Dans la province de l’Ituri et dans celle voisine du Nord-Kivu, on continue à tuer. Dimanche dernier, un conflit entre deux groupes armés présents en Ituri a viré à un carnage. Bilan : une cinquantaine de personnes tuées. Lundi, le même drame s’est reproduit en Ituri, faisant une dizaine de morts. De retour d’un périple qui l’a conduit successivement au Soudan du Sud et en Côte d’Ivoire, le Président de la République, Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo, retrouve un pays endeuillé dont la population de l’Est est la plus meurtrie. Peu avant de quitter Kinshasa, le Chef de l’Etat explique ces massacres en série par des graves dysfonctionnements au sein de l’Armée et de la Police. Comment y remédier ? Tshisekedi pense poursuivre avec les réformes. En attendant, Kinshasa continue à compter ses morts dans les provinces de l’Est.
On continue à tuer dans les deux provinces de l’Est sous état de siège depuis une année. L’Ituri et le Nord-Kivu comptent toujours leurs morts. Pour le moment, c’est la province de l’Ituri qui vole la vedette avec des massacres en série qui frisent un carnage bien planifié. En l’espace de 48 heures, près de 70 personnes (hommes, femmes et enfants) ont été tuées de la manière la plus ignoble entre dimanche et lundi dans les zones reculées de l’Ituri. Le coupable a été vite trouvé : les miliciens de la Codeco.
Voilà une année que les Forces armées de la RDC (FARDC) ont pris possession de ces deux provinces sous état de siège. Voilà deux ans aussi que des massacres sont perpétrés sans que Kinshasa ne parvienne à neutraliser les commanditaires.
En séjour à Abidjan, le Président de la République, Félix Tshisekedi, a évoqué cette question lors des échanges avec la communauté congolaise vivant en Côte d’Ivoire.
Sans détours, le Président de la République pointe du doigt les Forces armées de la RDC dans la situation désastreuse des provinces sous état de siège.
«Notre armée également y est pour quelque chose en ce qui se passe dans l’Est de notre pays. Il faut mettre de l’ordre. La Police également, elle favorise parfois certaines choses qui amènent l’insécurité. Il y a certaines choses qui arrivent suite à sa complicité », a dit d’emblée le Chef de l’Etat.
Pour contourner cette difficulté, il promet d’intensifier les réformes aussi bien dans l’Armée, la Justice que la Police.
«Voilà pourquoi je m’engage à faire ces réformes, au sein de la Justice, de l’Armée et de la Police. Parce que si nous n’avons pas une Justice qui fonctionne, il faut oublier l’État de droit, un État qui réussit, un État qui gagne. Il faut que notre Justice redore son blason longtemps terni », a indiqué le Président de la République.
Colère en Ituri
Pendant ce temps, en Ituri, la colère gagne la population locale qui se sent de plus en plus abandonnée et livrée au sort de groupes armés qui écument la province.
Selon La Libre Belgique, les massacres perpétrés entre dimanche et lundi dans le territoire de Djugu, en Ituri, ont ravivé la colère chez les habitants de cette province meurtrie.
La milice de la Coopérative pour le développement du Congo (Codeco) a encore frappé, dimanche 8 mai, aux abords de la mine d’or « Camp Blanquette », dans territoire de Djugu, alors que l’état de siège décrété par le Président Félix Tshisekedi dans les provinces de l’Ituri et du Nord Kivu, célébrait son premier anniversaire.
«Il y a 29 corps ramenés à la cité de Pluto. Six corps calcinés ont été enterrés sur place », avait déclaré à l’AFP Jean-Pierre Bikilisende, bourgmestre de la commune rurale de Mungwalu dans le territoire de Djugu. «Un bébé de 4 mois et une femme» figurent parmi les morts. « Ce bilan est provisoire, puisqu’il y a d’autres civils tués dont les corps ont été jetés dans des trous d’orpaillage et plusieurs autres civils sont portés disparus. La fouille se poursuit « ajoutait dimanche Jean-Pierre Bikilisende, qui regrettait : «Camp Blanquette est érigé dans la forêt, loin de la position militaire la plus proche. L’intervention est donc arrivée avec un peu de retard »
Lundi dernier, Dieudonné Lossa Dhekana, le coordonnateur de la Société civile de l’Ituri, a dressé un bilan encore plus terrible : «Il y a au moins 50 morts et près de 100 personnes kidnappées. Ce lundi matin, on a dû ajouter quatre décès sur cette liste.
En effet, sur les 7 blessés qui ont été transférés à l’hôpital général de Mungwalu, quatre ont succombé ce 9 mai au matin ».
M. Lossa Dhekana, comme d’autres personnes contactées en Ituri, s’inquiète de la violence de ces dernières attaques du Codeco qui surviennent « alors que le Président de la République a annoncé la tenue d’une table ronde pour mettre fin à l’état de siège. Faut-il s’attendre à une nouvelle flambée de violence ? La situation s’était un peu apaisée après le passage du Premier ministre mais depuis l’annonce du président, la violence redouble. C’est très inquiétant mais il faut maintenir le cap et mettre fin à cet état de siège qui n’a apporté aucune réponse à la violence que nous connaissons ici »
« Remplacer les militaires »
Dans l’Ituri, la population en appelle au départ de tous les militaires en poste avant ou pendant l’état de siège. «Il faut renvoyer tous ces hommes. Il y a trop de connexions entre les militaires et les rebelles », expliquait un jeune activiste, Christophe Matumona, avant d’enchainer : «Tant que ces militaires resteront en place, il n’y a rien à attendre de positif»
M. Lossa Dhekana ne cache son désarroi : « Si rien ne change, s’il n’y a pas plus de mobilisation à Kinshasa, le peuple d’Ituri sera exterminé. Le Président de la République reviendra-t-il ici quand tous les Ituriens auront été massacrés ? Je ne sais pas s’il sera à l’aise dans ce type de scénario… ».
Nouveau massacre de civils
Au moins 14 civils ont été tués lundi dans un camp de déplacés en Ituri, dans le nord-est de la République Démocratique du Congo, par des miliciens présumés du groupe armé Codeco, a indiqué mardi un groupe d’experts, cités par AFP.
«Au moins 14 civils ont été tués au camp de déplacés de Lodda, près de Fataki » dans le territoire de Djugu en Ituri. «Les Codeco-URDPC sont soupçonnés », a affirmé sur Twitter le Baromètre sécuritaire de Kivu (KST), qui dispose d’experts dans cette région.
«Les miliciens Codeco sont venus vers 21H00, ils ont attaqué simultanément le site des déplacés à Lodda et le camp des militaires vers Fataki » distant de 9 km, a déclaré à l’AFP Jules Tsuba, président de la Société civile du territoire de Djugu.
Selon M. Tsuba, les deux attaques ont fait 15 morts dont un militaire et « la majorité des victimes sont des enfants ». Dans des clichés envoyés à l’AFP, on compte au moins 9 corps d’enfants qui baignent dans le sang, étalés à même le sol, certains éventrés.
Sur les 14 corps, la Croix-Rouge a identifié « 10 enfants dont l’âge varie entre 6 mois et 17 ans, il y a 2 femmes et 2 hommes », a détaillé pour l’AFP son président dans le territoire de Djugu, Ernest Dhekana. « Onze blessés sont à l’hôpital général de Fataki », a-t-il ajouté.
L’inhumation des corps des civils est prévue ce mercredi, a indiqué, de son côté, Jeanne Alasha, conseillère du gouverneur militaire en charge des Affaires sociales. En attendant, ils sont gardés sous un hangar, tandis que le militaire a été enterré.
Pour rappel, le Codeco-URDPC (Union de révolutionnaires pour la défense du peuple congolais) est une fraction de ce groupe armé (Codeco) structuré autour d’une secte religieuse. Cette milice prétend défendre les membres de la communauté Lendu contre la communauté rivale Hema et contre les forces de sécurité.
Etat de siège
Le camp des déplacés de Lodda abrite majoritairement les déplacés, membres de la communauté Hema, une des communautés de cette région de l’Ituri qui a replongé dans les violences depuis fin 2017 avec l’avènement du groupe Codeco.
Un précédent conflit entre milices communautaires avait fait des milliers de morts entre 1999 et 2003, jusqu’à l’intervention d’une force européenne, l’opération Artémis, sous commandement français.
Parmi des dizaines de groupes armés présents dans la région orientale de la RDC en proie à des violences depuis 25 ans, le Codeco est présenté actuellement comme l’un des plus meurtriers.
La province aurifère de l’Ituri et celle voisine du Nord-Kivu sont placées sous état de siège depuis mai 2021. Cette mesure exceptionnelle qui a donné les pleins pouvoirs à l’armée et à la police n’a pas permis, à ce stade, de mettre fin aux violences.
Sous pression des élus et des militants des mouvements citoyens qui appellent à la levée de cet état de siège, le président Félix Tshisekedi a décidé d’évaluer l’efficacité de cette mesure.
Dans un rapport publié mardi à Kinshasa, Amnesty International a estimé qu’« aucune amélioration de la protection des civils n’a été constatée » sur le terrain malgré l’état de siège.
Cette mesure a plutôt « entraîné de nouvelles atteintes aux libertés fondamentales des personnes, au mépris total du droit international relatif aux droits humains et des normes connexes », note Amnesty.
Francis M.