Kidnappings à Kinshasa : que cache la justice ? La condamnation à de lourdes peines d’emprisonnement ou à la peine capitale de plusieurs auteurs présumés de cas d’enlèvements dans la ville de Kinshasa, loin d’apaiser une opinion chauffée à blanc par une rumeur persistante amplifiée par les réseaux sociaux, a au contraire eu l’effet désastreux d’en rajouter à la psychose ambiante. Des non-dits, corroborés par l’absence de mobiles avérés des «kidnappeurs» présumés, jettent le doute sur l’indépendance de la justice, laissant un goût d’inachevé. Le sentiment que les magistrats ont, en connaissance de cause, cherché à masquer la vérité et par ricochet à protéger certains intérêts criminels ressort du fait que l’affaire a été présentée comme étant à la seule initiative de groupes criminels agissant pour leur propre compte dans un but inavoué. Ce qui, d’évidence, relèverait d’une simple vue de l’esprit.
Ils étaient une dizaine traduits devant la justice en comparution immédiate. Parmi eux, deux officiers de police. Ce n’était pas un groupe formellement identifié, mais des criminels présumés agissant souvent en binômes mais aux modes opératoires quasi identiques.
Les uns, se présentant comme des inspecteurs judiciaires munis d’un faux mandat d’amener d’un quelconque parquet de la justice civile ou militaire, embarquaient leurs victimes crédules et angoissées qui s’étonnaient de n’avoir jamais reçu une quelconque «invitation» ou convocation à comparaître devant un magistrat.
Devant des badauds plus ou moins indifférents, l’homme (ou la femme) est embarqué (e) dans un taxi conduit par un complice. Généralement, ces voitures de petit format de marque japonaise, communément appellées «ketches», sont peintes en jaune, couleur des taxis dans la capitale. Leur victime disparaissait alors et dans le meilleur des cas, elle réapparaissait plusieurs jours après dans un piteux état.
D’autres, à bord du même genre de véhicule faisant le taxi en maraude embarquent de force des jeunes filles isolées aux heures tardives, ou détournent de leur destination des clients embarqués de bonne foi. Et le plus souvent, les criminels n’hésitent pas à opérer en plein jour, occasionnant parfois de rares actes de bravoure de certains passants parvenus à empêcher le « kidnapping », voire à favoriser l’interpellation des auteurs de ces actes criminels.
DES DÉNÉGATIONS PEU CONVAINCANTES
C’est au milieu de la semaine dernière que l’affaire a atteint son paroxysme quand, sous la pression populaire, la police nationale a présenté un groupe constitué de «kidnappeurs» présumés, d’autant plus qu’enflait la rumeur d’un trafic d’organes humains. Sur les réseaux sociaux était même cité le nom d’un influent homme d’affaires indien dont le service de communication a aussitôt publié un communiqué sulfureux mettant hors de cause l’entrepreneur.
Il fallait faire vite et faire baisser la tension. L’affaire prenait une allure autrement plus dangereuse tant la ville était submergée par la rumeur d’un trafic fort lucratif de reins prélevés sur des corps des personnes kidnappées.
Or, au cours du briefing hebdomadaire du gouvernement, le porte-parole de ce dernier, le ministre Patrick Muyaya avait affiché son scepticisme, déclarant le 4 juillet que le prélèvement d’organes humais exigeait une haute technicité et une technologie de pointe dont ne pouvaient se prévaloir des bandes de criminels opérant pour des raisons inconnues.
Il était relayé quelques jours plus tard par le chef de la police de la ville de Kinshasa, le commissionnaire divisionnaire Sylvano Kasongo, qui, dans un communiqué, affirmait qu’aucun cas de trafic d’organes humains n’avait pu être dûment documenté par ses services.
PLUS DE CHALEUR QUE DE LUMIÈRE
La comparution des auteurs présumés des rapts n’a cependant pas contribué à établir toute la lumière sur les motivations, et encore moins sur la destination finale des personnes enlevées. Aucune pression significative n’a été exercée sur eux pour les amener à éclairer la justice sur le sort de leurs victimes. Si certains parmi eux ont reconnu les faits portés à leur charge, il n’a pas été donné à la justice de retrouver les corps des personnes dont pourtant les criminels avaient reconnu être les auteurs de leur enlèvement. La cacophonie au cours des audiences aura finalement produit plus de chaleur que de lumière.
Le caractère indubitablement expéditif, avait tout l’air d’une manœuvre destinée à calmer un public plus friand du spectaculaire que du besoin de vérité. En cette année électorale déjà plombée par l’occupation d’une partie du territoire nationale par les M23/RDF, les violences dans le territoire de Kwamouth et les soubresauts politiques dans la capitale, l’urgence, semble-t-il, consistait à jeter un os à ronger à une opinion lasse de promesses politiques non tenues à quelques mois de la fin du quinquennat, et à détourner ses regards des insuffisances d’un régime à bout de souffle.
Econews