Résumé
Pour répondre aux défis structurels et financiers qui freinent le développement de la République Démocratique du Congo (RDC), il est impératif de mettre en œuvre des solutions innovantes capables de mobiliser des ressources significatives et de minimiser la dépendance à l’endettement public. Les recommandations clés de cet article incluent le renforcement institutionnel afin de créer un cadre incitatif aux investissements privés et l’adoption des mécanismes financiers alternatifs de mobilisation des capitaux. Une des priorités est de trouver comment faciliter la mobilisation des capitaux à travers notamment le recours à des financements mixtes (blended finance) utilisant des fonds publics limités pour dé-risquer des capitaux privés domestiques et internationaux. Cet article montre, à travers des exemples concrets, comment ces mécanismes pourraient être appliqués en RDC à des projets essentiels dans les infrastructures, l’agro-industrie, ou encore la transition énergétique. L’article est aussi un plaidoyer pour le développement d’un marché des capitaux domestique, en ce qu’il permettrait d’élargir l’espace fiscal du gouvernement et de canaliser l’épargne institutionnelle vers des investissements productifs. Le développement d’un marché des capitaux inclut la mise en place d’un cadre règlementaire et institutionnel – y compris une autorité de régulation des marchés financiers – ainsi que le développement des infrastructures du marché – dont une bourse des valeurs – et des instruments innovants tels que les obligations vertes ou sociales. Par ailleurs, la création d’une banque de développement et d’un fonds souverain est indispensable pour structurer des projets à fort impact social et économique. Ces institutions doivent être dotées d’une gouvernance transparente et professionnelle pour attirer des partenaires stratégiques et institutionnels. Enfin, pour amener plus d’attention à l’implémentation de ces solutions, la mise en place d’une structure agile et spécialisée, regroupant des experts en financements innovants, est recommandée pour conseiller le gouvernement, identifier des secteurs prioritaires et concevoir des projets bancables. Cette entité jouerait un rôle clé dans la coordination des efforts et dans l’élaboration de stratégies pérennes ; ce qui garantirait la cohérence des initiatives au-delà des cycles politiques.
Introduction
La République Démocratique du Congo (RDC) est un pays aux potentiels immenses mais largement inexploités. Malgré ses vastes ressources naturelles, qui comprennent des minéraux précieux comme le cobalt et le cuivre, ainsi qu’une biodiversité riche, la RDC continue de faire face à des défis de développement majeurs. L’économie congolaise est marquée par une faible diversification, une dépendance excessive aux exportations de matières premières et une instabilité macroéconomique persistante (World Bank, 2020). Les infrastructures sont insuffisantes, particulièrement dans les secteurs de l’énergie, des transports et de la communication, limitant ainsi le développement économique et social. De plus, l’accès limité à l’éducation et aux soins de santé aggrave les conditions de vie de la population, freinant le développement humain (UNDP, 2019).
Dans ce contexte des contraintes structurelles, le financement du développement de la RDC repose principalement sur les recettes mobilisées par les services publics. Cependant, cette approche s’avère inefficace, inadéquate et surtout non soutenable. Les recettes publiques sont souvent insuffisantes en raison d’une base fiscale étroite, d’une économie informelle dominante et d’une administration fiscale inefficace (IMF, 2021). En conséquence, l’espace fiscal de l’État à financer les investissements nécessaires pour stimuler le développement économique et social est sévèrement limité. De plus, les fluctuations des prix des matières premières sur le marché international entraînent une volatilité des recettes, rendant le financement du développement extrêmement incertain (Collier, 2017).
Plusieurs défis systémiques exacerbent les difficultés de financement du développement en RDC. Premièrement, la corruption endémique et les problèmes de gouvernance affaiblissent la confiance des investisseurs et détournent les ressources publiques de leur destination légitime (Transparency International, 2020). Deuxièmement, le climat des affaires en RDC est généralement perçu comme défavorable, avec des régulations complexes, des coûts élevés de transaction et une protection juridique insuffisante pour les investisseurs (World Bank, 2021). Troisièmement, le système bancaire congolais est dysfonctionnel, caractérisé par une faible pénétration bancaire, un accès limité au crédit et une faible intermédiation financière (IMF, 2020). Enfin, le marché financier congolais est soit rudimentaire soit inexistant, ce qui empêche les entreprises et le gouvernement de mobiliser des ressources à long terme nécessaires pour les investissements de grande envergure (African Development Bank, 2019).
L’objectif de cette note est de plaider pour une approche innovante du financement du développement en RDC. Il est essentiel de dépasser les modèles traditionnels basés presqu’exclusivement sur les recettes publiques et d’explorer des mécanismes de financement alternatifs et durables. Cette note met en lumière des stratégies qui peuvent permettre de mobiliser des investissements privés dans des projets commercialement viables grâce notammentau financement mixte (blended finance), aux partenariats public-privé (PPP) et autres véhicules d’investissements pouvant dé-risquer des investisseurs institutionnels ou privés domestiques et internationaux, aux structures de financement de l’industrie et des infrastructures adossées aux ressources naturelles du pays, et aux instruments financiers innovants de la finance durable profitant de l’importance stratégique de la RDC dans la transition écologique et la lutte contre le changement climatique. La RDC a le potentiel de mobiliser les ressources nécessaires pour un développement inclusif et durable si elle reformait ses institutions (y compris la justice), renforçait sa gouvernance, et assainissait le climat des affaires. Il y a en effet nombre de projets qui peuvent être conçus de telle manière à ce que l’Etat puisse utiliser ses ressources limitées pour attirer des investissements privés – le Souverain comme facilitateur plutôt que seul investisseur – et, de ce fait, transférer la gestion du risque vers les investisseurs qui savent les gérer. En conséquence, cette note est non seulement pertinente mais aussi urgente pour orienter les décideurs vers des solutions innovantes capables de transformer les défis actuels en opportunités de croissance et de développement pour la RDC.
Limites de l’approche de financement du développement de la RDC par les recettes publiques
Capacités humaines, institutionnelles et technologiques limitées pour la mobilisation des recettes
L’un des principaux obstacles à l’approche de financement du développement en RDC par les recettes publiques réside dans les capacités humaines, institutionnelles et technologiques limitées. La mobilisation des recettes nécessite des compétences spécialisées en matière de fiscalité, de gestion des finances publiques et de technologie de l’information, compétences qui sont souvent insuffisantes ou inexistantes en RDC (IMF, 2019). De manière générale, les institutions fiscales manquent de personnel qualifié et de systèmes modernes de gestion des recettes, ce qui limite leur capacité à collecter efficacement les impôts et autres revenus publics. En conséquence, l’administration fiscale est souvent inefficace, avec des taux élevés d’évasion fiscale et une faible base de contribuables enregistrés (World Bank, 2020). Cette situation est exacerbée par la corruption et la mauvaise gouvernance qui sapent encore davantage les efforts de mobilisation des recettes (Transparency International, 2020).
Dépendance des investissements aux cycles politiques
En RDC, la détermination des dépenses d’investissement est étroitement liée aux cycles politiques. Les décisions d’investissement sont souvent influencées par des considérations politiques à court terme plutôt que par des évaluations techniques et des plans à long terme (Collier, 2017). Cette dépendance aux cycles politiques entraîne une allocation inefficace des ressources, où les projets d’infrastructure et de développement peuvent être lancés ou interrompus en fonction des priorités politiques du moment plutôt que des besoins réels du pays. Par exemple, les investissements dans des projets de prestige à visée électorale peuvent être privilégiés par rapport à des initiatives de développement durable à long terme (IMF, 2019). Cette situation conduit à une fragmentation des efforts de développement et à une incohérence dans la mise en œuvre des politiques publiques.
Recettes publiques dépendantes de la nature et de la conjoncture internationale
Les recettes publiques congolaises sont comparables à la cueillette, dépendant fortement de la nature et de la conjoncture internationale. La RDC est riche en ressources naturelles, notamment en minéraux tels que le cuivre, le cobalt et l’or. Cependant, les revenus tirés de l’exploitation de ces ressources sont extrêmement volatils, fluctuant en fonction des prix mondiaux des matières premières (World Bank, 2020). Cette dépendance aux fluctuations des prix des matières premières crée une instabilité des recettes publiques, rendant difficile la planification et la mise en œuvre de projets de développement à long terme (Collier, 2017). De plus, les revenus issus des ressources naturelles sont souvent mal gérés, avec des problèmes de transparence et de reddition de comptes, ce qui réduit leur impact potentiel sur le développement économique et social du pays (EITI, 2020).
Inconsistance temporelle et manque de continuité dans les projets de développement
La dépendance aux cycles politiques et à la conjoncture internationale entraîne une inconsistance temporelle et un manque de continuité dans les projets de développement. Les changements fréquents de priorités politiques et les variations des recettes publiques dues aux fluctuations des prix des matières premières rendent difficile la mise en œuvre de projets de développement durables et cohérents (IMF, 2019). Les projets peuvent être abandonnés ou retardés en raison de l’instabilité des financements, ce qui conduit à une inefficacité et à un gaspillage des ressources (Collier, 2017). Par exemple, les projets d’infrastructure essentiels, tels que les routes, les ponts et les réseaux électriques, peuvent rester inachevés ou fonctionner en deçà de leur capacité en raison de la discontinuité des financements (World Bank, 2020). Cette inconsistance dans le financement et la mise en œuvre des projets de développement limite la capacité de la RDC à réaliser ses objectifs de développement économique et social à long terme.
Nécessité de mécanismes de financement innovants
Maximisation de la finance de développement
Le pays est actuellement confronté à de nombreux défis, notamment l’instabilité dans l’est, les besoins de développement des programmes sociaux – en particulier l’éducation de qualité et la santé – et la construction des infrastructures. Selon le rapport sur le financement du développement durable (United Nations DESA, 2024), les besoins de financement annuels pour atteindre les objectifs de développement durable (ODD) d’ici 2030 dans les économies émergentes et frontières sont estimés entre 2.5 et 4 mille milliards (trillions) de dollars par an. Selon les perspectives économiques mondiales produites par le Fonds Monétaire International (IMF, 2024), plus de 6.8 milliards de personnes vivent dans les économies émergentes et en développement. Cela équivaut à un besoin moyen de près de 600 dollars par individu et par an dans ces pays, soit des sommes énormes pour un pays comme la République Démocratique du Congo (RDC). La RDC ne peut donc pas compter uniquement sur l’espace fiscal limité du gouvernement pour répondre aux besoins de financement substantiels nécessaires au développement d’une économie résiliente et durable. En même temps qu’il est crucial d’améliorer l’efficacité de la collecte et de l’allocation des revenus de l’État, il est tout aussi important de dépasser le financement caisse des projets pour s’appuyer davantage sur des mécanismes financiers alternatifs de mobilisation des capitaux privés domestiques et internationaux pour relever le défi du développement en RDC.
Investir dans des réformes institutionnelles comme gage de mobilisation des investissements privés
Malgré l’existence de montants énormes d’actifs sous gestion à travers le monde et le développement d’une épargne institutionnelle domestique, plusieurs défis continuent de limiter les investissements de ces capitaux privés dans notre pays. Parmi ces défis, on peut citer l’incertitude réglementaire et politique, le manque de capital-risque pour faciliter la participation des fonds commerciaux, le manque d’information (données) et autres infrastructures de marché, ainsi que les difficultés à développer des projets bancables. Cet article d’opinion ne s’attardera pas sur certains éléments importants mentionnés plus haut qui peuvent accélérer la mobilisation des financements privés pour des projets, tels que la nécessité d’assainir le climat des affaires, de supprimer les barrières réglementaires, de faire attention au dirigisme des prix et autres provisions prudentielles auprès des investisseurs institutionnels qui limiteraient les investissements de moyenne et longue durée et favoriseraient de la spéculation. Il n’abordera pas non plus la nécessité critique de développer un marché monétaire et une politique de contrôle des capitaux incitative au développement du marché des prêts (inter)bancaires et à l’économie en Francs congolais, ni le besoin d’une repensée stratégique de l’assiette fiscale et de la rationalisation des dépenses de l’État.
Financements innovants comme moyen d’étendre l’espace fiscal du gouvernement en RDC
Cet article se concentrera plutôt sur des structures innovantes de mobilisation des capitaux privés qui peuvent être mises en place en RDC afin d’améliorer l’impact des intermédiaires financiers (banques commerciales et gestionnaires d’actifs) et le recours aux structures d’investissements (PPP, fonds structurés d’investissements, et autres plateformes de mobilisation des capitaux privés) pour mieux mobiliser et attirer des investissements directs étrangers (IDE) (OECD, 2020), tout en gardant un rôle pour l’État et les investisseurs nationaux. L’article abordera également l’importance de la réduction des risques et du financement mixte (blended finance) pour attirer les capitaux privés, ainsi que les différentes options de la finance durable accessibles au pays en relation avec la position stratégique du pays dans la gestion climatique et la transition énergétique. Le concept de financement innovant réfère à une gamme de solutions et mécanismes financiers qui sont utilisés comme alternatifs à l’endettement public. Ils servent à suppléer aux financements caisse du gouvernement et s’appuient sur des techniques de mobilisation des fonds privés domestiques et internationaux. Les financements innovants sont au centre des techniques d’extension de l’espace fiscal réduit du gouvernement et de la stratégie de la maximisation de la finance du développement. Ils permettent d’obtenir un effet de levier sur les fonds limités du gouvernement en instituant une approche d’un état facilitateur des investissements privés plutôt que seul investisseur. Le recours aux financements innovants permet ainsi d’amener dans le développement et financement des projets non seulement les fonds privés mais aussi de l’innovation et une meilleure gouvernance et gestion des risques à travers l’expertise des investisseurs et gestionnaires impliqués.
Exemples des structures innovantes qui peuvent être mise en œuvre en RDC. _
Il y a plusieurs projets exécutés de manière inefficiente ou en discussion depuis des années en RDC qui auraient pu être réalisés avec succès et avec un recours minimal à l’endettement public (ou sans une abdication complète des ressources du pays) si des financements innovants avaient été utilisés. Voici quelques exemples concrets.
Rachat par emprunt comme alternatif aux « contrats chinois »
Une des raisons fondamentales pour la mise en place des contrats chinois étaient que le pays n’avait pas de ressources financières suffisantes pour investir dans le renouvellement des équipements vétustes de la Gécamines et financer en même temps le développement des infrastructures. Ces contrats, qui impliquent des échanges de ressources naturelles contre des infrastructures, ont souvent été critiqués pour leur manque de transparence et leur inefficacité. En utilisant des mécanismes de financement innovants comme les partenariats public-privé (PPP), les fonds structurés d’investissement, ou du rachat par emprunt – également connu sous le terme anglais “leveraged buyout” (LBO) –, la RDC aurait pu attirer des capitaux privés tout en continuant à garder un meilleur contrôle sur ses ressources naturelles. Un LBO consiste à acheter une entreprise en utilisant une quantité significative de dette pour financer l’acquisition. Les actifs de l’entreprise cible sont souvent utilisés comme garantie pour les prêts contractés. Comme alternative des contrats dits chinois, le pays pouvait mettre en place une société mixte de capital-investissement qui inclurait l’Etat congolais et d’autres investisseurs domestiques et internationaux et n’utiliserait qu’un investissement initial limité, le reste étant financé par des emprunts contre les ressources minières. Une telle structure permettrait de maximiser le rendement sur les fonds propres investis, de maintenir la possibilité pour le gouvernement de continuer à percevoir les dividendes de la compagnie et d’en ouvrir le capital aux investisseurs institutionnels ou des privés nationaux. Le LBO permet de jouir des effets de levier sur 4 niveaux différents : (i) sur le plan juridique (une structure du passif qui exige un niveau relativement bas des fonds propres), (ii) sur le plan financier (un effet de levier sur les fonds propres autour de 3.3), (iii) sur le plan fiscal (ces structures sont généralement accompagnées des incitations fiscales), et (iv) sur le plan managérial (grâce à une structure de gouvernance plus rigoureuse et à des améliorations opérationnelles). La structuration d’un LBO doit cependant être bien pensé car les paiements d’intérêts et de principal peuvent mettre une pression significative sur les flux de trésorerie de l’entreprise. L’importance des gisements miniers en RDC auraient cependant permis de maintenir cette charge de la dette facilement gérable. Nous abordons plus loin les méthodes de financement des infrastructures.
Usine des batteries
L’usine des batteries aujourd’hui tant débattue pourrait être financée en recourant aux mécanismes de financement qui permettrait de combiner des fonds publics et des investissements privés commerciaux. Il est important que le véhicule d’investissement soit constitué de manière professionnelle, qu’un arrangeur ou un groupe d’arrangeurs et de cabinet conseil soit professionnellement recrutés, qu’un business plan soit clairement défini, et qu’un roadshow global s’en suive avec une date précise de clôture financière. Un tel processus nécessite l‘accompagnement d’un groupe d’experts gouvernementaux sur lequel nous reviendrons plus loin dans cet article.
Construction d’un aéroport digne de ce nom à Kinshasa
Au lieu de s’appuyer uniquement sur des fonds publics ou des prêts internationaux, la construction de l’aéroport pourrait être financée par un Partenariat Public Privé (PPP) ou un “Construire, Exploiter et Transférer” (CET), également connu sous le terme anglais “Build-Operate-Transfer” (BOT), en lieu et place d’un endettement du souverain. Ces solutions de financement impliqueraient dans le cas de la RDC la séparation de la responsabilité de surveillance de l’espace aérien qui resterait sous la Régie des voies aériennes (RVA) de la construction et exploitation des installations aéroportuaires qui irait à une entreprise mixte créée à cet effet. La plupart des aéroports dans le monde, y compris les aéroports de Paris et Zaventem que beaucoup de congolais fréquentent, fonctionnent sous un tel régime.
Financer un aéroport par un PPP est une méthode efficace pour mobiliser des ressources financières et techniques du secteur privé tout en partageant les risques et les bénéfices entre les parties. Dans un PPP, une entité publique (comme un gouvernement ou une municipalité) collabore avec des investisseurs privés pour financer, construire, exploiter et maintenir un aéroport. Le contrat de PPP définit les responsabilités de chaque partie, la durée de l’accord, et les modalités de partage des revenus et des risques. Les PPP permettent de mobiliser des fonds privés, réduisant ainsi la dépendance aux financements publics. Les entreprises privées apportent leur expertise en matière de construction, de gestion et d’innovation. Les risques sont partagés entre le secteur public et le secteur privé, ce qui peut améliorer la viabilité des projets. Les entreprises privées ont souvent des incitations à livrer des projets de haute qualité dans les délais impartis pour maximiser leur rentabilité. Le PPP, si proprement structuré et noté, peut aussi émettre de la dette en utilisant la technique de titrisation des flux futurs.
Dans le cas de la construction d’un aéroport, la titrisation des flux futurs peut permettre de lever une partie des fonds nécessaires pour le projet en isolant une fraction des paiements futurs des frais d’aéroport par les compagnies aériennes offshore qui seront utilisés comme collatéral des titres négociables vendus aux investisseurs internationaux. Cette technique permet d’isoler le risque pays et atteindre les investisseurs internationaux dans les marchés des capitaux internationaux. Ceci permet aussi de lever les fonds nécessaires à la construction avant le lancement des travaux. Les investisseurs achètent une part des flux financiers futurs des actifs titrisés – par exemple les redevances d’aéroports payés par les compagnies aériennes internationales qui peuvent être capturées offshore – ; ce qui garantit le remboursement des obligations de l’émetteur vis-à-vis des investisseurs et améliore le profil du risque des titres. La notation de tels titres généralement excède celle de l’émetteur et lui permet d’accepter à une panoplie plus large d’investisseurs. Une telle émission peut être faite par une entité congolaise même s’il n’existe pas encore de marché des capitaux en RDC.
Voici ci-dessous quelques exemples de PPP pour des aéroports :
- Aéroport International Blaise Diagne (AIBD), Sénégal: Ce projet a été réalisé sous forme de PPP entre le gouvernement sénégalais et des investisseurs privés. L’aéroport a été financé, construit et est exploité par un consortium privé, ce qui a permis de réduire la pression sur les finances publiques et d’assurer une gestion efficace.
- Aéroport de Queen Alia, Jordanie: En 2007, le gouvernement jordanien a signé un contrat de PPP avec un consortium privé pour la rénovation et l’exploitation de l’aéroport de Queen Alia. Ce partenariat a permis de moderniser l’aéroport et d’augmenter sa capacité, tout en partageant les risques et les bénéfices avec le secteur privé.
- Aéroport de Delhi, Inde: L’aéroport international Indira Gandhi à Delhi a été modernisé et est exploité sous un PPP. Le consortium privé a investi dans l’expansion et la modernisation de l’aéroport, ce qui a permis d’améliorer les infrastructures et les services offerts aux passagers.
Un autre modèle de financement est le BOT, qui implique qu’une entreprise privée finance, construit et exploite une infrastructure pendant une période déterminée. À la fin de cette période, l’infrastructure est transférée à l’entité publique, souvent sans frais supplémentaires. Le BOT permet de financer des projets d’infrastructure sans recourir aux fonds publics. Les risques de construction et d’exploitation sont transférés au secteur privé et ces entreprises apportent leur expertise en matière de construction et de gestion. Ces entreprises privées ont des incitations à livrer des projets de haute qualité dans les délais impartis pour maximiser leur rentabilité. Le modèle BOT est une solution efficace pour développer des infrastructures essentielles tout en minimisant l’impact sur les finances publiques. En RDC, ce modèle pourrait être utilisé pour des projets tels que la construction d’aéroports, de routes et de centrales électriques, en attirant des investissements privés et en partageant les risques. Il faut cependant noter que le modèle BOT comporte également des risques à cause notamment de l’asymétrie d’information et d’expertise spécialement dans les pays en développement comme la RDC qui entrainerait des surestimations ou dépassement des coûts et des retards dans la complétion des projets. Les entreprises qui financent ces projets font aussi face à des risques financiers qui peuvent dérailler le projet à cause notamment du cout de l’endettement et des fluctuations des revenues. Il faut aussi compter des risques opérationnels (mauvaise estimation des couts de maintenance et du maintien de la qualité de services), des risques règlementaires et politiques (dû aux incertitudes règlementaires et politiques évoquées plus haut), et les risques de transfert à la fin (liés à l’état de l’infrastructure si elle n’a pas été bien maintenue). Le Centre financier de Kinshasa présentement en construction serait un cas de BOT au Congo. Il y a d’autres exemples assez connus au monde où le modèle BOT a été utilisé avec succès.
- Pont de l’Øresund, Danemark-Suède: Ce pont-tunnel reliant Copenhague à Malmö a été construit et est exploité sous un modèle BOT. Le consortium privé a financé la construction et perçoit des péages pour récupérer son investissement avant de transférer l’infrastructure aux gouvernements danois et suédois.
- Aéroport International de Ninoy Aquino, Philippines: Le Terminal 3 de cet aéroport a été développé sous un modèle BOT. Un consortium privé a financé, construit et exploite le terminal avant de le transférer au gouvernement philippin après une période définie.
- Autoroute de l’Est, Malaisie: Cette autoroute a été construite et est exploitée par un consortium privé sous un modèle BOT. Les revenus des péages permettent de récupérer l’investissement avant le transfert de l’infrastructure au gouvernement malaisien.
La Construction d’une route expresse (ou route/rail) reliant l’aéroport au centre-ville
Il s’agit d’un projet qui peut être financé en utilisant les deux approches discutées ci-dessus. Ce projet pourrait en effet bénéficier de financements mixtes, combinant des fonds publics et privés. Le projet de la route à péage Lekki-Epe dans l’État de Lagos au Nigeria est un exemple en Afrique où des capitaux privés ont été mobilisés pour construire une infrastructure critique, réduisant ainsi la dépendance aux fonds publics. Il en est de même du projet de construction de l’autoroute à péage Dakar-Diamniadio au Sénégal qui connecte le Centre de Dakar à la zone économique spéciale de Dakar et au nouvel aéroport international Blaise Diagne.
Financement des zones économiques spéciales
Les zones économiques spéciales (ZES) représentent une opportunité stratégique pour stimuler le développement économique de la République Démocratique du Congo (RDC) dans des secteurs clés tels que les infrastructures de communication, l’agro-industrie, le développement technologique, le tourisme et l’industrie du bois. Leur financement nécessite une approche innovante intégrant des mécanismes variés pour mobiliser des ressources substantielles tout en minimisant la dépendance à l’endettement public. Une première option repose sur les partenariats public-privé (PPP). Ces partenariats permettent de combiner l’expertise technique et les ressources financières du secteur privé avec le rôle de facilitateur de l’État, qui garantit un cadre règlementaire et apporte des incitations financières. Ces mécanismes pourraient être particulièrement efficaces pour la construction d’infrastructures critiques telles que les routes, les ports ou encore les parcs industriels au sein des ZES.
Le financement mixte, ou blended finance, constitue une autre solution clé. Cette approche combine des ressources publiques limitées avec des capitaux privés pour réduire les risques perçus par les investisseurs. Par exemple, les fonds publics pourraient financer les premières étapes d’un projet – comme les études de faisabilité et la mise en place des infrastructures de base – tandis que les investissements privés interviendraient pour le développement et l’exploitation.
En outre, les ressources naturelles abondantes en RDC, telles que les minéraux et le bois, offrent des possibilités uniques pour des financements adossés aux revenus futurs. Des mécanismes tels que les leveraged buyouts (LBO) peuvent être envisagés pour mobiliser des capitaux en utilisant les actifs ou les flux de revenus anticipés comme garanties. Par ailleurs, l’émission d’obligations vertes et sociales permettrait de financer des projets alignés sur les objectifs environnementaux et sociaux, notamment dans les ZES axées sur le développement durable.
La mise en place de fonds structurés d’investissement spécialisés pourrait également jouer un rôle crucial dans le financement des ZES. Ces fonds, orientés vers des secteurs spécifiques comme l’énergie ou les infrastructures, attireraient des investisseurs institutionnels et bilatéraux à travers des structures financières solides. Cela permettrait de garantir des rendements attractifs tout en soutenant des projets à long terme.
Facilitation d’accès au financement pour les PMEs
Les PMEs sont des piliers essentiels pour la croissance durable et le développement économique, jouant un rôle crucial dans la réduction de la pauvreté et la promotion de l’inclusion sociale. Elles sont les principaux employeurs dans notre pays et contribuent énormément à la réduction du chômage. Leur éclosion, souvent dans l’informel, démontrent de l’esprit entrepreneurial du peuple congolais dont le potentiel peut être développé grâce à un appui stratégique à l’effort d’incubation d’entreprises et au support financier nécessaire à leur développent. Cependant, la perception de leurs risques de crédit est tellement élevée auprès des banques commerciales qu’il leur est difficile d’accéder au crédit. Il n’est par ailleurs pas efficient pour le gouvernement d’accorder directement des prêts à ces PMEs pour les deux raisons ci-après : (i) la mise en place et suivi des prêts aux PMEs demande une expertise que l’Etat n’a pas et qui coûterait cher à développer ; (ii) la bonne prise en charge des PMEs demande un accompagnement continu et une proximité au client que l’Etat ne saurait garantir. Les banques commerciales installées dans le pays pourraient constituer le canal idéal pour atteindre ce segment important de la vie économique si l’Etat peut créer des incitations pour amener ces banques à financer ce segment. La mise en place de fonds de garantie pour les prêts aux PMEs pourrait encourager les banques commerciales à prêter davantage aux PMEs. La Turquie a mis en place un tel mécanisme de partage des risques avec les banques commerciales à la sortie du coup raté de 2016 qui a été fortement utilisé par les banques et a permis aux banques de continuer à financer les PMEs, moteurs important de création d’emplois.
Mise en place des fonds structurés d’investissements
La création de fonds structurés spécialisés dans des secteurs clés comme l’énergie ou les infrastructures pourrait attirer des investisseurs institutionnels. Ces fonds ont de nombreux attraits pour les investisseurs institutionnels. Avec la transition vers des sources d’énergie renouvelables, les investissements dans ce secteur peuvent offrir des rendements élevés à long terme. Aussi, les projets d’infrastructure, tels que les réseaux de transport et routes à péage, sont souvent soutenus par des revenus stables et prévisibles. Les investisseurs institutionnels qui cherchent à diversifier leurs portefeuilles pour réduire les risques, recourent souvent à des fonds spécialisés pour investir dans des actifs tangibles et essentiels qui peuvent fonctionner indépendamment des fluctuations des marchés financiers. Des fonds concessionnels du gouvernement et des partenaires stratégiques peuvent servir de couverture des premières pertes pour attirer des capitaux privés à grande échelle. Les fonds spécialisés sont en effet une bonne opportunité pour le gouvernement de créer un effet de levier sur ses fonds limités en dé-risquant les fonds privés en investissant dans les tranches juniors de tels fonds pour accroitre la mobilisation des investisseurs institutionnels et autres privés. C’est aussi une opportunité d’attirer des investisseurs – y compris les institutions internationales ou bilatérales de développement – qui intègrent des critères ESG dans leurs décisions d’investissement. Les fonds spécialisés dans l’énergie renouvelable ou les infrastructures durables répondent souvent à ces critères, les rendant plus attrayants.
Développement du marché des capitaux en RDC
Les marchés de capitaux domestiques sont importants à l’éclosion d’une économie résiliente. Ils permettent de connecter l’épargne des investisseurs institutionnels (et privés) aux investissements productifs dans l’économie. Ils permettent aussi aux gouvernements et entreprises locales de se financer dans la devise de leurs revenues, réduisant leur dépendance à l’égard de la dette extérieure et les protégeant contre les fluctuations des taux de change. Il y a des discussions en cours depuis plusieurs années sur la nécessité de développer le marché des capitaux en RDC. Cette discussion a souvent tendance à se focaliser sur la nécessité de développer une bourse des valeurs mobilières dans le pays. Il y a eu certaines études qui ont été faites souvent à la demande d’émetteurs potentiels de la dette ou des institutions internationales qui ne se sont pas toujours traduites par des plans d’implémentation avec un calendrier précis. C’est pourtant l’un des chantiers importants pour le développement du pays qui malheureusement n’a jamais fait l’objet d’une attention spéciale dans la vision de court terme des enjeux politiques.
Il y a cependant au moins trois évolutions factuelles qui devraient pousser le gouvernement à amener plus de focus sur la nécessité de développer un marché domestique des capitaux en RDC. Premièrement, le gouvernement a des besoins énormes de financement du développement qui nécessite d’amener de la transparence dans les engagements de l’Etat et de développer un calendrier des émissions (et une courbe des taux) qui peuvent le permettre à lisser le paiement de ses obligations sur plusieurs années au lieu de compter sur les recettes d’une année. Aussi, nombre d’entreprises ont un besoin criant de financement soit par la dette ou l’ouverture de leur capital qui pourrait être servi par des levées des fonds sur un marché des capitaux s’il existait. Deuxièmement, il y a progressivement le développement d’une épargne institutionnelle qui se crée dans le pays avec les trésoreries croissantes des banques commerciales et des entreprises (y compris minières), la libéralisation des compagnies d’assurance avec des passifs longs, et la réorganisation des caisses de retraite et de pension. Il existe aujourd’hui une demande non servie d’actifs financiers qui peuvent aider ces possesseurs ou gestionnaires d’actifs à éviter des portages négatifs et à préserver leur capital de manière à faire face à leurs obligations de courte ou longue durée. Le développement des marchés des capitaux donnerait enfin l’opportunité à la RDC de profiter de sa situation géo-économique stratégique pour mobiliser des financements climatiques en adoptant une taxonomie standarde et un cadre normatif reconnu des investisseurs intéressés dans des projets alignés sur les objectifs climatiques. Il y a en effet lieu de développer des marchés des actions et des obligations, en particulier des obligations vertes et sociales pour financer des projets ayant un impact environnemental ou social positif.
La banque de développement et le fond souverain
Cet article voudrait aussi toucher à deux institutions très importantes dans la mobilisation des financements pour le développement – en l’occurrence une banque de développement et un fond souverain – qui n’existent pas encore au Congo et faire ici un plaidoyer pour leur établissement.
Banque de développement
L’établissement d’une banque de développement en RDC pourrait jouer un rôle crucial dans le financement du développement économique et social du pays. Il existe en effet en RDC un nombre de fonds publics d’investissements ou de garantie qui pourraient être combinés dans une institution proprement capitalisée avec comme missions de soutenir les projets d’infrastructure vitaux (routes, énergie, eau, etc.), financer des programmes de développement social (éducation, santé, logement), encourager l’innovation et l’entrepreneuriat, et attirer et mobiliser, à travers des syndications ou des provisions des garanties, les investissements des privés nationaux et internationaux.
Si une telle banque de développement est dotée d’un statut juridique lui garantissant une gouvernance transparente et une gestion professionnelle indépendante de l’influence politique, elle devrait être capable d’attirer la participation dans son capital, autre que le gouvernement, une panoplie d’autres investisseurs comme les institutions financières internationales ou bilatérales, les banques commerciales et d’investissement cherchant à diversifier leurs portefeuilles, des fonds de pension et compagnies d’assurance à la recherche de placements à long terme, des fonds souverains cherchant à investir dans des projets de développement durable, des fonds d’investissement privés intéressés par les marchés émergents, des fondations philanthropiques, ou autres groupes d’investissement communautaires organisés.
Ces investisseurs apportent non seulement des capitaux, mais aussi des expertises et des réseaux qui peuvent être essentiels pour le succès des projets financés par une banque de développement. On peut notamment citer la « Development Bank of Southern Africa (DBSA) qui a su attirer dans son capital, en plus du gouvernement sud-africain, des investisseurs institutionnels et des fonds souverains comme la China Investment Corporation (CIC), Abu Dhabi Investment Authority (ADIA) et Government Pension Fund Global (GPFG). Une banque de développement bien structurée devrait aussi être capable de mobiliser des fonds concessionnels à utiliser dans des mécanismes de financement mixte pour réduire les risques associés aux investissements privés et, éventuellement, promouvoir la finance durable en alignant les projets avec les objectifs environnementaux et climatiques. La création d’une banque de développement pourrait non seulement catalyser le développement économique, mais aussi améliorer la qualité de vie des citoyens en RDC. Elle demandera une structure proprement capitalisée et isolée des influences politiques, une équipe de gestion avec expérience avérée dans les finances et un personnel proprement motivé constitué des professionnels qualifiés dans le financement des projets de développement.
Fond souverain
Un fonds souverain est une entité d’investissement créée et contrôlée par le gouvernement national pour gérer les excédents budgétaires ou les revenus issus des ressources naturelles. Le Fonds Minier pour les Générations Futures (FOMIN) est un exemple de tentative de la mise en place d’un fonds souverain en RDC. Créé par le décret n° 19/17 du 25 novembre 2019, le FOMIN a pour mission principale de constituer des richesses matérielles et/ou financières pour garantir l’après-mine et soutenir le développement durable. Ce fonds sert notamment à financer des projets de recherche minière, placer des fonds dans des institutions bancaires pour générer des revenus – stratégie fainéante –, et soutenir des projets de développement durable dans le secteur minier. L’acte constitutif d’un fond souverain généralement définit ses objectifs. Il existe des fonds de stabilisation macroéconomique, de préservation du pouvoir d’achat pour protéger l’économie contre l’inflation, de promotion du développement économique, ou de diversification des sources de revenus. Il va sans dire que c’est un fond qui combinerait les deux derniers objectifs dont la RDC a urgemment besoin. Il existe une ébauche d’un tel fond dans le FOMIN et autres fonds d’investissements existants (RDCIF et PTIP pour en citer quelques-uns). Il y a donc besoin de consolider ces ressources et professionnaliser un tel véhicule pour constituer un vrai fond souverain en RDC.
La professionnalisation d’un fonds souverain implique plusieurs étapes clés pour assurer une gestion efficace et transparente des ressources. Voici quelques recommandations :
- Gouvernance : Mettre en place une structure de gouvernance claire et indépendante, avec des règles strictes pour éviter les conflits d’intérêts et garantir la transparence.
- Stratégie d’investissement : Développer une stratégie d’investissement diversifiée et à long terme, en tenant compte des objectifs économiques et sociaux du pays.
- Transparence et communication : Publier régulièrement des rapports financiers détaillés et des audits indépendants pour renforcer la confiance des investisseurs et du public.
- Formation et expertise : Recruter des professionnels qualifiés et offrir une formation continue pour s’assurer que le personnel est à jour avec les meilleures pratiques et les nouvelles tendances du marché.
- Éthique et responsabilité sociale : Adopter des politiques d’investissement responsables qui tiennent compte des impacts environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG).
- Collaboration internationale : Établir des partenariats avec d’autres fonds souverains et institutions financières pour partager les meilleures pratiques et renforcer la crédibilité.
En suivant ces étapes, un fonds souverain peut devenir un outil puissant pour le développement économique et la stabilité financière de la RDC.
Défis pour mettre en place des mécanismes de financement innovants
La mise en place de mécanismes de financement innovants en RDC se heurte à plusieurs obstacles majeurs qui nécessitent une attention particulière. Le climat des affaires demeure un frein majeur. En effet, le cadre réglementaire et institutionnel est perçu comme peu propice à l’attraction des capitaux. Les régulations sont souvent complexes et instables, tandis que le manque de transparence juridique décourage les investisseurs. Cette situation est aggravée par les pratiques bureaucratiques peu efficaces et les lourdeurs administratives, auxquelles s’ajoute souvent l’incompétence du personnel d’appui. Ces défis structurels entravent la mise en œuvre rapide et efficace des projets innovants.
La qualité de l’offre et de la demande joue également un rôle déterminant dans ces difficultés. Du côté de l’offre, les projets proposés manquent souvent de bancabilité en raison de l’absence d’études de faisabilité solides et de plans d’affaires bien structurés. Par conséquent, les émetteurs des titres financiers peinent à démontrer leur crédibilité auprès des investisseurs potentiels. Du côté de la demande, les investisseurs institutionnels domestiques restent frileux, et la capacité à attirer des capitaux étrangers est limitée. Ce déficit de confiance est principalement lié à l’incertitude politique et économique qui caractérise l’environnement congolais, ainsi qu’au manque d’infrastructures nécessaires pour faciliter les transactions financières.
Un autre défi de taille réside dans les ressources humaines et financières limitées. La RDC souffre d’un déficit de compétences techniques et managériales dans le secteur public comme dans le secteur privé. L’expertise nécessaire en matière de montage financier, de gestion des risques et de mobilisation de capitaux fait cruellement défaut. Le manque de ressources humaines qualifiées constitue ainsi un frein à la structuration et à la mise en œuvre des mécanismes de financement innovants. Par ailleurs, la mobilisation de ressources financières demeure insuffisante. L’absence de fonds domestiques structurés et de capital-risque restreint les possibilités de financement pour des projets d’envergure sans dépendre des financements traditionnels ou de l’endettement public. Cette situation limite considérablement la capacité du pays à tirer parti des opportunités de financement innovant disponibles à l’échelle internationale.
En somme, les défis pour instaurer des mécanismes de financement innovants en RDC relèvent à la fois de contraintes structurelles et de limitations en matière de compétences et de ressources financières. Une réforme en profondeur du climat des affaires, une gouvernance plus transparente et une amélioration des capacités techniques et financières sont indispensables pour attirer les investisseurs et permettre au pays de mobiliser efficacement les capitaux nécessaires à son développement économique et social.
Conclusion & Recommandation
En 2010, la Colombie a mis en place une stratégie très ambitieuse de création par concession d’un réseau national d’autoroutes qui pénétrerait les régions montagneuses et traverserait de nombreux cours d’eau. Ils ont mis en place une commission d’experts qui ont défini une feuille de route claire avec un plan d’implémentation qui comprenait (i) une règle d’engagement budgétaire à respecter dans l’implémentation du projet (toujours allouer 9.5% du PIB au projet), (ii)
un cadre règlementaire (des lois sur les PPP, les infrastructures, les expropriations pour des besoins d’intérêt public, et sur les appels d’offres) et institutionnel (notamment une agence des infrastructures responsable de gérer les concessions y compris des installations aéroportuaires et une banque de développement pour professionnaliser la gestion des fonds et faciliter la participation d’investisseurs privés à travers des fonds spécialisés ou les marchés des capitaux), et (iii) une nouvelle classe d’actifs financiers (projets bancables aux standards internationaux qui peuvent attirer des investisseurs institutionnels nationaux et internationaux). Ce projet qui a été baptisé 4G a pu attirer des investisseurs locaux et internationaux à une échelle qui a permis d’atteindre aujourd’hui en 2024 à une réalisation de 80%. La RDC n’est pas la Colombie, mais le projet 4G de la Colombie montre que le développement des infrastructures – et le développement en général – ne se construit pas de manière fragmentaire. Il est le fruit d’un processus cohérent qui transcende les cycles électoraux et requière une mobilisation des ressources à travers des financements innovants en plus d’un engagement inaliénable de la contribution de l’Etat.
Pour assurer une telle consistance dans l’effort au-delà des cycles politiques, nous recommandons de mettre en place une agence spécialisée très agile (dans la taille d’un cabinet ministériel) regroupant des professionnels de haute fracture avec expérience avérée dans les financements innovants et les marchés financiers, et de confier à une telle structure le mandat de servir d’experts du gouvernement dans la structuration des financements innovants et de mettre en place des institutions constitutives d’un marché des capitaux dans un horizon de 5 ans . Cette agence aura notamment les responsabilités ci-après.
Conseil technique pour les financements innovants
Au regard de conseil technique à la structuration des financements innovants, le rôle d’une telle structure serait d’aider le gouvernement à naviguer dans le paysage complexe des financements innovants, en fournissant des conseils spécialisés et en facilitant l’accès à des sources de financement alternatives pour soutenir le développement durable et les projets d’infrastructure. Les responsabilités spécifiques par rapport à un tel rôle seront notamment les suivantes :
- Évaluation des besoins : Identifier les besoins financiers spécifiques et les opportunités de financement innovant ;
- Conseil stratégique : Fournir des conseils sur les meilleures stratégies pour accéder aux financements innovants, y compris les mécanismes de financement public-privé (PPP), les instruments de la finance verte et durable, et les levées de fonds sur les marchés financiers ;
- Gestion des risques : Aider à évaluer et à atténuer les risques associés aux financements innovants, en mettant en place des mécanismes de gestion des risques adaptés ;
- Développement de projets : Assister dans la préparation et la présentation de projets attractifs pour les investisseurs, en veillant à ce qu’ils soient conformes aux normes internationales et aux attentes des investisseurs ;
- Suivi et évaluation : Mettre en place des systèmes de suivi et d’évaluation pour mesurer l’impact des financements innovants et s’assurer qu’ils atteignent leurs objectifs ;
- Formation et renforcement des capacités : Offrir des formations et des ateliers pour renforcer les compétences des parties prenantes dans la gestion des financements innovants.
Conseil technique pour le développement du marché des capitaux en RDC
Le développement d’un marché des capitaux domestiques serait un autre champ de compétence d’une telle structure. Les responsabilités spécifiques par rapport à cette autre mission seraient les suivantes :
- Réformes législatives et réglementaires : Définir les réformes législatives et réglementaires a minima qui permettraient d’améliorer les conditions d’émission des titres financiers et leur placement auprès des investisseurs et d’encadrer les structures de marchés ;
- Mise en place des institutions et infrastructures de marché: Aider à la mise en place d’une autorité des marchés financiers et au développement d’une plateforme de négociation électronique (bourse) qui permette aux acteurs du marché de se rencontrer et d’échanger des actifs financiers ;
- Amélioration des capacités : Améliorer les capacités des acteurs de marché – investisseurs, émetteurs, intermédiaires financiers, domestiques ainsi que la qualité de l’information accessible à tous ;
- Intégration: Connecter le marché domestique aux investisseurs internationaux en facilitant l’accès à l’information et une intégration efficace du marché domestique aux plateformes internationales afin d’envoyer un signal fort de modernisation et d’ouverture aux investisseurs étrangers.
Cartographie des besoins d’investissement
Ce rôle consisterait à mener des analyses sectorielles approfondies pour identifier les domaines clés ayant un potentiel de croissance économique et de création d’emplois, tout en tenant compte des priorités stratégiques du gouvernement. En collaboration avec les parties prenantes locales et internationales, cette entité établirait une cartographie précise des opportunités d’investissement dans des secteurs tels que l’énergie, les infrastructures, l’agro-industrie, la technologie, le tourisme, et les industries créatives. Une fois les secteurs identifiés, cette structure pourrait contribuer à élaborer des stratégies de mise en œuvre adaptées, alignées sur les meilleures pratiques internationales. Elle jouerait également un rôle central dans la conception de projets bancables, leur alignement avec les normes internationales et la facilitation de leur présentation à des investisseurs potentiels lors de forums locaux et internationaux.
References
- Collier, Paul. The Future of Capitalism: Facing the New Anxieties. London: Penguin Books, 2017.
- International Monetary Fund. Democratic Republic of the Congo: Selected Issues. Washington, DC: International Monetary Fund, 2020.
- International Monetary Fund. Democratic Republic of the Congo: 2021 Article IV Consultation—Press Release; Staff Report; and Statement by the Executive Director for the Democratic Republic of the Congo. Washington, DC: International Monetary Fund, 2021.
- Organization for Economic Co-operation and Development. Blended Finance in the Least Developed Countries 2020. Paris: OECD Publishing, 2020.
- Transparency International. Corruption Perceptions Index 2020. Berlin: Transparency International, 2020.
- United Nations Development Programme. Human Development Report 2019. New York: United Nations Development Programme, 2019.
- World Bank. Democratic Republic of Congo Economic Update: The Covid-19 Impact. Washington, DC: World Bank, 2020.
- World Bank. Doing Business 2021: Democratic Republic of Congo. Washington, DC: World Bank Group, 2021.
- African Development Bank. Financial Sector Development Strategy. Abidjan: African Development Bank, 2019.
- United Nations Department of Economic and Social Affairs. Financing for Sustainable Development Report 2024. New York: United Nations, 2024.
- International Monetary Fund. World Economic Outlook 2024. Washington, DC: International Monetary Fund, 2024.
[1] Les avis exprimés dans cet article d’opinion sont ceux des auteurs qui parlent en leurs propres noms et non pas au nom des institutions qui présentement les emploient (Groupe de la banque mondiale ou CGIAR).
[2] Dr. Frédéric Wandey est Congolais et spécialiste dans la structuration des investissements et des marchés financiers. Il est présentement responsable sur le plan mondial du conseil technique en développement des marchés financiers à IFC, la branche du secteur privé du Groupe de la banque mondiale. LinkedIn : https://www.linkedin.com/in/fredericwandey/
[3] Dr. John Ulimwengu Mususa est Congolais et chercheur principal à l’Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (https://www.ifpri.org/profile/john-ulimwengu/)
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