Tourner la page de la colonisation et repartir sur de nouvelles bases, c’est tout le sens de la visite du Roi des Belges, Philippe, en République Démocratique du Congo. En 2020, le roi Philippe avait déjà fait un pas important en regrettant les «actes de violence et de cruauté» commis à l’époque où son ancêtre Léopold II avait fait du Congo sa propriété personnelle. Le Roi avait exprimé ses «plus profonds regrets» pour les «blessures» de la colonisation. Mercredi à l’esplanade du Palais du peuple, il a repris les mêmes messages, alors qu’en face, pour le Président de la République, Félix Tshisekedi, il faut tirer un trait sur le passé et se porter vers l’avenir. Deux visions des rapports entre Kinshasa et Bruxelles qui démontrent qu’il y a encore du chemin à parcourir pour rétablir des relations saines entre les deux capitales.
A l’invitation du Chef de l’Etat congolais, Félix-Antoine Tshisekedi, le roi des Belges, Philippe, né Philippe Léopold Louis-Marie, entame le quatrième jour de sa visite officielle en RDC qu’il va boucler par l’étape de Lubumbashi qu’il atteint ce vendredi et Bukavu, dans la province du Siud-Kivu.
En RDC, le Roi Philippe est venu avec de bonnes intentions, celles de rebâtir une relation qui a connu de nombreuses frictions aussi bien sous Mobutu que Joseph Kabila. Toutes ces bonnes intentions ont pour but de retisser de meilleures relations entre Bruxelles et son ancienne colonie, mais surtout de séduire les Congolais. La Belgique veut montrer qu’une autre coopération est possible avec la RDC. Une «opération séduction» qui se déroule alors que l’Europe perd sérieusement du terrain en Afrique. La Russie, la Turquie et la Chine sont maintenant omniprésentes sur le continent africain.
Et en assumant son lourd passé colonial, la Belgique espère pouvoir renouer sa relation privilégiée avec la RDC. Certes, la visite royale ne changera pas d’un coup de baguette magique les difficiles rapports entre la Belgique et la RDC, il aura néanmoins l’avantage d’inaugurer un nouveau cycle. Le Roi des Belges en est bien conscient.
Depuis son arrivée mardi à Kinshasa, le Roi Philippe multiplie des messages d’apaisement à l’endroit de l’ancienne colonie.
Mercredi dernier, deux-ième jour de son séjour congolais, le Souverain Belge a dédié cette journée à la mémoire et à la réconciliation. Entre les visites du Musée national de la RDC, du Mémorial aux anciens combattants, avant son adresse à la nation congolaise sur l’esplanade du Palais du peuple, le Roi des Belges a évoqué un passé douloureux qu’il assume pleinement.
Pour sa première visite en République démocratique du Congo, le roi Philippe a déjà marqué l’histoire des relations entre les deux pays en présentant publiquement, devant des milliers de Congolais, ses «profonds regrets pour les blessures du passé», reprenant à voix haute ce qu’il avait écrit en 2020, à l’occasion du 60e anniversaire de l’indépendance de la Rd-Congo.
Le discours royal a abordé cette envie «d’écrire un nouveau chapitre dans nos relations et de regarder vers l’avenir», rapporte La Libre Belgique dans son édition Afrique. Mais évidemment, sans oublier le passé «mais en l’assumant pleinement», dira le Roi, «afin de transmettre à la nouvelle génération une mémoire réfléchie et pacifiée de notre histoire commune» avant de poursuivre : «Le régime colonial comme tel était basé sur l’exploitation et la domination. Ce régime était celui d’une relation inégale, en soi injustifiable, marqué par le paternalisme, les discriminations et le racisme. Il a donné lieu à des exactions et des humiliations. A l’occasion de mon premier voyage au Congo, ici même, face au peuple congolais et à ceux qui aujourd’hui encore en souffrent, je désire réaffirmer mes plus profonds regrets pour ces blessures du passé».
«Des mots forts, des mots que certains attendaient depuis longtemps de la bouche du roi des Belges. Un Roi qui a su regarder le peuple congolais dans les yeux », enchaîne La Libre Belgique.
Pour sa part, le Président de la République, Félix Tshisekedi, ne veut pas s’attarder le rétroviseur. Selon lui, il faut vite tourner la page et se porter vers l’avenir.
Deux visions opposées qui prouvent qu’entre Kinshasa et Bruxelles, il y a encore du chemin à parcourir pour des rapports sains et apaisés.
Regards croisés
Lors de sa visite au Mémorial des anciens combattants, le Souverain belge a décerné une décoration au dernier ancien combattant congolais encore en vie de la «Force publique» (appellation de l’armée coloniale), ayant participé à la Seconde Guerre mondiale, le caporal Albert Kunyuku, qui vient de fêter ses 100 ans d’âge. Cet ancien combattant avait été enrôlé dans l’armée en 1940 et a fait partie du contingent militaire d’appui médical envoyé en Birmanie en 1945.
Assis sur une chaise roulante, le vieil homme a longuement serré la main et échangé quelques mots avec le Roi des Belges, penché vers lui.
«Le Roi vient de me faire des promesses. C’est très bien. Il faut les matérialiser », a ensuite déclaré à la presse le caporal Kunyuku.
«Décorer, c’est bien. Mais, il faut aussi indemniser les familles de ces anciens combattants qui ont perdu la vie dans une guerre qui ne les concernait pas », commente Madeleine Yowa, une infirmière de 43 ans.
Marie-Thérèse Bakuku, vendeuse au marché Gambela, dans la commune de Kasa-Vubu, parle même d’«hypocrisie» et demande elle aussi des «indemnisations conséquentes» pour leurs descendants. «Ils étaient des milliers, il n’en reste plus qu’un et on tente de sauver les meubles…», estime cette femme de 73 ans.
Le Roi Philippes était rendu ensuite au Musée national de la RDC (MNRDC), un établissement financé par des fonds sud-coréens et inauguré en novembre 2019. Consacré à l’histoire culturelle du pays, il abrite masques, ustensiles, instruments de musique, etc. Il y a restitué symboliquement un masque Suku au président Tshisekedi pour marquer le début de la restitution effective du patrimoine culturel congolais gardé depuis plus de 70 ans par la Belgique.
Certains Congolais, à l’instar du porte-parole du Gouvernement congolais, Patrick Muyaya, veulent y voir le début d’un «nouveau partenariat décomplexé, d’égal à égal», quand d’autres réclament encore excuses et réparations pour les souffrances endurées lors de la colonisation et les pillages des richesses de la RDC. Pourtant, les mots employés par le souverain, «ses regrets», valent, du moins, plus qu’un pardon.
Jeudi, la veille de son départ pour Lubumbashi, le Roi Philippe a visité l’INRB (Institut national de recherche biomédicale), avant d’échanger avec les femmes de la Société civile, juste après un shopping au marché des pagnes au niveau du beach Ngobila et un passage à l’Académie des beaux-arts.
Après Kinshasa, le roi Philippe se rend ce vendredi à Lubumbashi où il va prononcer un discours devant des étudiants de l’université du chef-lieu du Haut-Katanga. Le roi se rendra enfin à Bukavu (Sud-Kivu), dans une partie Est déchirée par près de trois décennies de violences armées.
Les enjeux de cette visite royale en RDC sont de taille. Ils sont multidimensionnels. D’ores et déjà, dans le conflit armé qui oppose à ce pays au M23, Bruxelles se dit prêt à apporter à Kinshasa son appui pour lui permettre de défende sa souveraineté. Qu’est-ce à dire ? Les prochains jours nous le diront plus.
Tighana Masiala