Candidat à la présidentielle du 20 décembre prochain, Moïse Katumbi se présente comme le principal challenger du président-sortant Félix Tshisekedi. Si le camp de Tshisekedi redoute de sa nationalité congolaise, le présentant comme détenteur de la nationalité zambienne, interrogé par RFI, le candidat n°3 a tout renié3 : «Je n’ai jamais pris le passeport zambien», prenant pour preuve une lettre du ministre zambien des Affaires étrangères, largement partagée sur la toile. En ligne de Kinshasa, le leader du parti «Ensemble pour la République» répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
RFI : Vous promettez de mettre fin à la guerre qui sévit à l’Est depuis trente ans, mais si vous êtes élu, qu’est-ce que vous ferez de mieux que Félix Tshisekedi pour redresser la situation militaire ?
Moïse Katumbi : Vous savez, d’abord, j’ai un programme pour redresser la situation militaire, parce que Monsieur Tshisekedi a oublié l’armée. L’armée est très mal payée. Nos militaires ne sont pas motivés, si un militaire touche moins de cent dollars. Pour moi, on doit résoudre ce problème de salaire. On doit équiper l’armée. Nous avons de très bons militaires, mais très mal payés, donc démotivés.
Et si vous êtes élu, vous allez augmenter la solde des militaires de combien ?
Si je suis élu, je vais augmenter leur salaire et [celui des] fonctionnaires de l’État et [de] tout le monde, parce que l’argent est là. Pour le moment, vous voyez que nos députés à nous touchent plus ou moins 25 000 dollars par mois et qu’un militaire touche moins de cent dollars, donc ça démotive nos militaires. Au lieu d’aller chercher des mercenaires qui nous coûtent plus de 9 000 dollars par mois alors que le militaire touche moins de cent dollars, c’est un problème. Je n’ai pas les chiffres en tête, mais les militaires seront bien rémunérés.
Le président Tshisekedi compare son homologue rwandais, Paul Kagame, à Hitler et l’expansionnisme du Rwanda à celui de l’Allemagne nazie. Est-ce que vous êtes d’accord avec cette comparaison ?
Vous savez, moi, je crois que le plus important pour nous, [c’est d’avoir] une très bonne armée. Si notre armée est respectée, les pays voisins vont aussi nous respecter, parce que, pour le moment, le problème, c’est quoi ? Nous avons un président qui pleure chaque jour, ce n’est pas en pleurant ou en attaquant qui que ce soit – Kagame ou un autre – que… Il faut passer à l’action. Si quelqu’un me provoque, je dois me défendre. Donc pour moi, ce qui est important, c’est d’avoir une efficacité, donc l’armée doit agir. On ne doit pas pleurer et dire : c’est de la faute de l’autre. Non. On a tellement pleuré et pleuré qu’on ne nous respecte plus.
Si vous êtes élu, vous promettez la fin de la pauvreté, mais justement, Moïse Katumbi, la gratuité de l’école primaire, est-ce que ce n’est pas à mettre à l’actif de Félix Tshisekedi sur le chemin de la lutte contre la pauvreté ?
Monsieur Boisbouvier, la gratuité n’existe pas. Comment voulez-vous… Je vous donne l’exemple de la ville de Kinshasa : le salaire d’un enseignant, c’est 247.000 francs, c’est, plus ou moins, 85 dollars. Le loyer d’un enseignant est de 80 dollars, donc il lui reste cinq dollars, donc cette gratuité n’existe pas. Les enfants sont chassés de l’école et on est encore en train de rançonner le parent, et tous ces enfants sont chassés de l’école. Partout où je suis passé pendant la campagne, j’ai posé la question de savoir si la gratuité existait réellement au Congo. Elle n’existe pas. Elle existe dans le discours de Monsieur Tshisekedi, mais en réalité, sur le terrain, il n’y a pas de gratuité.
Moïse Katumbi, sur le terrain, quelles seront les premières mesures sociales que vous prendrez si vous êtes élu ?
D’abord, je vais diminuer le train de vie de l’État, je vais augmenter les salaires des fonctionnaires – donc les enseignants et les militaires – et surtout, je vais lutter contre l’impunité parce que, pour le moment, l’État de droit n’existe plus dans le pays. Et aussi et surtout, pour le social, j’ai un plan pour l’Est du Congo, parce que la province de l’Ituri et celle du Nord-Kivu ont beaucoup souffert. J’ai un plan de cinq milliards de dollars que je vais introduire dans les deux provinces, et vous allez voir par quelles recettes de l’État : je vais augmenter les recettes de l’État pour stabiliser le dollar, diminuer le taux du dollar dans notre pays, parce qu’aujourd’hui, c’est invivable quand le dollar est à 2 800 [francs]. Quand monsieur Tshisekedi a pris le pouvoir, le dollar était à 1 400 [francs], aujourd’hui, c’est le double, donc c’est très difficile pour le pauvre fonctionnaire de l’État, pour la population congolaise, de continuer comme ça. Donc, monsieur Tshisekedi n’a pas de bilan. Moi, quand je serai président de la République, je vais aussi donner de l’électricité à la population, parce que, pour avoir une économie forte – nous avons le barrage d’Inga, nous avons plusieurs centrales hydro-électriques –, on ne peut pas développer le pays s’il n’y a pas d’électricité. J’ai une population qui n’a pas d’eau potable, je vais donner de l’eau potable à la population. Donc, j’ai tout un programme.
Moïse Katumbi, vous dites que vous êtes un gestionnaire expérimenté, mais que répondez-vous à Félix Tshisekedi qui a déclaré il y a un mois, c’était sur RFI et France 24, que, quand vous étiez le gouverneur du Katanga, vous n’avez jamais pensé à construire un aéroport international à Kolwezi, la capitale mondiale du cobalt ?
(Rires). Ce que je répondrais à monsieur Tshisekedi, c’est qu’il ne connait pas son pays. Qu’il aille dans les archives – et monsieur Boisbouvier, vous pouvez regarder –, j’ai trouvé la piste de Kolwezi, la longueur de la piste était de 1,3 kilomètres, j’ai moi-même agrandi cette piste à 2 500 mètres – les images existent –, donc j’ai fait la piste, j’ai fait la route de Kolwezi jusqu’à Kasumbalesa, j’ai posé plus de vingt-neuf ponts. Donc la piste de Kolwezi, c’est moi. Et il y avait des avions qui atterrissaient directement d’Afrique du Sud. Donc il ne connait pas le pays, c’est un mensonge.
Depuis votre entrée en lice, Moïse Katumbi, vous avez bénéficié du désistement de quatre candidats, dont Matata Ponyo et Delly Sesanga, mais il reste plus de vingt candidats. Du coup, dans cette élection à un seul tour, est-ce que le sortant, Félix Tshisekedi, ne part pas favori ?
Mais vous savez, le candidat le plus faible aujourd’hui, c’est Félix Tshisekedi. Regardez mes images comparées aux images de Félix Tshisekedi. Moi, j’ai des candidats qui m’ont rejoint, des candidats très valables, qui sont venus parce qu’ils savent que nous devons reconstruire ensemble le Congo. Donc pour moi, que ce soit quand on était partis en 2018 à Genève, Tshisekedi était parti avec Kamerhe, Martin Fayulu était resté avec nous, Kabila était avec d’autres, donc dans notre camp, nous sommes les gagnants, et nous allons gagner ces élections parce qu’il y a un rejet de la population vis-à-vis de monsieur Tshisekedi. Le vrai opposant de monsieur Tshisekedi aujourd’hui, c’est la population congolaise, parce qu’il n’a pas de bilan, il n’a rien fait. Aujourd’hui, il continue de s’attaquer à moi, soi-disant que j’étais le candidat de l’étranger, parce qu’il n’a pas un bilan à présenter à la population. Quand il dit – je l’avais suivi sur RFI – qu’il a augmenté la desserte en électricité de 20 %, c’est très faux. Les chiffres de la Banque mondiale existent. En 2018, quand il prend le pouvoir, on était à 17,8 % et on est à 20 % [aujourd’hui], donc il a augmenté la desserte en électricité de 2 %.
Mais tout de même, Moïse Katumbi, le refus du docteur Mukwege de se désister pour vous, est-ce que ce n’est pas un motif de déception ?
Non, ce n’est pas un motif de déception. Le docteur Mukwege est candidat, je respecte tous les candidats. Moi, je sais que je suis en train de faire ma campagne, il est en train de faire sa campagne. Les images ne trompent pas, donc je suis sûr et certain que je vais gagner les élections avec mon équipe.
Selon plusieurs sources, à l’époque où vous étiez privé de votre passeport congolais, vous avez utilisé un passeport zambien pour voyager. Est-ce que vous ne risquez pas d’apparaître, comme disent Félix Tshisekedi et Jean-Pierre Bemba, comme un candidat de l’étranger ?
Vous savez, c’est un débat de caniveau, je n’ai jamais pris le passeport zambien, j’ai la lettre du ministre de l’Intérieur de la Zambie qui est sur internet, qui a même été réceptionnée par la Cour constitutionnelle. Est-ce que le passeport de Katumbi, c’est ça le bilan de monsieur Tshisekedi ? C’est un débat de caniveau. Je n’ai jamais eu de passeport zambien, je n’ai jamais voyagé avec un passeport zambien, donc cette histoire, c’est un mensonge. Monsieur Bemba lui-même, son père était portugais, il a de la famille portugaise. Moi, je ne vais pas renier mon père à cause de la politique.
Le 20 décembre, le président de la Céni, la Commission électorale nationale indépendante, Denis Kadima, promet que les élections seront transparentes, est-ce que vous lui faites confiance ?
Vous savez, nous espérons que monsieur Kadima va respecter sa parole. Pour avoir la paix dans ce pays, il faut avoir de très bonnes élections. S’il y a de mauvaises élections, ça va diviser le pays. Partout où je passe, je demande à tous nos partisans, à toute la population congolaise, de dormir au bureau de vote jusqu’à la fin du dépouillement et de compter les voix bureau de vote par bureau de vote. On n’acceptera pas d’autres résultats, ce seront les résultats qui seront affichés sur chaque bureau de vote.
Avec Christophe Boisbouvier (RFI)