Dans son discours pour le 23e anniversaire de son accession au trône, le souverain chérifien a fixé d’ambitieux objectifs sociaux, économiques et diplomatiques.
Premier jour du nouvel an de l’Hégire, en l’occurrence 1444, le samedi 30 juillet 2022 a permis au Maroc de célébrer le 23e anniversaire de l’accession au trône de Mohammed VI. Pour ce faire, le souverain chérifien n’a pas dérogé à la tradition du discours du Trône, qui donne le tempo sur des sujets que le roi aura décidé de mettre en exergue pour montrer le cap que se choisit le royaume sur nombre de dossiers, politiques ou économiques, mais aussi sociaux ou environnementaux, dérèglement climatique oblige. Celui de cette année était particulièrement attendu vu les importants événements à haute portée géopolitique, géoéconomique et sociale qui se sont succédé depuis le discours de 2021, où le roi s’était montré particulièrement offensif.
Il faut dire que, lancé dans sa stratégie d’émergence et encouragé par des réalisations issues de partenariats multiples autant avec des structures de pays du nord que celles de pays du sud, le royaume chérifien a été particulièrement éprouvé par la pandémie de Covid-19 qui l’a percuté, mettant à nu ses faiblesses structurelles. Cela a justifié la mise sur les rails, par une Commission spéciale dédiée et installée sous l’autorité du roi, du Nouveau modèle de développement appelé à favoriser d’ici à 2035 un rééquilibrage global des structures en même temps que la résorption des importantes inégalités et fractures observées au sein du royaume. Comme si cela ne suffisait pas, alors que le Maroc cherchait à se remettre de la grave crise qu’a subie son secteur touristique, capital pour son économie, la crise issue de la guerre russo-ukrainienne est venue enfoncer le clou d’une situation déjà périlleuse et pleine d’incertitudes.
Dès lors, alors que l’exigence de faire converger les garanties et sécurités entre les secteurs formel et informel s’était révélée, la question de la protection sociale s’est présentée avec plus d’acuité. Plus que jamais, il convenait donc de travailler sur des mesures favorisant la cohésion de la population face à l’adversité. Cela dit, le Covid-19 et la crise russo-ukrainienne n’ont fait que s’ajouter aux nombreux dossiers auxquels le royaume devait et doit toujours faire face. Ils concernent, sur le front diplomatique et politique, des conséquences des accords d’Abraham, notamment sur la reconnaissance par les États-Unis de la marocanité du Sahara, la reprise des relations avec Israël, la rupture des relations diplomatiques avec l’Algérie. À plus d’un égard, ces sujets ont été abordés par le roi, qui a insisté pour la poursuite des initiatives déjà prises, mais aussi pour une obligation de résultat.
Cela dit, malgré leur importance, ces dossiers n’ont été évoqués par le roi Mohammed VI dans son discours qu’après la question du Code de la famille avec laquelle le souverain chérifien a ouvert son allocution de ce samedi 30 juillet. Preuve, hautement symbolique, que la question de l’égalité homme-femme revêt une place particulière dans le dispositif de développement du pays tel que le conçoit le souverain chérifien.
Quoi qu’il en soit, dans ce discours du Trône, le roi a choisi de fixer au gouvernement et à toutes les institutions concernées un objectif clairement désigné et identifié, une sorte de cahiers des charges qu’il convient d’appréhender comme les défis que le Maroc devra relever ces prochaines années. D’abord, le Code de la famille.
Pour un Code de la famille pour une égalité homme-femme complète
Donc, le roi Mohammed VI a d’abord abordé la question du Code de la famille. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Depuis l’avènement au trône chérifien de Mohammed VI, notamment avec la réforme du Code de la famille en 2004 et celle de la Constitution en 2011, qui consacre l’égalité homme-femme et érige le principe de parité en objectif, les réformes en faveur des droits des femmes ont connu des avancées substantielles. Le souverain a mis le doigt sur des écueils relatifs à l’application incorrecte du Code. Et donne sa vision. Pour le souverain, le Code est dédié à la famille entière. Il n’est propre et spécifique ni aux hommes ni aux femmes. À ses yeux, le combat des femmes pour l’égalité n’est pas encore arrivé à son terme. Explication : le Code de la famille, qui représentait en 2004 un véritable bond en avant, ne suffit plus en tant que tel.
Et le roi de pointer dans son discours nombre d’insuffisances auxquelles le Maroc devra remédier à travers la mise en place d’une deuxième génération de réformes en direction des femmes. Il s’agit pour lui d’« une condition sine qua non pour que le Maroc continue de progresser». Il a précisé par ailleurs que «l’esprit de la réforme ne consiste pas à octroyer à la femme des privilèges gracieux, mais, bien plus précisément, à lui assurer la pleine jouissance des droits légitimes que lui confère la loi ».
«Dans le Maroc d’au-jourd’hui, il n’est en effet plus possible qu’elle en soit privée», a-t-il indiqué, appelant les institutions constitutionnelles concernées par les droits de la famille et de la femme à être plus opérationnelles. Pour montrer qu’avec cette approche il est bien dans son rôle d’Emir El Mouminine, c’est-à-dire de Commandeur des croyants, le roi Mohammed VI a précisé que l’islam étant la religion officielle de l’État marocain, ces réformes devront être menées en «parfaite concordance avec les desseins ultimes de la Loi islamique [Charia] et les spécificités de la société marocaine».
Pour une meilleure mobilisation de l’État
Sur le volet de la gestion des conséquences de l’inflation et des contraintes liées aux conséquences de la guerre russo-ukrainienne, le souverain s’est aussi exprimé. Il faut dire que le contexte mondial lié aux instabilités géopolitiques est incertain et induit une hausse des prix dans plusieurs domaines, notamment au niveau des hydrocarbures, et ce malgré les efforts concertés de l’État et des secteurs public et privé. Le roi a rappelé à ce propos qu’«outre une modeste campagne agricole, des facteurs exogènes ont entraîné une envolée des prix de certains produits de première nécessité». Au plus haut sommet de l’État, le Maroc a ainsi réagi par un programme exceptionnel lancé par le roi en février dernier. Il a concerné une mobilisation de l’ordre de 10 milliards de dirhams, soit 940 millions d’euros. Par ailleurs, le royaume s’est également mobilisé pour allouer des crédits importants à la subvention de certains produits de base, ce qui a fait exploser le budget de la Caisse de compensation à plus de 32 milliards de dirhams, soit 3,04 milliards d’euros.
Pour aller plus loin, le souverain chérifien a lancé un appel à l’exécutif pour lutter contre les spéculations et la manipulation des prix. «Ces agissements doivent être combattus», a-t-il dit. Et de demander au gouvernement, mais aussi aux acteurs des cercles politique et économique du pays, d’offrir plus de facilités aux investissements étrangers et d’éliminer tous les obstacles qu’ils pourraient rencontrer.
Dans quelle situation se trouve le pays tel que vue par la Banque centrale marocaine au moment de cette demande ?
En présentant au souverain marocain le rapport annuel de la Banque centrale sur la situation économique, monétaire et financière pour l’année écoulée, Abdellatif Jouahri, son président, a planté le décor dans lequel le royaume devra trouver le chemin pour atteindre les objectifs assignés. Le Wali de Bank Al-Maghrib a indiqué que le royaume était sur une trajectoire de confiance avec un rebond de l’économie nationale et devrait enregistrer une croissance de 7,9 %. Conséquence salutaire de ce rebond : une nette hausse des recettes fiscales et un déficit budgétaire réduit et estimé à 5,9 % du PIB, et ce, alors que la reprise sur le marché du travail n’a été que partielle.
Pour la poursuite du chantier de la protection sociale
Au-delà, plus que jamais, le volet social a revêtu une importance particulière du fait de la crise sanitaire du Covid-19. Parallèlement à la manière dont le Maroc a géré la crise pandémique et la mise en œuvre de l’opération de vaccination générale et gratuite, malgré un coût onéreux pour le budget de l’État, le royaume a travaillé à accrocher les wagons sociaux à la locomotive économique. Aujourd’hui, le nombre d’adhérents à l’AMO (assurance maladie obligatoire), en l’occurrence les travailleurs non-salariés et leurs familles, a franchi la barre des 6 millions.
Pour le roi, il convient désormais de réussir ce chantier considéré comme le plus stratégique de son règne, et ce, autour de la généralisation de la protection sociale pour tous les Marocains d’ici à 2025. Un objectif ambitieux est fixé, car la barre à atteindre est celle de 22 millions d’adhérents. Quand celle-ci sera atteinte, les autorités marocaines en charge de la question de l’assurance sociale devront, selon le souhait du souverain, procéder à la généralisation graduelle des allocations familiales. Un changement majeur dans le pays.
Si les volets économique et social ont dominé le discours du Trône, celui de la diplomatie n’en a pas moins tenu une place importante. Aussi, le roi a-t-il abordé la question des relations du Maroc avec son voisin de l’Est : l’Algérie.
Pour un apaisement des tensions avec l’Algérie
À ce propos, c’est peu de dire que les relations sont mauvaises entre le Maroc et l’Algérie. Cette dernière est en désaccord complet avec le royaume chérifien sur plusieurs dossiers : celui du Sahara bien sûr, mais aussi celui des relations avec Israël que les accords d’Abraham ont totalement fait changer. Aujourd’hui, les relations diplomatiques sont rompues depuis août dernier, la frontière est fermée ainsi que le Gazoduc Maghreb-Europe (GME).
Sur le Sahara, aucune évolution n’est à attendre du côté marocain, la question est impérative et non négociable parce que d’intégrité territoriale. Quant aux relations avec Israël, elles sont en train de se renforcer entre le Maroc et l’État hébreu au grand dam de l’Algérie d’Abdelmadjid Te-bboune. Au-delà de la dimension économique et politique, il y a celles de la sécurité et de la coopération militaire qui avancent à grands pas. De quoi nourrir un statu quo que le roi Mohammed VI souhaiterait faire bouger à l’avenir.
Pour la deuxième année consécutive, le souverain chérifien a en effet tendu la main aux Algériens, continuant de jouer la carte de l’apaisement en plaidant pour un Maroc et une Algérie qui travaillent ensemble, et pour l’établissement de relations normales.
«Les deux peuples sont unis par l’Histoire, les attaches humaines et la communauté de destin», a-t-il rappelé, déplorant la fermeture des frontières. Et de considérer que les frontières entre les deux pays ne seront jamais «des barrières empêchant l’interaction et l’entente» entre les deux peuples, mais aussi d’exhorter les Marocains à préserver «l’esprit de fraternité, de solidarité et de bon voisinage qui les anime à l’égard de leurs frères algériens».
Dans un environnement géopolitique et géoéconomique relativement instable, le Maroc pourra-t-il relever dans le court terme tous ces challenges à haute portée économique, sociale et diplomatique ? La question est posée. Il convient de se dire que c’est déjà un pas important que ces défis soient identifiés au plus haut sommet de l’État et formulés dans un exercice destiné à l’ensemble du peuple marocain. Une forme d’inclusivité au moins au niveau de la prise de conscience de leur existence.
Econews avec Le Point Afrique