La primaire de l’Union sacrée de la nation tenue ce mardi 23 avril a débouché sur l’élection de Vital Kamerhe appelé, sauf improbable déconvenue, à occuper le perchoir de l’Assemblée nationale au cours d’un vote sans surprise. Sur 372 députés votants, l’élu de Bukavu a récolté 183 voix, suivi de Christophe Mboso, 113 voix et modeste Bahati, 69 suffrages exprimés. Outre les considérations d’ordre politique autour d’un « mot d’ordre » qui serait venu de la haute hiérarchie de la plateforme présidentielle, il y a lieu de reconnaître que Vital Kamerhe partait avec la faveur des pronostics. Son élection à la présidence de la chambre basse du Parlement vient conforter ses partisans au sein de la plateforme AA/UNC qui attendaient de longue date un retour de l’ascenseur de la part du chef de l’Etat qu’il a servi en toute humilité et loyauté, nonobstant un parcours en dents de scie dans sa relation avec Félix Tshisekedi.
« Ca ce n’est rien par rapport aux élections que nous avons eues à la présidentielle et aux législatives que nous avons gagnées haut la main ! » , déclarait Vital Kamerhe aux journalistes à son arrivée au Palais du peuple. Et peu après : «Que je gagne ou que je perde, je resterai loyal au chef de l’Etat Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo », a-t-il ajouté avec un léger sourire.
C’est donc en toute confiance qu’il a pris place à l’estrade, encadré à sa gauche par Christophe Mboso et Modeste Bahati à sa droite. Une place prémonitoire dictée par les hasards du protocole qui a fait réagir un internaute pour qui « la place du chef est connue ». Débutant son discours par la nostalgie qu’il ressentait en se retrouvant sur ces lieux qu’il occupait voici déjà 15 ans, Vital Kamerhe a clairement indiqué que la place lui manquait, et qu’il n’était pas question pour lui de la quitter désormais.
Le vote s’est déroulé sous la supervision de trois membres du Présidium de l’Union sacrée : Jean-Pierre Bemba, Augustin Kabuya et l’ancien premier ministre Sama Lukonde. Chacun des trois candidats disposant de cinq minutes pour résumer leurs programmes respectifs, Modeste Bahati, le premier à prendre la parole, a réaffirmé sa loyauté envers le président de la République.
MBOSO : UN DISCOURS MALENCONTREUX
Mais c’est l’adresse de Christophe Mboso qui a fait réagir en sens divers. Il a mis un accent particulier sur les gains matériels engrangés par les députés sous son mandat, passant outre le rôle dévolu à un élu du peuple, celui de légiférer et de contrôler l’Exécutif : «A mon arrivée », a-t-il indiqué, «les députés touchaient 4.000 dollars US. Maintenant, chaque député sait ce qu’il touche ».
Sous son mandat, a-t-il poursuivi, « les honorables députés ont acquis des jeeps Palissade ». Tout en prenant l’engagement, s’il est élu, de contacter des concessionnaires automobiles afin que chaque député puisse acquérir une nouvelles Jeep.
LES DÉS SONT JETÉS
En attendant les formalités du vote proprement dit du futur président de la chambre basse du Parlement, l’opinion reste tout de même partagée quant au score surprenant réalisé par le président du Sénat. Si l’élection de Vital Kamerhe ne faisait quasiment pas de doute, la déconfiture de Modeste Bahati laisse songeur.
Il n’est pas à exclure que l’homme paie sa gloutonnerie, étant parvenu à placer des membres de sa famille proche dans quasiment tous les organes délibérants. Une boulimie qu’il paie au prix fort et qui devrait le poursuivre au Sénat où ses chances de rempiler sont minces.
Les dés en sont donc jetés. Quitte au présidium de l’Union sacrée de savoir manœuvrer pour calmer des esprits qui d’ores et déjà s’échauffent. Un véritable exercice d’équilibrisme, dans une zone de turbulence prédite par Augustin Kabuya.
En décidant l’organisation d’une primaire visant la désignation du candidat de l’Union sacrée à la présidence de l’Assemblée nationale, le chef de l’Etat, autorité morale de la plateforme et président de fait de l’UDPS, a démontré sa perplexité à opérer un choix définitif entre ses plus proches alliés. Entre Vital Kamerhe et Modeste Bahati Lukwebo, et dans une moindre mesure Mboso Christophe croyait-on, Félix Tshisekedi a étalé son incertitude mais surtout, il a démontré son impuissance à s’affranchir de la nasse, solide, tissée par les idéologues de l’UDPS dont l’ossature est faite d’affinités tribalo-régionalistes le rendant inopérant quand il est question de se déterminer sur des décisions politiques décisives.
«DES PRIMAIRES » INÉDITES
L’organisation d’une élection primaire, en elle-même une nouveauté du genre, a soulevé la surprise jusque dans les rangs des plus radicaux des membres du parti présidentiel. « Les primaires ne figurent nulle part dans les textes de l’UDPS. Félix (Tshisekedi) a tous les pouvoirs, dont celui de désigner un président de l’Assemblée nationale; après tout, nous l’UDPS disposons d’une majorité confortable à l’Assemblée nationale. Je me demande de quoi il a peur », s’est exprimé sous le sceau de l’anonymat un haut cadre du parti croisé au détour des couloirs du Palais du peuple.
L’homme ne croyait pas si dire, à la lumière des circonstances qui ont poussé l’autorité morale à introduire la nouveauté des primaires dans le choix de la troisième personnalité dans l’ordre de préséance institutionnelle.
En effet, interrogé sur le sujet, Augustin Kabuya, secrétaire général de l’UDPS et ci-devant-Informateur, a laissé entendre que « c’est eux-mêmes (Bahati-Kamerhe-Mboso : ndlr) qui en ont décidé ainsi après leur rencontre avec le chef de l’Etat samedi dernier (…) Ils m’ont juste demandé de rédiger le communiqué appelant à l’organisation des primaires ce lundi ». Pour la simple raison qu’aucun d’entre eux n’a consenti à la désignation d’un candidat consensuel.
Le ton empreint de dépit employé par Augustin Kabuya est révélateur du profond mécontentement ambiant dans le cercle dirigeant de l’UDPS qui ne digère pas qu’aucun membre du parti ne figure parmi les nominés. Et lui-même, contraint par les instances internes de l’UDPS (certaine rumeur affirmant que la décision aurait été prise par le chef de l’Etat en personne) de se retirer de la course à la vice-présidence de la chambre basse pour soi-disant se consacrer pleinement à la marche du parti laisse planer une atmosphère délétère au sein d’une formation politique dont le scrutin de ce jour ne manquera pas de laisser des traces profondes.
DE FAUSSES CONVERGENCES
Entre les trois candidats, il existe certes des similitudes remontant à leur appartenance, jadis au PPRD pour l’un, et comme membres influents du FCC, la plateforme politique de l’ancien-président Joseph Kabila. Autant le premier s’était désolidarisé d’avec la mouvance kabiliste il y a 15 ans à la suite d’un malentendu né des opérations militaires conjointes avec l’armée rwandaise (Opération Umoja wetu. Janvier-février 2009) avant de rejoindre l’opposition et nouer alliance avec Félix Tshisekedi à la veille de la présidentielle de 2019, autant le second, déçu de n’avoir pas pu obtenir la présidence du sénat confisqué par ses alliés PPRD avait été l’un des premiers à lâcher Joseph Kabila et passé dans le camp des tshisekedistes avec son AFDC/A, il sera récompensé du siège tant convoité.
Dans leur proximité revendiquée à cor et à cri avec le chef de l’Etat dont chacun prétend être à l’origine de sa réélection, attendant des retombées en termes des plus hautes charges d’Etat, Vital Kamerhe partait avec une longueur d’avance, ses partisans rappelant sans cesse «l’humiliation » dont il ferait l’objet de la part de son allié qui n’a pas tenu à son égard le moindre engagement. Néanmoins aux yeux d’un public non averti, Kamerhe et Bahati particulièrement ont toujours affiché un semblant de convergence dans leur indéfectible loyauté et attachement au chef de l’Etat.
LAVER L’HUMILIATION KAMERHE
Sur les réseaux sociaux, les partisans de Kamerhe rappelaient à l’envi l’Accord de Nairobi qui n’a pas connu un début d’exécution. Aux termes de celui-ci en effet, Félix Tshisekedi, élu pour un mandat de cinq ans, devait à son tour supporter son allié à la présidentielle suivante. A l’UNC, le fait que leur leader ait accepté la fonction de directeur de cabinet du chef de l’Etat, avant sa condamnation à la prison dans la sulfureuse affaire du Procès dit de 100 Jours sont autant de circonstances qui auraient milité pour le retour de leur champion au perchoir de la chambre basse.
L’issue du vote à l’Assemblée nationale fait peser un gros risque sur la stabilité du pouvoir de Félix Tshisekedi qui en sortirait affaibli. La victoire de l’un ses alliés impliquant la débâcle des autres ne sera pas sans conséquences. La frustration ne viendrait certes pas de ceux avec lesquels il a composé dès le lendemain de le l’implosion de la coalition FCC-CACH au second semestre 2020, mais bien des partisans fanatisés de l’un et l’autre camps, qui ne s’empêcheraient pas d’agiter le spectre de la déconfiture des alliances avec la majorité présidentielle promise à une défaite retentissante aux futurs scrutins, aussi éloignés dans le temps qu’ils soient.
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