Le président français Emmanuel Macron a officiellement enterré mercredi Barkhane. L’opération s’achève sur un incontestable sentiment d’échec.
Neuf ans après le déploiement de Serval en 2013 (devenue Barkhane en 2014), le président français Emmanuel Macron a annoncé mercredi de manière officielle, la fin de l’opération Barkhane au Sahel.
«J’ai pris la décision, en coordination avec d’autres acteurs, de mettre fin à l’opération Barkhane» : c’est donc par ces mots, que le chef de l’Etat a définitivement mis fin à une opération d’envergure, qui s’achève sur un incontestable sentiment d’échec.
Dans les faits, le chef de l’Etat a fait savoir, dès le 10 juin 2021, que l’opération prendrait fin sans que la France ait «terminé le travail» au Tchad, au Mali, au Niger, au Burkina Faso et en Mauritanie, où jusqu’à quelques 5.500 soldats ont été déployés.
Cette présence française, initialement motivée par les menaces terroristes qui pesaient dès 2012 sur le pouvoir malien, sous pression des rebelles d’opposition, a également permis à Paris, de poursuivre son objectif de sécurisation des mines d’or et d’uranium notamment présentes dans le grand Sahara africain.
Les dates clés
Au 1er août 2014, pas moins de 3.000 militaires sont déployés par Paris, avant que le ministère de la défense n’annonce, en 2018, une première augmentation des effectifs, portant leur nombre à 4 500.
En février 2020, le ministère des armées a ensuite acté une seconde augmentation de 600 soldats, faisant ainsi passer le nombre de soldats affectés à l’opération Barkhane à 5.100.
Au plus fort de la présence française, ce sont 5.500 militaires qui ont été recensés sur place.
Mais en dépit d’une communication bienveillante axée sur la lutte contre le terrorisme, la France commet une série d’erreurs, dont certaines très graves, qui lui coûtent cher dans l’opinion publique, tant au niveau national que sur la scène internationale à un moment où sa présence est plus contestée que jamais.
Les chiffres officiels faisant par ailleurs état de 59 soldats ayant perdu la vie sur zone depuis le début de l’opération, contribuent au fil des années à faire naître de nombreux questionnements politiques.
L’accident entre deux hélicoptères militaires français, qui a coûté la vie à 13 soldats en novembre 2019, reste à ce jour l’événement le plus marquant et ce drame a suscité de vifs débats politiques portés sur l’intérêt d’un maintien des troupes françaises au Sahel.
En janvier 2021, alors que la France est toujours sous le feu des critiques, les militaires de Barkhane bombardent un mariage, tuant au moins 19 civils près du village de Bounti au centre du Mali.
Mais plutôt que de reconnaître immédiatement sa responsabilité, le ministère des Armées entre dans un déni intenable en prétendant que la frappe a ciblé des terroristes.
Très vite, cette version est mise à mal par les témoignages publiés par la presse internationale et dès le mois de mars, l’ONU enfonce le clou en publiant un rapport mettant clairement en lumière la mort de 22 personnes dont 19 civils innocents.
Cet épisode marque particulièrement les esprits et conforte le sentiment anti-français déjà très présent dans la région, notamment sur le sol Malien.
L’inextricable crise franco-malienne
Si Paris entretenait des liens étroits avec Bamako, la situation s’est brutalement tendue après un premier coup d’Etat en août 2020, suivi par un second, perpétré neuf mois plus tard par des militaires maliens.
Depuis, le président de la transition malienne, AssimiGoïta, dirige le pays, sur fond de crispations avec la France.
Accusant les dirigeants maliens d’être «sur une trajectoire de rupture avec leurs partenaires internationaux», Emmanuel Macron confirmait en février dernier, la fin précipitée de la présence française dans le pays.
Quelques jours plus tôt, la crise atteignait son paroxysme avec la décision du Mali, d’expulser l’ambassadeur français à Bamako, Joël Meyer, suite à des propos virulents du chef de la diplomatie française à l’égard des autorités maliennes qu’il a qualifiées «d’illégitimes».
En septembre, à la tribune de l’ONU, le Premier ministre par intérim, Abdoulaye Maiga, estimait que son pays a été «poignardé dans le dos par les autorités françaises », à la suite de la décision unilatérale de Paris de retirer la force Barkhane du Mali.
Pointant ce qu’il qualifie « d’obscurantisme de la junte française nostalgique de pratique néocoloniale, condescendante, paternaliste et revancharde », le chef du gouvernement de la transition accusait la France d’avoir «commandité et prémédité des sanctions inédites, illégales, illégitimes et inhumaines de la Cédéao (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, NDLR) et de l’Union économique et monétaire ouest-africaine contre le Mali ».
Une plainte a été déposée en ce sens, contre la France par Bamako, et le Conseil de sécurité de l’ONU a également été saisi.
Mi-août, le dernier soldat de Barkhane quittait le Mali, marquant la fin d’une époque.
Barkhane s’en va mais la France reste
Depuis Toulon, où il a officiellement enterré Barkhane, Emmanuel Macron a néanmoins réaffirmé sa volonté de rester présent sur le continent.
Il a fait savoir que la stratégie française en Afrique «sera finalisée d’ici six mois» et qu’il fallait «changer de méthode».
«Notre engagement avec les pays africains doit être centré sur une logique d’appui et de coopération, c’est pourquoi nous lancerons une phase d’échanges avec nos partenaires africains, pour faire évoluer le statut et les missions des bases françaises en Afrique», a-t-il notamment annoncé.
Selon Emmanuel Dupuy, président de l’Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE), interrogé par l’Agence Anadolu (AA), la fin de l’opération «Barkhane », ne signifie pas un retrait des forces françaises de la région du Sahel, mais davantage une refonte de la stratégie opérationnelle française.
«Le redéploiement de la force Barkhane, créée pour lutter contre les GAT au Sahel, va se conjuguer avec une présence plus «ciselée »dans les pays limitrophes du golfe de Guinée pour accompagner les forces armées du Bénin, Ghana, Togo dans leur confrontation avec les organisations terroristes qui cherchent à agir au sud du Sahel », a expliqué le spécialiste.