Obstruction de la mission de l’APLC dans le Grand Katanga : le Ministre des Finances tombe dans le jeu de la FEC par une mauvaise lecture de l’Ordonnance présidentielle

Une mission de « contrôle des preuves de paiement des taxes et des recettes non fiscales auprès des opérateurs économiques », décrétée par l’Agence de prévention et de lutte contre la corruption (APLC) dans quatre villes du Grand Katanga (Lubumbashi, Kolwezi, Likasi et Kambove), sur la base de sérieux indices de corruption, rencontre une rude opposition du Ministre des Finances, Doudou Fwamba, qui aurait pris fait et cause pour la FEC (Fédération des entreprises du Congo). A l’APLC, l’intrusion du Ministre des Finances surprend dans la mesure où elle remet en cause les textes fondateurs de ce Service Spécialisé du Cabinet du Président de la République. A quel jeu joue le Ministre Doudou Fwamba, jusqu’à fouler aux pieds de l’Ordonnance présidentielle créant l’APLC ? Décryptage.

Dans une démarche qui pourrait bouleverser le paysage économique de la région, l’Agence de prévention et de lutte contre la corruption (APLC) a décrété une mission de vérification des preuves de paiement des taxes fiscales et des recettes non fiscales auprès des opérateurs économiques dans quatre villes clés du Grand Katanga : Lubumbashi, Kolwezi, Likasi et Kambove. Cette initiative, motivée par des indices sérieux de corruption, se heurte cependant à une opposition farouche de la part du Ministre des Finances, Doudou Fwamba, qui aurait pris fait et cause pour la Fédération des entreprises du Congo (FEC).

Le climat est tendu depuis le lancement de cette mission de l’APLC, qui vise à assainir le milieu économique et à garantir la transparence des opérations financières dans une région souvent synonyme de pratiques douteuses. Les accusations de corruption, qui pèsent de manière chronique sur plusieurs acteurs économiques, ont conduit cette agence, créée sous l’égide du Président de la République, à agir avec fermeté. Cependant, l’intervention du Ministre Fwamba, qui semble privilégier les intérêts de la FEC, soulève de nombreuses interrogations.

Une mauvaise lecture des faits

Dans sa lettre référencée n°1209/CAB/MIN/FINANCES/JUR/UTL/2024 du 24 juillet 2024 adressée au Coordonnateur de l’APLC, il nous apparaît clairement que le Ministre Doudou Fwamba semble interpeller le Coordonnateur sur les missions et enquêtes que l’APLC effectue dans les entreprises et sociétés dans différentes provinces de la RDC, en vue de se rassurer que les différents droits dus à l’État, dont les impôts, taxes et redevances ont été effectivement versées au Trésor public.

Pour rappel, la création de ce Service Spécialisé au sein du Cabinet du Président de la République a été faite par l’Ordonnance présidentielle n°20/013 bis du 17 mars 2020. L’objectif du Chef de l’Etat était d’une part, de respecter la Convention de l’ONU contre la corruption et celle de l’Union africaine ratifiées par la RDC, et d’autre part, de faire de la lutte contre la corruption son cheval de bataille, dès son arrivée à la tête du pays.

Cette ordonnance rappelle le cadre de toutes les missions d’enquêtes, d’investigations et de prévention que mène l’APLC, aussi bien dans le secteur public que privé. Dès qu’il y a dénonciation relative à de la corruption qui serait portée à l’attention du Président de la République, cette agence a le devoir d’analyser, d’examiner et d’étudier tout indice, soupçon, acte, information ou rapport relatif à la corruption et/ou à des infractions y assimilés.

En analysant les différentes réactions et en lisant les principales observations faites sur les réseaux sociaux et dans les médias, plusieurs acteurs politiques ainsi que ceux de la Société civile, s’interrogent sur les réelles motivations de cette sortie médiatique, de la correspondance du Ministre des Finances. L’étonnement de plus d’un se situe sur le fait que, dans sa lettre, le Ministre des Finances semble ignorer les textes fondamentaux de l’Ordonnance décrivant le rôle, le fonctionnement et les missions de l’APLC, qui a été dotée d’une indépendance nécessaire pour lui permettre d’exercer efficacement ses fonctions à l’abri de toute influence indue !

Nous avons pu obtenir des plus amples informations sur l’ordre de mission de l’APLC n°070/APLC/CAB/COOR/MVL/PR/2024 du 04 juillet 2024 dont parle le Ministre dans sa lettre. Cette mission d’enquête fait suite à une dénonciation et rentre parfaitement dans le cadre des attributions de l’APLC. Il ne s’agit nullement d’une mission de  « contrôle fiscal ou des recettes non fiscales auprès des opérateurs économiques » comme cela est prétendu. Il s’agit d’une mission « pour contrôler les preuves de paiement des taxes d’implantation, rémunératoire annuelle et de pollution…des entreprises évoluant dans les villes de Lubumbashi, Kambove, Likasi et Kolwezi ».

Comme cela est bien repris dans l’ordre de mission, l’APLC s’est fait accompagner de deux experts, notamment un relevant du Ministère de l’Environnement et un autre d’une régie financière, en l’occurrence la DGRAD (Direction générale des recettes administratives, judiciaires, administratives et de participations) !

Ne pas jouer le jeu de la FEC

En s’adressant directement à la Fédération des Entreprises du Congo (FEC), dans son courrier, le Ministre des Finances semble donner des injonctions à une structure privée, mettant ainsi à mal la vision du Chef de l’Etat dans sa lutte contre cette gangrène qu’est la corruption, à travers l’APLC, le Service Spécialisé de la Présidence de la République qu’il a mis sous son autorité.

« Nous sommes convaincus que le Coordonnateur de l’APLC et le Ministre des Finances auront l’occasion de se rencontrer afin d’échanger sur la mauvaise interprétation par les services de ce dernier, des attributions reconnues à l’APLC pour mener ses missions d‘enquêtes relatives à toute dénonciation liée à la corruption et aux faits y assimilés. Ils œuvreront ainsi, ensemble, à améliorer le climat des affaires, à mener les activités de prévention contre la corruption, en sensibilisant les opérateurs économiques du secteur privé et du service public afin d’acquérir la culture de l’intégrité et de la bonne gouvernance », a confié à Econews une source interne de la Présidence de la République qui juge « inopportune » l’intrusion du Ministre Doudou Fwamba dans un domaine qui relève des prérogatives de cette agence, pour autant que la DGRAD, régie financière placée sous sa tutelle, accompagne les inspecteurs de l’APLC dans la mission diligentée dans le Grand Katanga.

La population attend beaucoup de l’APLC pour mettre fin à la pratique incivique de certains opérateurs économiques qui se sentent intouchables grâce à des soutiens de certaines personnalités politiques et militaires, et qui ne paient pas les impôts et taxes dus à la République.

Du côté de l’APLC, cette intrusion est perçue comme une remise en question des textes fondateurs de l’agence. Ses responsables n’hésitent pas à qualifier cette opposition de « pullule amère », considérant qu’elle constitue une entrave à leurs missions de contrôle et de répression de la corruption. Ils soulignent que le ministre, en prenant publiquement position contre leur initiative, non seulement affaiblit les prérogatives de l’APLC, mais aussi va à l’encontre de l’ordonnance présidentielle qui a vu la création de ce service spécialisé.

Analystes et observateurs n’écartent pas l’idée que le Ministre des Finances est pris dans un jeu complexe où les pressions venant du secteur privé se mêlent aux intérêts politiques. Doudou Fwamba, qui a gravi les échelons du pouvoir par la défense des entreprises et la promotion d’un climat d’investissement sain, semble aujourd’hui devant un véritable dilemme : d’un côté, protéger les intérêts économiques du pays, de l’autre, respecter la mission d’un organe, censé agir pour le bien commun.

Dossier à suivre.

Econews

Mission et cadre de collaboration de l’APLC

Article  2 : L’Agence a pour principale mission de définir et mettre en œuvre tous programmes permettant de détecter les agissements susceptibles d’être considérés comme relevant de la corruption ou d’une infraction y assimilée ; de mener toutes études et diligenter des enquêtes nécessaires ; de provoquer des poursuites pour faire sanctionner toutes personnes ou tous groupes de personnes, organisations, organismes, entreprises ou autres services impliqués dans les actes de corruption, de blanchiment des capitaux et de faits assimilés dans les   conditions   fixées   par   la   réglementation  en vigueur.

A ce titre, l’Agence est chargée notamment de :

1.  Analyser, examiner et  étudier tout  indice, soupçon, acte, information ou rapport relatif à la corruption, au blanchiment des capitaux et/ou à des infractions assimilées qui serait porté à l’attention du Président de la République ou de ses  services et  de  lui  proposer  des  mesures appropriées de détection, de prévention et de sanction  desdits  comportements  de  manière plus  efficace,  des  procédures  de  confiscation des produits illicites et de recouvrement des avoirs, revenus et autres profits obtenus au moyen de ces infractions, le tout dans le respect de la Constitution et des lois de la République ;

2.  Dans  l’éventualité  où  une  enquête  est déclenchée : réunir et établir des preuves suffisantes de corruption et des actes assimilés, avec pouvoir d’entendre toute personne ; faire requérir la mise en cause de la personne ou entité concernée et, le cas échéant, son inculpation et des poursuites par les instances judiciaires   compétentes ;    s’assurer   que   le dossier  ainsi  constitué  et  toutes  ses  pièces soient effectivement transmis et déposés auprès de  l’organe  judiciaire  compétent  et  des poursuites effectivement engagées ; veiller à ce que les conséquences de la corruption et des faits assimilés soient réparées, notamment par l’annulation ou la rescision d’un contrat, le retrait d’une concession ou de tout autre acte juridique analogue ou que soit prise toute autre mesure corrective ;

3.    Prendre   les   dispositions   appropriées   pour : assurer une protection efficace des témoins et des experts contre les représailles ou les actes d’intimidation dont ils feraient l’objet pour leur intervention tendant à caractériser les faits considérés ; assurer la même protection à toute personne qui, de bonne foi et sur la base de soupçons  raisonnables,  signalera  ou  aura signalé à l’Agence des faits concernant les infractions ici visées ; encourager les personnes ayant participé à la commission d’une telle infraction à coopérer avec l’Agence ;

4.    Accompagner les entités ou personnes qui ont subi un préjudice du fait d’un acte de corruption, de blanchiment des capitaux ou d’une infraction y  assimilée  lorsqu’elles  envisagent  d’engager une action en justice pour en demander réparation à ceux dont la responsabilité sera établie ;

5.   Rechercher les opportunités d’accès à l’appui d’organismes  internationaux  afin  de  renforcer ses capacités d’enquêter et d’initier des poursuites pour mieux lutter contre la grande corruption en République Démocratique du Congo ;

6. Collaborer avec les personnes, autorités, institutions et organisations de la société civile notamment qui, au niveau tant local qu’international, pourraient disposer d’éléments en   rapport   avec   la   corruption  et   les   faits assimilés recueillis dans l’exercice de leurs propres attributions ;

7.    Concourir à l’élaboration et à la mise en œuvre effective  des  stratégies  et  mesures anticorruption à différents niveaux ;

8.  Participer à la coordination administrative et centraliser puis diffuser les informations permettant d’aider à prévenir et à détecter les faits  de  corruption  et  des  infractions  y assimilées.

Article  3 : Dans l’accomplissement de sa mission, l’Agence dispose de l’indépendance nécessaire pour lui permettre  d’exercer  efficacement  ses  fonctions  à l’abri de toute influence indue. Elle a pouvoir de se saisir d’office de tout acte ou fait de corruption ou de faits y assimilés dont elle a connaissance. Elle peut recevoir les réclamations, plaintes et dénonciations de n’importe quelle personne physique ou morale.

Pour ce faire, elle peut requérir l’assistance de toute personne, tout organisme ou service public, toute autorité, notamment judiciaire, dont l’expertise est susceptible de faciliter sa mission, en particulier celle de détections et d’investigations des entreprises de corruption et faits assimilés ou d’y mettre un terme.

Lorsque l’Agence saisit directement les organes judiciaires compétents pour l’engagement des poursuites contre les personnes et organismes concernés, ils sont tenus d’y déférer en saisissant l’instance de jugement en conformité avec la réglementation en la matière.

L’Agence collabore avec le Gouvernement, la Direction du Cabinet du Chef de l’Etat et les services spécialisés de la Présidence de la République ainsi qu’avec les institutions, services, organismes, associations, partenaires et personnes physiques opérant au niveau local et international avec des missions similaires ou intervenant dans le champ de ses compétenc

L’Agence coordonne tous les services et organismes publics en charge de la lutte contre la corruption, le blanchiment des capitaux et les infractions y assimilées. A ce titre, pour les besoins des conventions et traités internationaux ainsi que pour toutes formes de coopération internationale, l’Agence est désignée comme l’autorité nationale de référence en matière de lutte contre la corruption.

Extraits de l’«Ordonnance n°20/013 bis du 17 mars 2020 portant  création,  organisation et fonctionnement d’un  service   spécialisé, dénommé Agence de Prévention et de Lutte  contre  la Corruption (APLC) »