C’est l’un des enjeux les plus brûlants discuté lors de la COP28, qui s’est ouvert jeudi à Dubaï, aux Emirats Arabes Unis : la conférence climat réalisera-t-elle l’exploit d’acter la fin du pétrole, dont la plupart des pays industrialisés sont toujours dépendants ? Si certains experts pensent possible un tel scénario, d’autres ferment d’emblée la porte. Eléments de réponses sur un débat crucial pour l’avenir climatique de la planète.
La COP28 sera-t-elle celle du début de la fin du pétrole, l’hydrocarbure en grande partie responsable du dérèglement climatique ? Cette question cristallise à elle seule l’un des enjeux principaux de cette 28e conférence de l’ONU pour le climat, dont le coup d’envoi est prévu ce jeudi 30 novembre. Là où elle se tient, Dubaï, l’un des Emirats arabes unis (EAU) – septième producteur mondial de pétrole- esquisse un début de réponse.
Selon le politologue François Gemenne, co-auteur du sixième rapport du GIEC et spécialiste de l’adaptation au réchauffement climatique, il existe en effet un chemin : «Je comprends les critiques sur cette configuration particulière pour une conférence climat. Mais si on essaye de voir le verre à moitié plein, celle-ci est justement l’opportunité de poser frontalement la question à l’industrie pétrolière : veulent-ils faire partie de la solution ou pas ? En étant sur le devant de la scène cette année, la pression sur le secteur est maximale et cela pourrait aboutir à un résultat.»
En tout cas, Antonio Guterres, le secrétaire général de l’ONU l’appelle de ses vœux. Dans un entretien accordé à l’AFP, il estime en effet que la COP doit s’engager à une véritable «sortie » des énergies fossiles. Ce, même avec un calendrier progressif, estimant qu’il serait «dommage» de s’en tenir à une simple «réduction, vague et évasive ».
La crédibilité de la présidence de la COP, au cœur de l’enjeu
En revanche, du côté des ONG environnementales et certains experts du climat, cet espoir est loin d’être permis. La plupart estime que la double casquette de Sultan Al Jaber, président de la COP28 et dirigeant de la compagnie nationale de pétrole émiratie (Adnoc), tue dans l’œuf quelconque ambition sur le sujet. Avec cette présidence, le lobby du pétrole aurait, selon les ONG, un boulevard pour bouger le moins possible sur le sujet. L’objectif en toile de fond : faire fructifier jusqu’au bout les actifs pétroliers, et si le secteur doit les réduire, que cela se fasse le plus progressivement possible. C’est d’ailleurs la position prise par le président de la COP28 durant les pré-négociations ces dernières semaines.
D’après les ONG, cette thèse est renforcée par les nombreux nouveaux projets d’exploitation pétrolière actuellement en cours de déploiement. L’un des plus médiatiques est en ce moment le projet «EACOP» déployé en Ouganda par la major française TotalEnergies. Cette méfiance quant à la présidence de la COP s’est renforcée ce lundi avec l’enquête publiée par la BBC révélant que Sultan Al Jaber aurait tenté de négocier des contrats pétro-gaziers dans le cadre de sa mission à la tête de la COP28. Des allégations qualifiées ce mercredi de « fausses, incorrectes et inexactes » par le principal intéressé.
Quoi qu’il en soit, la crédibilité de la gouvernance de cette conférence climat n’a jamais été aussi déterminante dans les négociations sur une potentielle sortie du pétrole. Sur ce point, François Gemenne tient tout de même à apporter cette nuance : «Il faut quand même relativiser le rôle du président de la COP. La réussite de ces conférences climat dépend surtout des pays présents. De plus, Sultan Al Jaber est un diplomate habile, il pourrait nous étonner. »
Reproduire le scénario de la COP26 à Glasgow
Certains observateurs rêvent d’ailleurs que le scénario de la COP26 de Glasgow en Ecosse se reproduise en 2023 : pour la première fois en 30 ans de négociations sur le climat, l’ensemble des pays, y compris la Chine et l’Inde, se sont mis d’accord sur la réduction progressive du charbon, matière première fossile dont la combustion est plus émettrice de CO2 que le pétrole et le gaz naturel.
Mais pour de nombreux experts des COP, obtenir cette avancée pour le pétrole sera beaucoup plus difficile, les pays riches et industrialisés étant encore trop dépendants de cette source d’énergie. Selon différents rapports, pas moins de 48% des émissions mondiales seraient liées aux fossiles pour produire de l’électricité.
Au mois d’octobre, lors de la présentation des positions avancées pour cette COP, l’Union européenne a pourtant annoncé qu’elle défendra un objectif d’élimination du pétrole (sans captage de CO2), dans le futur accord. «L’UE ne produit pas ou peu de pétrole, c’est plus facile pour elle de défendre cette position. Il faut quand même l’avoir en tête», tacle l’ancien membre du GIEC.
La réalité du terrain revient au galop
L’Accord de Paris pour le climat à la COP21 en 2015, qui acta l’objectif historique de maintenir la température du globe à +1,5 °C par rapport à l’ère préindustrielle, a montré qu’une COP pouvait impacter l’agenda politique mondial. Mais comme la plupart des accords onusiens, celui-ci demeure un point de départ. Charge aux pays de le rendre concret dans la réalité… jusqu’à la prochaine COP.
Et sur le pétrole, force est de constater que la tendance mondiale n’est pas à la déconsommation. En effet, selon le dernier rapport de l’Agence internationale de l’énergie sur les «Perspectives énergétiques mondiales », pour atteindre l’objectif de l’Accord de Paris, le monde doit opérer une baisse de la consommation des combustibles fossiles de 25 % d’ici à 2030 et de 95 % d’ici à 2050. Un triplement de la capacité installée des énergies renouvelables et une réduction de 75 % des émissions de méthane provenant des combustibles fossiles sont aussi recommandés par l’AIE.
Dans un autre rapport paru ce mercredi, l’agence internationale, très consultée par les décideurs politiques et économiques, a même constaté que la demande mondiale de pétrole continuait de progresser et pourrait atteindre des records en 2024. Un scénario cohérent avec cette étude de l’agence ONU Climat, publiée mi-novembre. D’après celle-ci, les engagements climatiques actuels des pays mènent à 2% de baisse des émissions mondiales en 2030 comparé à l’année 2019. Bien loin des recommandations du GIEC, qui préconisent une réduction de 43% des émissions.
Cette photographie statistique des efforts encore à réaliser témoigne donc d’une réalité économique sur laquelle les COP ont finalement peu de prise : tant que la demande est là, l’offre suit. Les industriels du pétrole et les pays acheteurs sont-ils prêts à réduire la voilure ?
Rendez-vous le 12 décembre pour le savoir. En attendant, les négociations de la COP28 seront «ardues», selon l’Elysée, qui s’exprimait lors d’un brief presse samedi dernier.
Avec La Tribune