Montréal : dans un discours engagé, Vital Kamerhe dénonce l’hypocrisie au sein de la Francophonie

Lundi dernier, à Montréal (Canada), un discours d’une grande portée politique a été prononcé par Vital Kamerhe, président de l’Assemblée nationale, devant l’Assemblée parlementaire de la Francophonie. A l’occasion, Kamerhe n’a pas mâché ses mots en fustigeant l’hypocrisie qui règne au sein du monde francophone.

Le président de l’Assemblée nationale a pointé du doigt la Rwandaise Louise Mushikiwabo, secrétaire générale de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), pour avoir éludé le rôle préjudiciable de son pays dans la crise qui secoue l’Est de la République démocratique du Congo (RDC). Avec une éloquence incisive, Kamerhe a dénoncé le double discours et la complaisance qui entourent les actions problématiques de certains pays membres de la Francophonie. Dans son discours poignant prononcé le lundi 8 juillet 2024 à Montréal, Vital Kamerhe a souligné l’importance de lutter contre l’hypocrisie et de promouvoir la transparence et la responsabilité au sein de la Francophonie. Il a appelé à une prise de conscience collective et à des actions concrètes pour faire face aux défis majeurs auxquels est confrontée l’Est de la RDC.

Econews

Déclaration de Vital Kamerhe à la 49ème session de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie

Avant toute chose, je voudrais transmettre les salutations de son Excellence Felix-Antoine Tshisekedi Tshilombo, Président de la RDC et de son peuple aux autorités canadiennes, au peuple canadien et aux honorables représentants des peuples francophones, à l’occasion de cette 49ème session de l’Assemblée Parlementaire de la Francophonie. Je voudrais également remercier la présidence et le secrétariat de l’APF pour la bonne organisation des travaux de cette session.

Ma modeste famille et moi-même vous remercions, pour la marque de compassion que vous nous avez témoignée, hier matin en vous référant à la tentative d’atteinte à notre intégrité physique, en date de 19 mai dernier attaque qui visait aussi la déstabilisation des institutions de la République.

Cette session intervient dans un contexte particulier caractérisé par la résurgence des guerres et des conflits entre les Etats ainsi que par la violation du droit international sur tous les 5 continents du Monde.
La communauté francophone dont nous faisons partie, devrait travailler pour le retour de la paix partout dans le monde.

En ce qui concerne l’Afrique et plus particulièrement la sous-région des Grands lacs, je voudrais, en ma qualité de Président de l’Assemblée Nationale de la République Démocratique du Congo, vous faire part de la situation dramatique qui prévaut dans mon pays depuis plus de trois décennies. Cette situation est marquée par la guerre d’agression dont la République Démocratique du Congo est victime dans sa partie orientale, plus précisément dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri.

Cette agression est l’œuvre du Rwanda et de l’Ouganda, deux pays voisins.

Il y a quelques jours, l’armée Rwandaise et ses protégés du M23 ont une fois de plus semé la désolation au Nord-Kivu, dans le grand nord où nous déplorons d’énormes pertes en vies humaines ainsi que la destruction de l’environnement.

Comme vous le savez, depuis deux ans, le Mouvement terroriste du M23 soutenu par le Rwanda, un pays francophone qui siège avec nous, a déclenché une guerre meurtrière et atroce dans la Province du Nord-Kivu.
Cette rébellion du M23 est soutenue aussi par l’Ouganda, qui abritait son quartier général avant sa résurrection.

UNE PIQUE VERS LOUISE MUSHIKIWABO

Il est regrettable que Madame la Secrétaire Générale de l’OIF ait fait le tour d’horizon des pays touchés par la guerre sans mentionner la guerre dans la partie orientale de la RDC qui est le premier pays francophone.

Je préfère croire que c’est un simple oubli et non une façon subtile d’éluder la présence des troupes Rwandaises et Ougandaises sur le territoire congolais.

Chaque jour, des dizaines de personnes sont tuées et des villages entiers sont incendiés.

L’armée rwandaise et le M23 poussent leur cynisme jusqu’à faire du viol des femmes et des filles congolaises une redoutable arme de guerre. Ces atrocités sont documentées par les Experts des Nations Unies qui estiment le nombre des victimes à plus de 500.000 rien que pour les dernières opérations.

Aujourd’hui encore, avant l’ouverture de cette plénière, le conseil de sécurité des Nations Unies a publié un rapport de ses experts intitulé «La conquête territoriale de l’armée Rwandaise dans l’Est de la RDC ».

Ces chercheurs mandatés par le conseil de sécurité de l’ONU font état, je cite : «De la présence de 3.000 à 4.000 militaires Rwandais déployés avec des lances missiles sur le territoire congolais. Ils estiment que les officiers rwandais ont de facto pris le contrôle et la direction des opérations du M23. Ils opèrent avec des pièces d’artilleries et des armes de gros calibres, des véhicules blindés avec radars et un système de missiles anti aériens ».

Ces experts accusent les autorités rwandaises d’avoir voilé l’intégrité du territoire de la RDC et les jugent responsables des actions du M23.

En dépit des efforts entrepris par Son Excellence Felix -Antoine Tshisekedi Tshilombo, Président de la République, depuis son avènement au pouvoir et malgré les pourparlers engagés dans le cadre du processus de Luanda et de Nairobi, la guerre continue de faire ses ravages. Sous le prétexte fallacieux de protéger des populations d’origine tutsi abusivement considérées comme victimes d’exactions, alors qu’elles sont représentées dans toutes les institutions de la République, Parlement , Gouvernement, Armée, Police, Cours et Tribunaux et ne se sont jamais reconnus dans les revendications du Rwanda et du M23.

Plus de 7 millions d’hommes, de femmes et d’enfants sont contraints à l’errance dans leur propre pays et vivent dans des conditions inhumaines dans des camps qui sont l’objet des bombardements ininterrompus de l’armée Rwandaise.

A ce jour, le nombre de morts occasionnés par cette guerre d’agression et de pillage des ressources de la RDC est estimé à plus de 10 millions sans que la communauté internationale, dont nos pays francophones sont membres à part entière, ne hausse le ton pour sanctionner et décourager ainsi les pays agresseurs, dont le degré de crime commis sur le sol congolais dépasse tout entendement. Ce qui se passe dans mon pays est autant dramatique que la situation que la communauté internationale continue de déplorer en Ukraine et au Moyen Orient.

Ce drame sécuritaire et humanitaire, largement mis en lumière par les Experts des Nations Unies, les différents rapports de la Mission d’observation de l’ONU et d’autres organisations régionales est le fait de la convoitise des richesses minières se retrouvant en RDC et dont l’exploitation illégale profite aux pays agresseurs et à leurs complices.

BRISER LA GLACE

C’est ici le lieu, de demander à notre Assemblée de sortir de la diplomatie contemplative et de s’engager résolument dans une approche agissante afin d’exiger du Rwanda et de l’Ouganda à retirer leurs troupes du territoire congolais.

Car cette guerre injuste imposée à la RDC par le Rwanda et l’Ouganda empêche notre peuple à engranger les dividendes de la démocratie et des efforts fournis par le Gouvernement Congolais afin d’améliorer les conditions de vie de sa population.

Enfin, la vocation de la République Démocratique du Congo, Pays situé au cœur de l’Afrique tout comme la vision de son président, est de créer au centre de l’Afrique un espace de prospérité commune et permettre ainsi à la RDC, de jouer son rôle naturel de locomotive de la renaissance africaine.

La paix retrouvée, la RDC n’avancera pas seulement, elle entraînera à coup sûr, au nom de la solidarité africaine, les autres pays africains dans sa marche vers le développement.

Distingués collègues,

La RDC, est un pays solution dans la lutte contre le réchauffement climatique grâce à ses forêts, ses potentialités en énergies propres, renouvelables et non polluantes, ainsi qu’en ressources minières. Elle est pourvue de beaucoup d’autres atouts inégalables notamment, une population estimée à 110 millions d’habitants dont 70% des jeunes, sa position géostratégique au cœur de l’Afrique, ses 120 millions d’Ha de terres dont 80 millions arables et 40 millions irrigables, bien exploitées la RDC est capable de résorber deux fois le déficit alimentaire mondial , soit nourrir près de 2Milliards de personnes .

La RDC est aussi considérée comme le Château d’eau d’Afrique, disposant de 53% d’eaux douces d’Afrique et 13% du monde, est une réponse appropriée à l’épineuse question de la désertification causée par le désert du Sahara qui à ce jour a causé le dessèchement du lac Tchad et du désert de Kalahari où le problème de terres arables commence à se poser avec acuité.

Enfin, je vais m’arrêter là, le potentiel énergétique de la RDC estimée à 100 000 MW, dont 44.000 à Inga, est une opportunité pour l’électrification et l’industrialisation de toute l’Afrique et une partie de l’Europe du sud et de l’Asie.

Point n’est besoin de souligner ici qu’avec ses minerais stratégiques, la RDC est au centre de la transition énergétique pour la fabrication des batteries pour les véhicules électriques.

Je vous épargne de l’énumération des autres minerais tels que le lithium, le coltan, avec une réserve mondiale de 75%, essentiel pour la fabrication des téléphones portables et autres composantes électroniques.

Au regard de ce tableau, vous conviendrez avec moi que mon pays devrait plutôt mériter l’attention et la protection des autres pays pour jouer pleinement son rôle dans ce monde qui change.

DES FLEURS A LA COMMISSION POLITIQUE

Je tiens à féliciter sincèrement la Commission politique de notre organisation interparlementaire qui a adopté une résolution pertinente sur la situation en RDC, lors de sa dernière réunion à Luxembourg, et demande à cette auguste assemblée de bien vouloir valider ladite résolution à l’unanimité afin de jeter les bases d’une paix durable dans la sous-région des Grands lacs et s’engager résolument dans le développement de cette partie du monde .

Pour terminer, je voudrais soulever ici quelques interrogations :
1. Cette guerre est-elle une fatalité ?
2. Cette guerre n’a-t-elle pas de solution ?
3. Que faisons-nous ici, la délégation de la RDC et moi-même, au moment où la population qui nous a élues continue à mourir à l’Est de notre pays ?

La solution la moins coûteuse est connue de tous, c’est le retrait des troupes Rwandaises et Ougandaises du territoire congolais qui va ouvrir la voie à une approche pacifique.

Nous devons renforcer la diplomatie parlementaire parce que la Rwanda, l’Ouganda et la RDC sont condamnés par l’histoire à vivre en bonne entente.

L’exemple de la France et de l’Allemagne devrait nous interpeller, qui furent des ennemis redoutables pendant la 2ème guerre mondiale, aujourd’hui complices, dans le cadre de l’Union européenne pour le bien de leurs peuples respectifs.

Tout en félicitant en avance mon collègue du Cameroun qui va prendre les rênes de l’Assemblée Parlementaire de la Francophonie , APF en sigle, à partir de 17 h aujourd’hui, je l’encourage dans sa vision issue de nos échanges d’hier en aparté pour encourager les parlements africains à accompagner nos exécutifs dans la recherche de la paix sur l’ensemble du continent, au Burkina Faso, au Mali et au Niger et évidemment en RDC .

L’Afrique doit aimer l’Afrique et se mettre au diapason des autres continents pour réaliser le rendez-vous avec sa propre histoire.

SOLIDARITE ET UNITE

En cette période de complexité et d’incertitude, il est essentiel que nous restions unis et solidaires, que nous partagions nos expériences et nos savoirs, et que nous travaillons ensemble pour construire un monde plus juste, plus paisible et plus durable.

Je vous remercie.

Montréal, le 08 juillet 2024
Vital Kamerhe
Président de l’Assemblée nationale