La politique africaine du président Emmanuel Macron suscite interrogations et critiques, à la lumière d’un sentiment anti-français qui ne cesse de se répandre au Sahel, dans le sillage du coup d’Etat au Niger et des manifestations contre la présence française qui l’ont accompagné. Décryptage.
Le chef de l’Etat français, fortement critiqué par les oppositions et de larges pans de la société sur plusieurs volets de sa politique intérieure comme extérieure, est depuis quelques semaines fustigé par une classe politique révoltée par l’échec de sa politique africaine.
Risque d’effacement et appel à réviser la politique française en Afrique
Dans ce contexte, alors que plusieurs voix se sont élevées pour appeler à revoir, de fond en comble, la politique de la France en Afrique, 94 parlementaires issus de plusieurs bords politiques ont appelé, dans une lettre ouverte à Emmanuel Macron, à remettre à plat la politique de la France en Afrique.
«Après la Françafrique, sommes-nous condamnés à l’effacement de la France en Afrique ?», s’interrogent-ils dans leur missive publiée dans le Figaro.
«Aujourd’hui le Niger, hier le Mali, la Centrafrique, le Burkina Faso ont rejeté la France, les forces françaises, les entreprises françaises», soulignent les signataires de la lettre, ajoutant que «ce mouvement en Afrique subsaharienne se propage avec des manifestations et des actes anti-français jusque dans les pays réputés proches de nous».
Les parlementaires affirment aussi ne pas comprendre l’évolution de la politique française en Afrique tant sur le plan militaire que sur la notion de co-développement ou sur la coopération culturelle et linguistique, alors que l’Afrique «ne semble plus comprendre la France, et conteste de plus en plus son rôle et sa présence».
Les causes de l’échec
Dans le même sillage, des représentants des oppositions ont critiqué vertement les «tergiversations» et «l’amateurisme» à l’Elysée qui ont conduit à l’ «échec» de la politique de Macron, qui prétendait, pourtant, «réinventer le lien avec l’Afrique ».
Le chef de fil de la France insoumise (LFI) et ancien candidat à la présidentielle, Jean-Luc Mélenchon, a pointé la «désinvolture», le «mépris » et «l’amateurisme à la présidence française» sur les enjeux français en Afrique, estimant qu’il était «urgent de repenser une stratégie qui va d’échec en échec ».
Les députés socialistes ont, de leur côté, demandé à la cheffe du gouvernement, Élisabeth Borne, de rendre des comptes devant l’Assemblée.
Le porte-parole du Rassemblement national (RN- extrême droite), Laurent Jacobelli, a estimé, de son côté, que le coup d’Etat militaire au Niger montre le «délitement» du lien «spécial » de la France avec l’Afrique, pointant «beaucoup de maladresses» à partir du discours de Dakar et des déclarations «très méprisantes» d’Emmanuel Macron envers les dirigeants et les populations africains.
Dans les médias, les éditorialistes et les chroniqueurs ont critiqué un «dégagisme» antifrançais qui se répand comme une traînée de poudre en Afrique, une politique africaine de la France qui «s’effondre sur nous » et une «vague qui emporte les intérêts français à travers le Sahel » ou encore une France qui, à force d’avoir longtemps tergiversé, encaisse les humiliations en Afrique.
Avec MAP
Définition de Françafrique
L’expression «France-Afrique» aurait été utilisée pour la première fois en 1955 par Félix Houphouët-Boigny (1905-1993), futur président de la Côte d’Ivoire et alors ministre du gouvernement français, pour qualifier le souhait de certains dirigeants africains de conserver des relations privilégiées et étroites avec la France, après l’accession de leur pays à l’indépendance.
L’usage du néologisme Françafrique, avec un sens péjoratif, s’est développé après la parution en 1998 du livre de François-Xavier Verschave (1945-2005), «La Françafrique, le plus long scandale de la République», ainsi que sous l’impulsion de l’association «Survie», dont l’auteur fut l’un des membres fondateurs, pour dénoncer la politique étrangère de la France dans ses anciennes colonies africaines ainsi que dans quelques autres pays du continent.
Le terme Françafrique désigne l’ensemble des relations entre la France et ses anciennes colonies africaines pour en dénoncer le caractère ambigu et opaque. La Françafrique serait constituée de réseaux d’influence et de lobbies d’acteurs français et africains intervenant dans les domaines économique, politique et militaire pour détourner à leur profit les richesses liées aux matières premières ainsi que l’aide publique au développement.
«La logique de cette ponction est d’interdire l’initiative hors du cercle des initiés. Le système, autodégradant, se recycle dans la criminalisation. Il est naturellement hostile à la démocratie. Le terme évoque aussi la confusion des genres, une familiarité domestique louchant vers la privauté », indique François-Xavier Verschave dans «La Françafrique. Le plus long scandale de la République ».
Le système de la Françafrique trouve son origine avec la mise en place à l’Élysée d’une cellule aux affaires africaines, mise en place par le général de Gaulle, avec à sa tête Jacques Foccart (1913-1997), surnommé «Monsieur Afrique».
Le concept de Françafrique prête à la France une attitude néocolonialiste envers ses anciennes colonies devenues indépendantes.
«A partir du tournant des années soixante, un système a été mis en place pour continuer à opprimer les pays africains qui venaient d’accéder à leur indépendance vis-à-vis de la France. Ce système est constitué par des réseaux qui ont été développés et entretenus pour continuer comme avant. C’est la suite de la colonisation qui se poursuit sous d’autres modes. Or, le système de la colonisation était quand même bel et bien le système d’appropriation des richesses de l’Afrique par des étrangers. Et on a toujours continué, en s’alliant avec un certain nombre de responsables africains : ce sont les amis de la France… », rappelle François-Xavier Verschave.
Il s’accompagnerait d’un processus de sélection des dirigeants africains et de soutiens apportés à des dictateurs, au moyen d’interventions militaires, de la guerre, d’éliminations, de fraudes électorales, etc., que ces actions soient avérées ou pas.
Pour les autorités françaises, les relations de la France avec l’Afrique ont constitué un élément de stabilité politique dans les anciennes colonies, tout en ayant pour objectif de défendre les intérêts de la France sur le plan stratégique (bases militaires, etc.) et économique (accès aux ressources naturelles et stratégiques : pétrole, uranium, etc.).