Retard dans l’acheminement du matériel électoral, manque de moyens financiers, cartes d’électeurs illisibles, fichier électoral opaque… De nombreuses inquiétudes font craindre des élections générales bâclées le 20 décembre en République démocratique du Congo (RDC). Un expert électoral international, spécialiste du Congo, redoute que le scrutin ne puisse se tenir que dans 1/3 des bureaux de vote.
Combien de Congolais pourront-ils réellement voter le 20 décembre prochain lors des élections générales en République démocratique du Congo (RDC) ? Aussi étonnant que cela puisse paraître, la question vaut la peine d’être posée. Officiellement, 44 millions d’électeurs sont appelés aux urnes pour élire le président de la République, les députés nationaux, provinciaux et les élus communaux. Mais plusieurs inquiétudes pèsent sur le scrutin. Il y a d’abord les nombreux retards accumulés par le gouvernement pour débloquer les moyens financiers, mais aussi par la Commission électorale nationale indépendante (CENI) pour déployer le matériel électoral dans les 26 provinces.
Depuis plusieurs mois, le président de la CENI, Denis Kadima, tire la sonnette d’alarme pour réclamer le milliard de dollars nécessaires pour l’organisation des élections. Il y a une semaine, le gouvernement débloquait 130 millions de dollars, mais il manque toujours une centaine de millions qui tarde à venir, alors que nous sommes à un peu plus d’une semaine du scrutin. Les conséquences du déblocage des moyens financiers au compte-gouttes par le gouvernement ont provoqué d’importants retards dans l’achat et l’acheminement du matériel électoral.
Casse-tête logistique
Machines à voter, bulletins de vote, procès-verbaux… Tout le matériel électoral tarde à venir. Une première livraison en provenance de Chine est arrivée le week-end dernier à Kinshasa, soit 11 jours avant le scrutin. Les 90 tonnes de matériels devront ensuite être livrées dans les 75.000 bureaux de vote dispersés dans tout le Congo. Une seconde livraison est arrivée lundi, mais personne ne sait combien en attendant la CENI. Ce défi logistique est majeur dans un pays-continent, grand comme cinq fois la France, et dépourvu d’infrastructures routières et ferroviaires dignes de ce nom. Tout doit se faire par avion et ensuite en camion sur des routes non asphaltées et en pleine période des pluies.
La CENI a d’ailleurs appelé la semaine dernière, en catastrophe, le gouvernement à la rescousse pour mettre à disposition 5 Antonov et 10 hélicoptères pour accélérer la livraison. Mais déjà, dans certaines provinces, on pense que tous les bureaux de vote ne seront pas en mesure de fonctionner. Un cas parmi d’autres. Celui de la province de l’Equateur, où des agents de la CENI estiment que même si le matériel électoral est à Kinshasa, il sera impossible de le livrer dans les bureaux les plus reculés de la province. Aucune information n’a été donnée par la CENI sur le nombre de machines à voter en état de fonctionner le 20 décembre prochain. Un peu moins de 20.000 nouvelles machines ont été commandées.
Reste à savoir si elles arriveront à temps. Deux incendies ont également touchés des locaux de la CENI dans les provinces du Sud-Kivu en juillet et du Maï-Ndombe en décembre. Un peu plus de 1.000 machines ont été détruites. La CENI n’a pas indiqué si elles étaient déjà remplacées.
«Seuls 25.000 bureaux de vote pourront fonctionner»
Un expert électoral international, qui a suivi tous les scrutins depuis 2006 au Congo, a fait part de son inquiétude à Afrikarabia. «Depuis le début du processus électoral, la CENI est prise par le temps. Il y a beaucoup de retards. Le scrutin risque d’être limité aux seules grandes villes et aux capitales provinciales, mais il ne pourra pas être organisé dans l’intérieur du pays, sur les 75.000 bureaux de vote prévus ».
Selon lui, la CENI ne sera capable d’ouvrir que 1/3 des bureaux vote, soit environ 25.000. Mais les inquiétudes de notre expert ne s’arrêtent pas là. La fiabilité du fichier électoral pose problème. «Personne ne peut vérifier ce fichier. Denis Kadima devait le rendre accessible sur le site de la CENI, mais il n’est pas téléchargeable. Donc personne ne peut l’évaluer ou travailler dessus».
Une autre déconvenue de taille est venue se rajouter à ce processus électoral déjà chaotique, celui de la mauvaise qualité des cartes d’électeurs. Dès l’enrôlement des électeurs, début 2023, de nombreux Congolais ont signalé que la photo et les informations imprimées sur la carte s’effaçaient avec le temps. Pour alléger les kits électoraux, la centrale électorale avait fait le choix d’utiliser des imprimantes thermiques pour fabriquer les cartes d’électeurs. Devant le tollé de la population face aux cartes qui s’effacent, ces imprimantes ont été changées après un premier cycle d’enrôlement.
Selon les informations de notre expert, plusieurs millions de cartes seraient concernées. «Une source industrielle m’a parlé de 10 millions de cartes illisibles, soit 1/4 des électeurs, ce qui est énorme », nous indique notre spécialiste des élections au Congo.
Des Congolais privés de vote
Avec le bug des cartes d’électeurs qui s’effacent, d’autres anomalies sont apparues. Les électeurs qui vont chercher un duplicata de leur carte rendue illisible sont de nouveau inscrits sur la liste électorale et non pas recherchés sur le fichier existant. Une nouvelle carte leur est délivrée qui vient se rajouter au fichier électoral initial, ce qui va rendre ces votes forcément suspects puisque ces électeurs vont voter sans identification précise de leur identité.
Enfin, de nombreuses informations remontent sur des Congolais qui ne trouvent pas leur nom sur le fichier électoral. «Aux élections de 2006, se rappelle notre expert, il y avait 1 million de personnes qui n’avaient pas été inscrites sur les listes électorales ».
En 2011, c’était 3 millions. En 2018, on ne le sait pas puisque Corneille Nangaa (le président de la CENI, ndlr) n’avait pas publié de chiffres, mais en 2023, le nombre des «omis» risque d’être très important».
Enfin, la guerre dans l’Est et le conflit dans le Maï-Ndombe ou la Tshopo, va priver des centaines de milliers d’électeurs de vote le 20 décembre. Si l’on cumule les problèmes logistiques d’acheminement du matériel de vote, un fichier électoral que personne n’a pu et ne pourra contrôler, des électeurs qui ne pourront pas voter faute de cartes d’électeurs lisibles ou de duplicata… Il semble bien difficile de dire combien de Congolais pourront réellement participer au scrutin, et surtout, si les résultats de ces votes seront crédibles et transparents. Il reste une poignée de jours à la CENI pour tenter l’impossible, mais pour un grand nombre de ces dysfonctionnements, il est clairement trop tard pour mieux faire. Ce qui fait dire à certains. Et c’est la petite musique que l’on entend à Kinshasa ces derniers jours, que les élections pourraient être reportées.
Christophe Rigaud (Afrikarabia)