La Cour constitutionnelle a vivement marqué les esprits mercredi en requérant 20 ans de travaux forcés et une arrestation immédiate contre l’ancien Premier ministre Matata Ponyo Mapon, dans le cadre de l’affaire, dite Bukanga-Lonzo. Deux autres accusés, dont l’ex-gouverneur de la Banque centrale du Congo (BCC), Deogratias Mutombo, et le Sud-Africain Christo Grobler, sont également dans le collimateur.
Une décision qualifiée d’historique par certains, mais qui soulève de vives interrogations sur son fondement juridique.
UN REQUISITOIRE « A LA PONCE PILATE » ?
Le Parc agro-industriel de Bukanga-Lonzo, lancé en 2014 sous l’impulsion de Matata Ponyo, alors Premier ministre, devait incarner la modernisation agricole de la RDC. Doté d’un budget initial de 83 millions de dollars US, ce projet, financé par l’État congolais et des partenaires étrangers, a rapidement été éclaboussé par des allégations de détournements massifs, de surfacturations et d’opacité.
L’affaire, suivie par la Cour constitutionnelle depuis 2021, cristallise les tensions entre volonté de justice et suspicions de calcul politique.
Vraisemblablement, le procureur général près la Cour constitutionnelle a suivi la «clameur publique», selon les termes d’observateurs, en exigeant une peine maximale contre Matata Ponyo, aujourd’hui député national. Une démarche comparée, dans les milieux critiques, au geste de Ponce Pilate cédant à la foule réclamant la crucifixion de Jésus. «Crucifiez-le ! », ironise un avocat sous couvert d’anonymat, dénonçant une justice « à géométrie variable », alors que d’autres acteurs accusés de pillage économique circulent librement.
SIX QUESTIONS QUI EBRANLENT LA LEGITIMITE DE LA PROCEDURE
La décision de la Cour constitutionnelle divise les praticiens du droit, qui pointent des incohérences juridiques majeures :
Compétence personnelle : La Constitution (article 161) limite la Cour aux litiges électoraux, contrôles de constitutionnalité et conflits entre institutions. Rien ne mentionne des poursuites pénales contre des personnalités politiques.
Immunité parlementaire : Matata Ponyo, en tant que député national, bénéficie normalement d’une immunité (article 106), sauf levée par l’Assemblée nationale. Or, aucune procédure en ce sens n’a été rapportée.
Chronologie trouble : L’instruction a débuté alors que Matata Ponyo était sénateur (2020), puis député national (2023). Pourquoi la Cour n’a pas pris en compte son changement de statut ?
Compétence matérielle : Aucune des attributions de la Cour (articles 160 à 167) ne couvre les affaires pénales.
Application des articles 166 et 167 : Ces articles concernent les conflits de compétence et les recours en interprétation constitutionnelle – non les infractions économiques.
Voies de recours : Si condamné, Matata Ponyo ne pourrait faire appel que devant… la même Cour constitutionnelle, faute de juridiction supérieure en la matière.
Un précédent dangereux pour l’État de droit ?
Pour un avocat constitu-tionnaliste, joint par Econews, « cette affaire instrumentalise la justice pour régler des comptes politiques ». La Cour, selon lui, « outrepasse ses missions en s’érigeant en tribunal pénal », risquant de créer un précédent permettant de contourner l’immunité des élus.
Alors que Matata Ponyo, figure de l’opposition, dénonce une « persécution », des voix s’élèvent pour demander pourquoi d’autres responsables cités dans différentes scandales financiers (dont des proches du pouvoir actuel) ne sont pas inquiétés. « La justice doit être impartiale, pas sélective », fustige une ONG locale.
A tout prendre, l’affaire Bukanga-Lonzo dépasse le cadre judiciaire : elle interroge la crédibilité des institutions et l’équilibre des pouvoirs. Entre quête de légitimité populaire et respect des procédures, la RDC navigue en eaux troubles.
Alea jacta est ? Pas tout à fait. Par ce temps de décrispation politique, un revirement de la Cour constitutionnelle n’est pas exclu.
Hugo Tamusa