Pour le pays comme pour les candidats, la dernière ligne droite vers l’élection présidentielle du 20 décembre est loin d’être un fleuve tranquille. Voici pourquoi.
En République Démocratique du Congo, le compte à rebours avant l’élection présidentielle de la fin de l’année 2023 est lancé.
Le temps est désormais compté pour les potentiels candidats, le bureau d’enregistrement des candidatures, ouvert le 9 septembre par la Commission électorale (Céni) a fermé le 8 octobre. La présidentielle, à un seul tour, est prévue le 20 décembre.
Elle sera couplée à l’élection des députés nationaux et provinciaux ainsi qu’à celle des conseillers communaux.
Félix Tshisekedi, Président de la République depuis janvier 2019, est candidat à un second mandat de cinq ans, ce que la Constitution autorise. Et il ne fait aucun doute que l’actuel Chef de l’État va mettre toutes les chances de son côté pour l’emporter.
À ses côtés, une véritable machine de guerre s’est mise en branle avec son parti, l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), déjà en ordre de bataille, avec le soutien des figures politiques emblématiques que sont Jean-Pierre Bemba ou Vital Kamerhe, lesquels ont mis de côté leurs ambitions présidentielles pour cette échéance. La route vers la victoire s’annonce cependant semée d’embûches tant le contexte politique, social et économique, dans cet immense pays de quelque 100 millions d’habitants, est loin d’être des plus sereins.
Face au président sortant, les candidatures s’annoncent nombreuses et ne sont pas encore toutes connues. Les adversaires politiques déjà identifiés de Félix Tshisekedi sont Martin Fayulu, Moïse Katumbi ou encore le docteur Denis Mukwege.
Car, concrètement, sur le terrain, à près de quatre mois des scrutins, le climat politique s’est tendu : manifestations de l’opposition et des mouvements pro-démocratie interdites quand elles ne sont pas réprimées dans la violence comme récemment à Goma, harcèlement judiciaire de certains opposants, journalistes incarcérés, et toujours plus de victimes dans les conflits à l’est du pays.
Alors à l’heure où le pays semble se remettre dans l’orbite électorale, quel est le vrai bilan de Félix Thisekedi ? Quelles pourraient être les dispositions des électeurs à son égard ? Comment expliquer le climat délétère qui prévaut sur le plan national, alors qu’à l’international, la RDC est redevenue ce géant d’Afrique centrale incontournable sur le plan géopolitique, notamment sur la question énergétique ?
FÉLIX TSHISEKEDI EN ROUTE POUR UN 2E MANDAT ?
«Une chose est sûre, Félix Tshisekedi a réussi à faire de la RD Congo un acteur incontournable dans le champ diplomatique international», pointe, le géopolitologue Tumba Alfred Shango Lokoho. Avant son arrivée, la RD Congo était reléguée et au ban des nations.
Aujourd’hui, le pays est de nouveau audible, même si les multiples voyages effectués par le chef de l’État à l’étranger pendant les premières années de son mandat n’ont pas toujours donné les résultats escomptés sur le plan des retombées économiques. Pris à la gorge par le chômage et l’inflation, de nombreux Congolais ont du mal à nourrir leurs familles. Ce que confirme la statistique selon laquelle les deux tiers des habitants de la RD Congo vivent sous le seuil de pauvreté dans un pays réputé pour la richesse de son sous-sol en matières premières rares et stratégiques pour des produits issus des nouvelles technologies.
Dans un tel contexte, dans quelles dispositions se trouvent les Congolais face à l’élection prévue en décembre malgré le jugement mitigé qu’ils portent sur le bilan de Félix Tshisekedi même si celui-ci est globalement plus positif que celui qu’ils portaient sur la gestion des prédécesseurs de l’actuel Président.
QUEL POURRAIT ÊTRE LE TAUX DE PARTICIPATION ?
Dans un sondage du 22 août au 14 septembre 2023 auprès de 987 Congolais(es) sur les intentions de vote en République Démocratique du Congo réalisé, pour l’agence Kuna basée à Paris, par l’institut «One to One» implanté en Tunisie et partenaire national d’Afro-baromètre, sondeur de l’opinion publique sur des sujets économiques, politiques et sociaux à travers le continent africain, 84,5 % des inscrits concernés par l’enquête ont déclaré avoir l’intention de voter à l’élection présidentielle du 20 décembre.
Ce taux augmente d’environ 3,5 % chez les hommes pour atteindre 87,6 %. Tandis que pour les femmes, ce taux est de 81,3 %. Ce taux baisse à 66 % chez ceux qui n’ont pas fréquenté les bancs de l’école.
Dernier enseignement : les personnes âgées de 35-54 ans comptent participer plus que les jeunes (18-34 ans) ainsi que leurs aînés (55 ans et plus) à la prochaine élection présidentielle (88 % contre respectivement 85 % et 76 %) étant entendu qu’il faut avoir à l’esprit que le taux de l’élection de 2018 était de 47,5 % (18 329 318 votants sur 38 542 138 enrôlés).
QU’EN EST-IL DES INTENTIONS DE VOTE?
Au regard de ce même sondage, le candidat Félix Antoine Tshisekedi, à 43,6 %, devance celui qui apparaît comme son principal concurrent, en l’occurrence Moïse Katumbi (24 %) et Martin Fayulu (16,2 %). 25 % des sondés ne savent pas pour le moment pour qui voter. Ces données sont à prendre avec des pincettes, dans la mesure où des doutes existent sur les conditions de réalisation de ce sondage.
À trois mois de l’élection présidentielle, ce sondage en confirme un précédent réalisé en mars 2023 par l’Institut Léger, plus grande firme de sondage, de recherche marketing et analytique au Canada. Selon celui-ci, Félix Antoine Tshisekedi obtiendrait 48% des intentions de vote, suivi par Moïse Katumbi à 23 % et Martin Fayulu à 16%. Et les huit autres candidats potentiels en lice ne parviendraient à rallier que 11% de l’électorat.
Ce sondage de mars 2023 confirme également un autre sondage, celui-ci daté d’un an car mené du 28 juin au 25 juillet 2022 auprès d’un échantillon de plus de 10 000 personnes réparties dans 33 villes et 145 territoires de RDC. Selon les résultats de cette étude menée par l’Agence américaine de recherche sociale «Geopoll», plus de la moitié
des personnes sondées seraient prêtes à voter en faveur du président Tshisekedi.
Autant d’indications qui donnent à faire de l’actuel chef de l’État le favori de l’élection présidentielle de décembre.
Cela dit, il serait exagéré de penser que les jeux sont faits. Il n’y a aucun doute que l’ambiance dans laquelle les élections vont se dérouler jouera sur ce scrutin où les enjeux économiques, politiques et sociaux ne manqueront d’impacter la participation des électeurs aux prises avec de multiples insécurités quotidiennes, alimentaires mais aussi politiques liés aux différents conflits à travers le territoire.
D’épineux dossiers : de l’insécurité à l’Est aux scandales de détournements publics
Il faut rappeler qu’en 2019, l’arrivée à la tête du pays de l’opposant Félix Tshisekedi, dans des conditions contestées, avait suscité beaucoup d’espoirs, après 17 années d’un pouvoir sans partage de Joseph Kabila.
Félix Tshisekedi avait, alors, promis de s’attaquer au chômage, à la pauvreté, à la corruption, au manque d’infrastructures et à l’insécurité endémique à l’est du pays.
« Le bilan du président Félix Tshisekedi depuis 2019 à la tête de la République démocratique du Congo est plus que mitigé, analyse Tumba Alfred Shango Lokoho, observateur de la politique congolaise. Lorsqu’il a pris le pouvoir, Félix Tshisekedi n’avait pas véritablement les coudées franches à cause du deal scellé avec le président sortant Joseph Kabila, avance-t-il au Point Afrique. Il ne contrôlait qu’une portion limitée de l’exécutif et n’avait de majorité ni à l’Assemblée nationale ni au Sénat pendant les deux premières années de sa présidence. Le tournant a été l’Union sacrée pour la nation qui a consisté à faire exploser l’ancien cadre et permettre à Félix Tshisekedi de diriger et enfin affirmer son autorité à la tête de l’État », explique l’expert, par ailleurs, maître de conférences à l’université Sorbonne Nouvelle.
Depuis l’arrivée au pouvoir de Tshisekdi, les dossiers épineux voire explosifs n’ont pas manqué.
« Le climat politique interne a toujours été tendu, pointe, le professeur, Tumba Alfred Shango Lokoho. Et de citer la question du M23 et de l’insécurité à l’Est de la RD Congo ainsi que des détournements de fonds, notamment ceux débloqués pour les 100 jours et destinés à des projets de développement.
«Deux éléments me semblent essentiels pour comprendre comment on en est arrivé là, croit savoir Alfred Shango : d’un côté, on a l’impression que le gouvernement n’a pas été en mesure de mener une politique socio-économique solide en faveur des populations, ce que les militants de l’UDPS lui rappellent d’autant plus régulièrement qu’il avait comme slogan lors de la campagne de 2018, «le peuple d’abord », rappelle le politologue, avant de poursuivre avoir « l’impression que le président sortant a manqué de missi dominici autour de lui pour mener un dialogue franc, démocratique et républicain, avec l’opposition ».
Un raidissement sécuritaire menaçant pour les opposants et les journalistes
Aujourd’hui, si le calendrier fixé par la Commission électorale nationale indépendante est respecté, les candidats à la succession du président sortant n’ont plus que quelques jours pour déposer leurs candidatures, ce qui fait craindre un emballement.
Car depuis l’instauration de l’élection présidentielle en RDC en 2006, le processus électoral et l’annonce des candidats retenus ont systématiquement fait l’objet de contestations et de tensions.
Cette année ne devrait pas faire exception. L’ONG Human Rights Watch a d’ores et déjà dénoncé la «répression» et les «intimidations » auxquelles l’opposition politique fait face, «dans un contexte de tensions politiques accrues ».
D’ailleurs, dans un communiqué publié fin août, l’ONG parle de «vague d’arrestations et de restrictions des libertés fondamentales ».
Le bureau des droits humains des Nations unies en RDC, pour sa part, évoque «des enlèvements et des menaces ciblant l’opposition », «des discours de haine et d’incitation à la violence» ainsi qu’un «usage excessif de la force contre des manifestants pacifiques ».
L’organisation de défense de la presse Journalistes en danger (JED) s’alarme aussi de la «montée » de la «violence physique à l’égard des journalistes » et des «militants de partis politiques ».
La plupart des incidents rapportés par Human Rights Watch concernent le parti Ensemble pour la République de Moïse Katumbi, poids lourd de la politique congolaise, qui est devenu un des principaux opposants au régime du président Félix Tshisekedi.
En mai dernier, le premier conseiller de l’ex-gouverneur du Katanga, Salomon Kalonda, a été arrêté à Kinshasa par des agents du Renseignement militaire et détenu pour des charges qui ont changé à plusieurs reprises depuis son arrestation.
Le 13 juillet, Chérubin Okende, porte-parole d’Ensemble pour la République, a été retrouvé mort, criblé de balles dans son véhicule, au bord d’une route dans la capitale. Cet ancien ministre des Transports de Felix Tshisekedi a rallié Moïse Katumbi et l’opposition fin 2022. Son « assassinat », jusqu’à présent non élucidé, continue de provoquer l’émoi à travers le pays.
Dans une tentative pour rassurer les Congolais et la communauté internationale, le président Félix Tshisekedi, a déclaré lors d’un meeting le 25 juin qu’il s’attaquerait «sans remords à tout Congolais » qui nuirait à la «stabilité (du) pays». «Peu importe ce qu’on en dira : violations des droits de l’homme, privation de libertés…».
Comment interpréter ces propos alors que quelques mois plus tard, en ce début septembre, Stanis Bujakera Tshiamala, le correspondant de Jeune Afrique, de l’agence Reuters, également directeur-adjoint de publication du site congolais d’information Actualité.cd a été arrêté, détenu plusieurs jours puis emprisonné le 14 septembre dernier, accusé notamment de faux en écriture et propagation de fausses nouvelles pour un article publié et non signé par lui dans le mensuel panafricain basé à Paris et mettant en cause les renseignements militaires dans l’assassinat justement de l’ancien ministre et opposant Chérubin Okende.
« Le cas de Stanis Bujakera Tshiamala est très surprenant », réagit Tumba Alfred Shango Lokoho qui suit avec attention l’évolution de la situation. « Quand le président Félix Tshisekedi était dans l’opposition, il n’a pas cessé de dénoncer la répression du régime Kabila contre les journalistes ainsi que les tentatives de museler la presse à l’époque. Il semble bien que cette pratique a continué et, aujourd’hui, on peut dire qu’elle s’est accentuée, ça déroute un peu, constate le politologue ». « Ce sont autant de tentatives de la part du camp présidentiel pour mettre sous le boisseau la vraie presse, celle qui n’est pas dans l’adulation du chef de l’État qu’il rêve de faire réélire », tranche-t-il.
Moïse Katumbi et ses proches particulièrement visés
Ce souhait ne va pas couler de source au regard de la motivation de plusieurs mastodontes de la politique congolaise prêts à affronter le président sortant sur le terrain. Moïse Katumbi, l’ex-gouverneur du Katanga, apparaît ainsi comme l’un des principaux grands rivaux de cette élection. «Dès lors que Moïse Katumbi a affiché sa volonté de se présenter à l’élection présidentielle, on a aussitôt observé une sorte d’emballement, et presque en même temps, une campagne a été lancée pour discréditer ce dernier », commente Tumba Alfred Shango Lokoho. « Idem, pour le docteur Denis Mukwege, auquel on prête l’intention d’aller à la présidentielle de décembre prochain. Là aussi, la machine s’est mise en branle pour le discréditer tout comme Matata Ponyo, l’ancien Premier ministre. Et aujourd’hui, Martin Fayulu, de la coalition Lamuka («Réveille-toi», en lingala), dénonce, ce climat délétère ».
Depuis le début du processus, l’opposition dénonce des irrégularités.
«Félix Tshisekedi part avec un certain avantage, étant donné qu’il est au pouvoir et qu’il dispose des moyens de l’État pour battre campagne », fait remarquer Tumba Alfred Shango
Lokoho. «En réalité, Félix Tshisekedi a déjà montré un aperçu de sa capacité à manœuvrer dans le marigot politique congolais, en nommant notamment des ministres comme Jean-Pierre Bemba à la Défense nationale et en réhabilitant Vital Kamerhe.
Son seul objectif est d’être réélu sans obstacle majeur. La machine Tshisekedi est déjà en marche », appuie le politologue. Et cette question des moyens, dans tous les esprits, ne va pas manquer de jouer un rôle prépondérant.
La question financière au coeur d’une campagne électorale…
Est-ce ce qui fait que plusieurs candidats ne se sont pas encore déclarés, comme le docteur Denis Mukwege, le Prix Nobel de la Paix 2018 ? Ses fervents soutiens (dont beaucoup sont à l’étranger) le poussent à se présenter mais la question de la capacité financière est primordiale dans un pays où faire campagne sur l’ensemble du territoire relève de la gageure. Le gynécologue congolais a indiqué avoir reçu de ses partisans 100.000 dollars, soit un chèque du montant de la caution nécessaire pour pouvoir se présenter à la présidentielle du 20 décembre.
Prix Nobel de la paix pour son action en faveur des femmes violées, Denis Mukwege, 68 ans, n’a cependant pas dit s’il se porterait candidat. «Je connais toute la souffrance que notre population vit au quotidien, (que cette] population soit capable de cotiser 100.000 dollars pour moi, ça veut dire simplement que vous n’allez plus reculer. Vous êtes déterminé à être un peuple libre, vous voulez être indépendant », a-t-il lancé à ses partisans venus en nombre, mi-septembre, jusqu’à son hôpital à Bukavu, dans l’est de la République démocratique du Congo.
… dans un pays en proie aux violences de groupes armés divers
La région est en proie depuis près de 30 ans aux violences de groupes armés, aux viols collectifs et aux mutilations génitales.
L’insécurité a gagné du terrain partout en RDC, à Goma, à Lubumbashi et même à Kinshasa.
Tumba Alfred Shango Lokoho rappelle que «le Président Tshisekedi qui avait promis de s’installer à Goma jusqu’à l’éradication de ces forces négatives n’a pas tenu sa promesse de mettre fin aux violences des groupes armés dans le pays». À ses yeux, à l’heure du bilan, « il est tout à fait légitime de chercher à savoir pourquoi dans un premier temps, son gouvernement avait accepté la venue des forces de la Communauté d’Afrique de l’est (EAC) dans l’est pour, aujourd’hui, récuser cette force. Je pense qu’il y a eu une ambiguïté sur la mission assignée à ces militaires et le mandat n’était pas très clair.
Dans tout ça, ll ne faut pas non plus oublier la question de la Monusco », poursuit Tumba Alfred Shango Lokoho.
Autant de sujets qui préoccupent les Congolais, alors que le président Félix Tshisekedi a insisté à la tribune de l’ONU, la semaine dernière, pour un retrait «accéléré» des Casques bleus de son pays à partir de fin 2023 déplorant que les missions onusiennes présentes depuis près de 25 ans «n’aient pas réussi à faire face aux rébellions et conflits armés qui déchirent ce pays et la région des Grands Lacs ni à protéger les populations civiles». Ces discussions autour du retrait de la Monusco interviennent d’ailleurs alors que l’ONU a fait face à une série d’attaques et de manifestations contre la présence des Casques bleus dans le pays.
De quoi dire qu’à trois mois des élections, les jeux sont loin d’être faits même si des sondages s’emploient à tenter de donner des tendances. Au regard du contexte et de la multiplicité des facteurs qui peuvent intervenir dans le processus menant à l’élection d’un président pour un mandat de cinq ans dans un pays complexe comme la RD Congo, la prudence semble de mise.
Avec Le Point Afrique