire de Manono se meurt, avec lui le projet d’exploitation de lithium sur lequel il a placé tous ses espoirs. Depuis 2017, année de lancement de l’exploration entreprise par Dathcom, entreprise formée entre la multinationale australienne AVZ, en association avec l’entreprise du Portefeuille de l’Etat, Cominière, le peuple de Manono a gardé tout son souffle, voyant désormais le bout du tunnel pour son rayonnement. Cinq ans ont été nécessaires pour AVZ, leader de ce projet, arrive enfin à un résultat. A Manono, le lithium, cette principale composante dans la fabrication des batteries électriques, est bel et bien là, enfoui dans son sous-sol.
Pour ce territoire reculé de la province du Tanganyika, la découverte du gisement de lithium d’une capacité de 400 millions de tonnes avec une teneur de 1,6% a été une aubaine. Enfin, Manono pouvait respirer. Mais, c’était sans compter avec la volonté manifeste de Kinshasa d’étouffer les bonnes initiatives.
En réalité, tout le malheur a commencé lorsqu’en mai 2021, AVZ et son complice de tous les jours, la Cominière, ont déposé auprès du Cadastre minier, leur étude d’impact environnemental, couplée à l’étude de faisabilité pour obtenir le Permis d’exploitation (PE). AVZ pensait certes bien faire, mais elle ne pouvait pas s’imaginer que c’était aussi le début de leur malheur. Depuis lors, le PE ne leur est pas accordé. Bien plus, l’actionnariat de Dathcom fait l’objet d’un bradage en règle sans passer par les textes qui régissent la Joint-venture.
Le trou noir
Qu’est-ce qi explique ce blocage ? Pourquoi se refuse-t-on de délivrer le PE à Dathcom pour démarrer enfin l’exploitation ? Des questions qui ont du mal à trouver de réponses.
On sait néanmoins qu’à Kinshasa, on n’est pas disposé à donner carte verte à AVZ pour se lancer dans la production du concentré de lithium.
A Manono, personne ne s’explique non plus ce blocage. De l’administration du territoire jusqu’au Grand Luba de Bakongolo, on ne comprend plus rien du supplice qui est imposé.
Le cri de détresse de la population de Manono a fini par alerter la Société civile œuvrant dans le secteur des ressources naturelles. Accompagnée d’un groupe de journalistes venu de Kinshasa, l’ONG «Tous pour le Congo» a organisé, le lundi 18 juillet 2022, une descente dans le territoire pour comprendre ce qui se passe derrière le projet lithium que pilote l’Australien AVZ.
Manono est un territoire enclavé où les stigmates de la bataille qui a opposé, il y a quelques années, les forces loyales aux rebelles du RCD/Goma sont encore visibles. Sur place, on découvre les vestiges d’un territoire qui rayonnait à l’époque de Zaïre Etain, qui deviendra Cominière par la suite. Mais, depuis lors, c’est le chaos.
A Manono, ce sont plutôt des trous béants, preuve de la grande activité minière artisanale, qui attire contre attention. Cet artisanat minier utilise les personnes de tous les âges, femmes, enfants, jeunes et vieux. Personne n’est épargné.
Témoignages
«C’est notre nouvelle vie. Le champ ne rapporte plus.
Même si je dois cultiver, je ne suis pas assurée de vendre les produits de mon champ. Manono est enclavé. C’est difficile d’évacuer nos produits de champ. Notre seule activité est de creuser la cassitérite pour la revendre à MMR (Ndlr : une entreprise minière de la place qui s’approvisionne auprès des artisanaux », a dit, la mort dans l’âme, une femme de Manono qui sortait, colis sur la tête, d’une mine artisanale de Manono. Elle n’est pas la seule. Comme d’autres, les mines artisanales occupent l’essentiel de la population de Manono. C’est leur seule manière de lutter contre la précarité et de réduire les angles de la pauvreté.
Et quand en 2017, AVZ a décidé d’entreprendre l’exploration minière dans le territoire, pour le peuple de Manono, le messie était enfin là. Qui pis est, lorsqu’AVZ a annoncé avoir enfin découvert le gisement, promettant de passer le plus rapidement à l’exploitation, tout Manono était en liesse.
«Quand AVZ nous a dit que ses résultats de recherche étaient concluants, c’était la fête à Manono. On se dit que Dieu et les ancêtres ont entendu nos prières. On pouvait enfin voir le bout du tunnel et penser au développement de notre territoire. Mais, depuis qu’AVZ nous a annoncé cette bonne nouvelle, il n’y a rien sur le terrain. On nous dit que ça bloque à Kinshasa qui tarde à délivrer le Permis d’exploitation. Pour quelle raison, on ne sait pas ? Pourtant, nous avons, moi Grand chef Luba de Bakongolo, et tout mon peuple, placé beaucoup d’espoir dans ce projet. Vous avez parcouru le territoire et vous avez vu le niveau de pauvreté. Imaginez ce que ce projet peut amener à Manono, un territoire enclavé. Qu’on se soucie enfin de nous. On nous dit toujours que tout doit être débloqué à partir de Kinshasa. Je lance un appel au Président de la République : aidez le peuple de Manono à réaliser son rêve. Libérez le projet lithium de Manono. C’est notre seul espoir d’accéder au développement. Faites parvenir ce message au Chef de l’Etat», a déclaré, s’exprimant en swahili, le Grand chef Luba Mwilambwe Wasenga Sébastien de Bakongolo, chef des terres où se trouve le gisement découvert par Dathcom, avec l’expertise d’AVZ.
Administrateur du territoire adjoint chargé des questions économiques et financières, Gratien Kakudji, reste optimiste : «La situation sécuritaire est calme à Manono. Dathcom, nous l’avons reçu à bras ouvert et la population attend la réalisation de ce projet. Mais, il y a des inquiétudes car le projet a pris de temps pour passer à la phase d’exploitation. Tout se passe comme s’ils étaient toujours à la phase préparatoire. Avec la population, on est en train de la calmer, car quelle que soit la durée de la nuit, dit-on, le jour finit toujours par poindre. Pour le moment, on n’a pas encore mis en place une structure qui doit servir d’interface. Mais, chaque fois qu’il y a un problème, on se réunit avec la Société civile pour discuter avec Dathcom. En phase recherche, l’entreprise a réellement engagé des discussions avec nous sur divers projets sociaux tels que la santé, l’électricité… Nos attentes, c’est résorber le chômage et arranger les infrastructures ».
Quant à l’évêque de Manono, Mgr Vincent de Paul Kwanga Njibu, il attend avec impatience ce projet pour redonner un nouvel espoir au peuple de Manono : « On attend parce que le permis d’exploitation n’est pas encore accordé à Dathcom pour démarrer effectivement ses activités. En réalité, nous manquons d’informations fiables par rapport à l’état d’avancement du projet. Ce que nous apprenons est qu’il y a des tiraillements entre eux, les actionnaires. Mais, personne ne nous a dit ce qui se passe réellement. Comme Société civile, on est dans l’embarras. La communication est faible. Ni Cominiere ni AVZ ne communique sur le projet. Pour nous, nous pensons qu’il est temps que le pays profite de ses ressources naturelles, le peuple de Manono en premier lieu. Mais, il y a un flou autour de cette affaire. Ce qui fait qu’on a du mal à suivre ce qui se passe. Pour le moment, le territoire de Manono est calme. Il n’est plus classé dans le triangle de la mort ».
Mike Brown, directeur d’exploration d’AVZ, est d’avis que tout devait se décanter dans les prochains jours : « Nous sommes en train d’attendre le Permis d’exploitation pour mettre en valeur les 400 millions de tonnes avec une teneur 1,6% en lithium. L’étude de faisabilité a été concluante. Nous avions tout entrepris avec les géologues de la Cominiere, dont Alex Mwanabute (2 ans) et Augustin Kibwe Niando (3 ans) partant de 2017. En attendant le Permis d’exploitation qui va surement venir, nous accentuons la construction du camp et d’autres infrastructures ».
Balthazar Tshiseke, DGA de Dathcom, est confiant en l’avenir : «Nous avons de grands projets qui vont se greffer sur le lithium de Manono. Tout se fera sur place. La réhabilitation de la Centrale de Mpiana-Mwanga, en arrêt depuis des années, sera réhabilitée. Les études sont déjà finalisées. Tout comme la réhabilitation de la route Lubumbashi – Manono, long de 650 km. La piste de l’aérodrome de Manono est aussi dans nos projets. Bref, nous sommes prêts. Nous n’attendons que le go de Kinshasa ».
Manono garde encore son souffle, en attendant que Kinshasa décide du sort de son lithium, ce minerai très prisé dans l’industrie de fabrication des batteries électriques.
F. K. de retour de Manono (Tanganyika)