RDC : le énième retour de la table ronde congolaise ?

L’idée lancée par l’opposant Martin Fayulu ne fait pas l’unanimité. La Convention du parti démocrate américain qui s’est déroulée du 19 au 22 août 2024 à Chicago et qui a formellement désigné Kamala Harris comme candidate à la présidence des États-Unis pour la présidentielle du 5 novembre prochain, n’est pas passée inaperçue en République Démocratique du Congo.

En cause, la sortie de l’opposant Martin Fayulu, de passage à Chicago en marge de cette convention. À quelques jours de son meeting de « cohésion nationale » prévu ce 31 août à Kinshasa, l’opposant, qui avait d’abord appelé à boycotter les élections législatives et présidentielles du 20 décembre 2023, demandant aux membres de son parti de ne pas se présenter aux suffrages, avant de changer de cap en dernière minute et de se lancer en solo dans la campagne présidentielle, a profité de son séjour dans l’Illinois pour lancer ce qui s’apparente à un appel au dialogue national en RDC.

Le patron du parti Ecidé évoque la nécessité de «se mettre autour d’une table pour qu’on parle de l’intégrité du pays », semblant, dans la foulée, réduire la totalité des problèmes politiques, sociaux et sécuritaires de la République Démocratique du Congo à «l’agression rwandaise ».

Réactions en chaîne

Depuis cette sortie, le landerneau congolais bruisse de toutes les rumeurs sur l’avenir de cette éventuelle «table ronde » qui n’est pas sans rappeler les grands-messes mobutistes ou celle de qui a accordé deux années supplémentaires de pouvoir à Joseph Kabila, de 2016 à 2018.

Pour la plupart des interlocuteurs congolais contactés, issus du monde politique ou de la société civile, il ne fait guère de doute que la démarche de Martin Fayulu est «au moins très proche des desseins du Président de la République », explique, très diplomatiquement, un professeur de l’Unikin. Mais la plupart des observateurs sont plus directs et expliquent en substance que le Chef de l’État peine à lancer son second et dernier mandat officiellement commencé depuis la prestation de serment du 20 janvier dernier. « La constitution du gouvernement a été très compliquée. Il fallait ménager les multiples susceptibilités de l’entourage présidentiel. Le casting est raté », explique un vieux briscard de la classe politique congolaise.

La Première ministre et le chef de cabinet du Président de la République sont généralement pointés comme des «maillons faibles, alors qu’ils sont essentiels dans le bon fonctionnement du pouvoir congolais ».

Pouvoir trop solitaire

Félix Tshisekedi, qui s’est crédité d’une majorité parlementaire éléphantesque lors des législatives «chaotiques », a cherché à conserver les rênes du pouvoir en évitant soigneusement de donner des portefeuilles sensibles à des ministres ambitieux, quitte à gripper la machine décisionnelle. «Cela fut tout à fait perceptible lors de l’hospitalisation du Président en Belgique. Tout a été paralysé. Aucune décision n’a été prise. Certaines structures internationales ou ONG étaient à l’arrêt parce qu’elles n’avaient pas d’interlocuteurs désignés et les ministres restés à Kinshasa n’osaient pas prendre d’initiative », explique un cadre d’une ONG internationale.

Impossible pour la présidence de revisiter un exécutif à peine installé. La table ronde, ou quel que soit le nom qui lui serait attribué, pourrait lui permettre de gagner du temps, de préparer un nouveau casting et de mettre un peu sous l’éteignoir médiatique le front de l’Est où l’Alliance Fleuve Congo de Corneille Nangaa continue sa progression territoriale et les ralliements qui l’accompagnent, tout en privant certains alliés de Kinshasa du contrôle des zones qui leur garantissaient leurs rentrées.

Deux oppositions

Cette table ronde pourrait aussi faire apparaître un clivage encore plus net entre deux oppositions, celle du binôme Fayulu-Muzito et un camp plus radical qui réunirait Katumbi et Kabila. «Toute cette agitation ne nous concerne pas », explique un proche de Joseph Kabila. «Nous n’avons rien à mettre sur la table et l’organisateur n’a rien à proposer ».

Même constat dans les rangs du parti Ensemble pour la République de Moïse Katumbi. «Nous ne sommes ni demandeur ni preneur. Une concertation ne se refuse pas mais pour qu’elle ait un sens, il faut des préalables. Ils existent. Il y a notamment le respect total de la Constitution, la révision complète de la Ceni et de la Cour constitutionnelle, sans oublier qu’on ne peut plus se mettre autour de la table sans la présence de l’opposition armée. Sans ces préalables posés devant le peuple congolais, il n’y a aucune amorce de dialogue… »

Avec La Libre Belgique Afrique