Dans l’Est de la République Démocratique du Congo (RDC), plus de 120 groupes armés se battent pour le pouvoir, la terre et les précieuses ressources minérales, tandis que d’autres tentent de défendre leurs communautés, et ce, depuis des décennies. Parmi ces bandes figure en bonne place le « Mouvement du 23 mars (M23) ». Cette armée rebelle, dont les soldats sont majoritairement Tutsi, est soutenue par le Rwanda voisin. Elle sème le chaos dans le Nord-Kivu, en lançant des attaques pour s’emparer de territoires qu’elle veut contrôler. Elle est accusée de violences exercées sur les populations civiles. Aujourd’hui, les combats entre le M23, qui a repris les armes fin 2021 après plusieurs années de sommeil, et les Forces armées de la République Démocratique du Congo (FARDC) s’intensifient, provoquant le déplacement de centaines de milliers de personnes. La communauté internationale, qui se donne le beau rôle du « gendarme du monde », feint d’ignorer cette situation qui déstabilise et insécurise les citoyens. Une hypocrisie qui exaspère les Congolais.
Au Nord-Kivu, à quelques encablures de la ville de Goma, l’insécurité est toujours là, palpable, stressante. Depuis le 2 février dernier, les rebelles du M23 se sont emparés, avec l’appui de l’armée rwandaise, des collines de Muremure et Ngingwe, dans le groupement Kibabi, territoire de Masisi. D’après des sources locales, ces soldats consolident leur position et continuent à occuper des localités et collines stratégiques (Rushoga et Humule), et que l’armée congolaise, elle, poursuit ses bombardements dans la région occupée. Les affrontements qui opposent les rebelles du M23 aux FARDC et les groupes armés locaux ont provoqué le déplacement massif des populations de Shasha et Bweremana qui ont fui vers Sake (Nord-Kivu) et vers Minova (Sud-Kivu). Ce qui témoigne du climat de violence, d’instabilité et d’insécurité qui règne dans cette région du pays.
La communauté internationale, qui doit avoir d’autres visées, ne semble guère s’intéresser à cette réalité qui a pour effet de désarçonner les populations. Parler du rôle du Rwanda et de son soutien aux rebelles du M23 est manifestement tabou. Les institutions européennes et américaines, y compris les organisations chargées des droits humains, observent un silence assourdissant. On peut conclure, sans une once de doute, qu’il y a là une forme de censure qui ne se justifie pas. Et dire que la communauté internationale dépense de l’argent pour l’appui à la démocratie et les droits de l’Homme dans les Grands Lacs africains, il y’a plus à rire qu’à s’indigner !
ZONE DE NON-DROIT
La partie Est de la RDC est devenue une zone de non-droit où seuls les rebelles et divers groupes armés font la loi. C’est aussi les points d’entrée du démembrement du pays. Depuis l’assassinat de Laurent-Désiré Kabila, le 16 janvier 2001, personne ne veut admettre que la tragédie que vit le peuple congolais dans l’Est est le fait d’une politique délibérée de prédation et d’asservissement dans laquelle des grandes puissances, des multinationales et des groupes mafieux jouent un rôle majeur. Ce n’est d’ailleurs pas le fait du hasard si les efforts consentis visent en priorité à museler les journalistes, les organisations des droits humains et la société civile congolaise.
Aucun gouvernement d’État civilisé ne peut accepter ce qui se passe dans l’Est de la RDC. De nombreuses localités du Nord-Kivu sont ainsi devenues le théâtre du champ de bataille où l’indicible côtoie l’ignominie. Viols, assassinats et tueries de masse semblent à la fois banalisés, minimisés et sous-estimés. Il faut dire qu’il y’a d’une part l’agressivité du Rwanda qui cherche à contrôler les richesses de la RDC, et d’autre part le silence troublant de la communauté internationale devant le calvaire des populations de cette région. Est-ce un complot ourdi pour entériner la violation de la souveraineté du Congo et taire la terreur infligée à ses populations ?
LES CONGOLAIS EXASPÉRÉS
Il est indéniable que les Congolais ne pourront pas continuer à supporter infiniment la façon dont ils sont traités et finiront par se révolter contre cette injustice. À preuve, le 5 février, les Kinois en furie ont pris d’assaut l’ambassade des États-Unis à Kinshasa; cinq jours après, ils l’ont assiégé ainsi que celle France, et ont manifesté contre la Monusco (on peut déplorer, ici, les dégâts causés par la violence des manifestants : véhicules onusiens brûlés, boutiques pillées à Gombe). Ils accusent les gouvernements occidentaux d’être complices du Rwanda qui occupe la partie Est de la RDC, pillant illégalement des richesses et massacrant des populations civiles sans défense. Au cours de la deuxième demi-finale de la Coupe d’Afrique des nations, CAN Côte d’Ivoire 2023, qui a mis en opposition les Léopards de la RDC et les Eléphants, toutes les caméras ont tourné les dos aux supporters Congolais vêtus en T-shirt noirs sur lesquels on pouvait lire «Stop Génocide dans l’Est de la RDC », en guise de compassion avec leurs compatriotes de l’Est, victimes des atrocités de guerre, et aussi pour demander l’implication de la communauté internationale, afin que la partie orientale de leur pays recouvre une paix durable.
À Paris, sous une pluie battante, une marche de soutien aux victimes du génocide au Congo a été organisée, samedi 10 février, par les mouvements combattants congolais pour dire «Stop au silence, le sang doit cesser de couler ! ». «Je suis Nord-Kivu », pouvait-on lire sur des banderoles et pancartes noires portées par les manifestants. En RDC, comme ailleurs dans la diaspora, les manifestations vont probablement se multiplier dans les prochains jours.
Pourquoi la communauté internationale refuse-t-elle de condamner clairement le Rwanda ? Qu’est-ce qui explique sa passivité sur cette affaire ? Pourquoi ce silence ? Ne se complait-elle pas dans cette situation ? Ce sont là des questions pertinentes que l’ont doit se poser, car son hypocrisie exaspère les Congolais.
LE BAL DES HYPOCRITES
Il faut bien admettre que le Rwanda est au service d’intérêts des décideurs politiques et économiques du monde, membres de cette nébuleuse appelée communauté internationale. Ce sont eux qui tirent les ficelles dans le Nord-Kivu en maintenant l’instabilité et l’insécurité dans cette partie de la RDC où ils gagnent beaucoup d’argent. Ils ne voient pas pourquoi il faudrait réfléchir à sortir du statu quo puisqu’il est rentable depuis trente ans. Voilà qui explique l’hypocrisie – que dénoncent les Congolais – de la communauté internationale face à l’insécurité dans l’Est de la RDC et l’impunité dont bénéficie le Rwanda.
Qui peut croire à la pression que les USA font sur Kigali pour retirer ses troupes de la RDC ? Qui peut croire au soutien de la Grande-Bretagne aux « processus régionaux » pour mettre un terme à l’insécurité due aux attaques du M23 appuyé par le Rwanda dans l’Est de la RDC ? Qui peut inciter les Congolais à croire que la France se dit préoccupée par l’intensification des combats autour de Goma ? Aujourd’hui, tous appellent au dialogue avec le Rwanda. C’est le bal des hypocrites. Les hypocrites, comme les abeilles, ont le miel à la bouche et l’aiguillon caché.
Le député du Parti du Travail de Belgique (PTB), Marc Botenga, a interpellé avec véhémence ses pairs européens sur le traitement injuste subi par la RDC dans cette crise. Comparativement à l’Ukraine – en guerre contre la Russie – qui reçoit de l’aide tant financière que militaire, la communauté internationale ne fait rien pour aider aussi Kinshasa à mettre un terme au conflit armé lui imposé par Kigali.
«Quand la Russie a envahi l’Ukraine, l’UE et les USA se sont mobilisés. L’Ukraine reçoit des chars, des armes, bientôt des avions de chasse. La Russie est lourdement sanctionnée avec comme objectif l’effondrement de l’économie russe. Mais quand la RDC se fait agresser depuis des années par le M23, rien. Quelques belles paroles, pour tromper, pour enfumer, mais aucune sanction réelle contre le Rwanda qui soutient ce mouvement. Alors, la vie d’un Congolais vaut-elle moins que la vie d’un Ukrainien ? », s’est-il interrogé devant les eurodéputés.
Pour Marc Botenga, la communauté internationale, en l’occurrence l’UE, favorise les desseins du Rwanda dans la région pour servir ses propres intérêts : «Kitchanga, Bambo, Rutshuru, Kishishe, Nyragongo… Combien de territoires de la RDC doivent encore être frappés, occupés ou asphyxiés comme actuellement Goma avant que l’UE ne réagisse. Pire, le Rwanda reste un partenaire de la facilité européenne pour la paix. Cette facilité, cet instrument qui sert à livrer les armes (20 millions d’euros pour le Rwanda). Mais quelle hypocrisie, quel décalage entre les paroles et les actes ici. Pourquoi l’Europe agit-elle de la sorte ? Mais clairement, il y’a des intérêts derrière. L’Europe a besoin du cobalt, du coltan, des richesses premières qu’on trouve en RDC. Et du coup, un Congo affaibli, voire balkanisé convient très bien à certains gouvernements européens. Le Rwanda fait aussi le jeu des Occidentaux en facilitant le pillage du Congo, notamment dans l’Est. Il faut que cela cesse maintenant », a-t-il martelé.
GÉNOCIDE AU CONGO
La communauté internationale se ridiculise en prétendant vouloir faire la paix en RDC tout en flirtant avec Paul Kagame, qui est l’instigateur de la guerre en RDC, et donc principal responsable des atrocités perpétrées contre le peuple congolais dans l’Est du pays. Et elle se trompe gravement en le couvrant de louanges comme «contributeur à la stabilité et au développement dans la région des Grands Lacs africains ». Une aberration. Ce qui est préoccupant, c’est qu’elle n’a jamais condamné l’invasion de la RDC par le Rwanda, en dépit du fait que cela constitue une violation caractérisée de charte des Nations – Unies et de la charte de l’Union Africaine (UA). Elle a pourtant condamné la Russie pour avoir envahi l’Ukraine. Le double standard.
Le carnage humain en RDC est insupportable : « Plus de 10 millions de morts, 500.000 femmes violées…et toujours le silence. Jusqu’à quand ? », s’interroge le journaliste et politologue, Charles Onana, dans « Holocauste au Congo. L’Omerta de la communauté internationale. La France complice ? », publié par l’Artilleur.
Il y’a génocide au Congo. C’est une réalité. Et les Congolais disent stop. Ceci pourrait s’arrêter si la communauté internationale obligeait, d’une part, Paul Kagame à retirer les supplétifs de son armée, le M23, de la partie Est de la RDC et, d’autre part, si les principaux pays occidentaux comme les USA, la France, la Belgique, la Grande-Bretagne, le Canada, l’Allemagne, la Pologne… mettaient un terme à leur soutien multiforme au Rwanda.
Pour conclure, il convient enfin de souligner que l’insécurité dans L’Est de la RDC n’est pas une fatalité. Cette situation est réversible, c’est dire qu’il est possible d’y mettre fin. Dès l’abord, les Congolais doivent eux-mêmes désigner les coupables et envisager par tous les moyens de mettre les groupes armés hors d’état de nuire. Pour ce faire, le Congo a besoin de se munir d’une armée forte, républicaine et patriote. C’est tout simplement une question de volonté politique. Ensuite, il va falloir convaincre la communauté internationale que la paix est indispensable pour la stabilité et la sécurité dans la région des Grands Lacs africains, et qu’aucune démocratie ni aucun développement durable ne sont envisageables tant que l’obsession de la déstabilisation du Congo perdure. Seulement, ceux qui font des affaires en période de guerre et d’instabilité ne rêvent que d’une perpétuation du conflit en RDC.
Robert Kongo (CP)