C’est l’homme du sérail le plus discret, mais aussi celui qui a subi le plus d’attaques tout au long du premier mandat de Félix Tshisekedi. L’homme nourrit moult fantasmes et infox, souvent relayés par une certaine presse en mal de sensations fortes.
Généralement accusé à tort, et victimes de fausses allégations, Fortunat Biselele, Bifor pour les intimes, a toujours su rester droit dans ses bottes, sans jamais se laisser déstabiliser par ce qui a tout l’air des campagnes savamment orchestrées pour lui nuire. Ce vendredi 6 janvier, enfin, il passe de l’ombre à la lumière. Des extraits d’une interview contenue dans un documentaire réalisé par le journaliste camerounais de Radio France Internationale, RFI, sont diffusés sur plusieurs comptes Twitter. Et c’est le buzz !
Depuis la soirée du vendredi jusqu’au samedi, c’est Bifor qui s’est retrouvé à la Une. Les opinions sont globalement équilibrées entre, d’une part, ceux qui, bien souvent adversaires politiques, le vouent aux gémonies et, d’autre part, ceux qui trouvent justifiée la démarche visant la restauration de la paix dans l’Est du Congo et dans la région des Grands lacs tentée à l’époque par le nouveau pouvoir de Kinshasa. Pourtant, les propos de Fortunat Biselele s’inscrivent dans un ensemble cohérent – la chronique d’Alain Foka, intitulée «Qui pour sauver le Congo » – que tout le monde apprécie.
Tout bien considéré, il importe d’abord de considérer le contexte historique de la RDC et de la région de ces trois dernières décennies avant de porter un jugement sur les propos du conseiller privé du chef de l’Etat. Entre juillet 1994 et mai 1997, on a ainsi assisté à une féroce inimitié entre le nouveau régime rwandais du Front patriotique rwandais, FPR, et le pouvoir de Mobutu, coupable, aux yeux du premier, d’avoir soutenu le régime Habyarimana et d’avoir hébergé des millions de réfugiés rwandais maintenus dans des camps à un jet de pierre de leur pays d’origine et ce, sans désarmer les combattants et sans les séparer de civils. Ceci vaudra au pays la première guerre, celle de septembre 1996, déclenchée par le Rwanda soutenu par l’Ouganda – et plus tard par d’autres pays – qui aboutit à la chute du vieux maréchal.
Guerre mondiale africaine
Ensuite, d’août 1998 à juin 2003, la rancœur tenace entre le régime de Laurent-Désiré Kabila et ses anciens parrains rwandais et ougandais, qui a provoqué une deuxième guerre, souvent considérée comme la «guerre mondiale africaine», avec l’intervention sur le territoire congolais des armées de sept pays belligérants. Et enfin, malgré la signature de l’Accord de Sun City, l’organisation de la transition dite «1+4», et la tenue de plusieurs cycles électoraux, l’on assiste toujours au regain cyclique des mouvements politico-militaires d’une réelle importance : le Congrès national pour la dépense du peuple, CNDP de Laurent Nkunda d’abord, et le Mouvement du 23 mars, M23 de Bisimwa et Makenga ensuite, qui mettent à mal la stabilité du pays.
Sur le banc des accusés : Joseph Kabila, qui ne respecterait pas ses engagements, y compris les protocoles de paix de Nairobi, signés en 2013 avec des chefs d’Etat de la région comme témoins. Ainsi compris, la question est la suivante : fallait-il ou non, tenter de mettre cartes sur table avec le principal pourvoyeur de l’insécurité, dans l’espoir de restaurer une paix durable dans la partie orientale de la RDC, quitte à s’occuper des autres petites milices locales par la suite ?
Dans l’histoire du monde, des spectaculaires réconciliations ont été réalisées par des leaders visionnaires entre des pays pourtant séparés par un océan de haine et de rancœurs. Après la guerre franco-allemande de 1870-1871 (défaite française), la première guerre mondiale de 1914-1918 (défaite allemande), et la seconde guerre mondiale de 1940-1945 (défaite allemande) avec leur cohorte de millions de morts, les deux principales puissances européennes que sont la France et l’Allemagne ont bien fait le choix de la réconciliation, afin d’éviter une nouvelle guerre et mettre fin au revanchisme. Le Traité de l’Elysée, signé en 1963 entre le président français Charles de Gaulle et le chancelier allemand Konrad Adenauer a officialisé ce rapprochement. Depuis lors, c’est sur le pilier franco-allemand que se construit l’Europe. Plus près de nous, après une meurtrière guerre de mai 1998 à juin 2000, l’Ethiopie et l’Erythrée ont fini par se réconcilier avec l’arrivée au pouvoir du Premier ministre Aby Ahmed en Ethiopie.
Sans brader les richesses du pays
La réconciliation et la pacification de la région, du moins le fait d’avoir tenté de les obtenir, n’étaient donc une si mauvaise chose que ça. On ne peut tenir rigueur au président de la République d’avoir essayé, quitte à buter sur la mauvaise foi de son partenaire.
Autre chose qui provoque des réactions en sens divers : les accords économiques entre les deux pays en 2021, la RDC avec ses matières premières, et le Rwanda avec ses partenaires internationaux. Ici, il importe de bien comprendre la réalité qui était celle du moment. Les grandes sociétés multinationales rechignaient à s’installer en RDC, mais préféraient ouvrir boutique au Rwanda où ils s’amenaient avec de gros capitaux logés dans des banques au pays des mille collines. C’est ainsi que la grande multinationale américaine AB Minerals a construit au Rwanda la première usine africaine de raffinerie de coltan en 2016, et une autre multinationale américaine, Américain Hilly Metals Company, s’est associée avec la compagnie rwandaise Aldira pour construire une raffinerie d’or en 2019. Objectif : raffiner l’or du continent qui, auparavant, prenait la route des Emirats arabes unis, de la Turquie, de la Suisse ou de la Belgique.
D’où, la question était : comment faire profiter la RdCongo de ces partenaires de notre voisin ? C’est de cela qu’il s’agissait, sans pour autant brader les richesses congolaises.
En effet, dans « le protocole d’accord de coopération » négocié alors par Fortunat Biselele, une entreprise congolaise, la Société aurifère du Kivu et du Maniema (Sakima SA) et une entreprise rwandaise, Dither LTD, ont signé un accord pour l’exploitation de l’or. La complémentarité était ainsi convenue : les deux sociétés contrôlent la chaine des valeurs à partir de l’extraction exclusivement faite par la société congolaise Sakima et le raffinage par la firme rwandaise Dither SA.
Outre les gains économiques pour les deux parties, il y avait aussi un avantage pour la paix dans l’Est du pays : les groupes armés qui tirent des revenus pour financer la guerre avec de l’or congolais ne pouvaient plus se permettre d’exploiter ou de revendre auprès des acheteurs sur les marchés internationaux.
Ainsi compris, on réalise la pertinence des propos de Fortunat Biselele, critiqué à tort par certains, mais aussi la mauvaise compréhension que certains ont des propos du conseiller privé du chef de l’Etat – et la mauvaise interprétation qu’ils en font.
Belhar Mbuyi (CP)