Depuis le 30 novembre 2021 des opérations militaires conjointes ont été lancées par les armées ougandaise et congolaise à l’Est de la RDC pour traquer les rebelles ADF. Mais la présence de soldats ougandais sur le sol congolais fait débat.
Le gouvernement congolais marche sur des œufs. Depuis le feu vert de Kinshasa aux troupes ougandaises d’entrer au Congo, la polémique enfle sur la légitimité et les objectifs d’une telle intervention. L’arrivée de soldats ougandais sur le sol congolais avait fuité dans la presse avait d’être, dans un premier temps, démenti par le porte-parole du gouvernement congolais, pour être finalement confirmé le lendemain. Après de longues heures de flottement, l’exécutif congolais a décidé d’assumer l’intervention militaire ougandaise.
«Nous avons fait le choix de ramener la paix dans l’Est de la RDC», a expliqué Patrick Muyaya, le ministre congolais de la Communication et des Medias. Et avec deux armées au lieu d’une, le gouvernement congolais espère bien porter un coup fatal à la milice d’origine ougandaise qui commet massacres sur massacres depuis 2014 au Nord-Kivu.
«Violations des droits de l’homme et pillages»
Pourtant, les images de soldats ougandais qui entrent à pieds avec armes et bagages au Congo, suscitent beaucoup d’interrogations et rappellent surtout de bien mauvais souvenirs aux Congolais. Entre 1998 et 2003, l’armée ougandaise avait activement participé à ce que l’on appelle la «deuxième guerre congolaise». En soutenant d’abord la milice du MLC de Jean-Pierre Bemba, puis en affrontant l’armée rwandaise, son alliée d’hier, à Kisangani en 2000. Si la majorité des Congolais veulent en finir avec les massacres à l’infini dans la région du Nord-Kivu et de l’Ituri, ils s’inquiètent aussi sur les risques de voir entrer une armée étrangère de triste mémoire sur leur territoire.
Le prix Nobel de la Paix, Denis Mukwege, s’est montré très agacé par l’autorisation de Félix Tshisekedi donnée à l’armée ougandaise. «Après 25 ans de crimes de masse et de pillage de nos ressources par nos voisins, l’autorisation du Président à l’UPDF (Forces armées ougandaises, ndlr) est inacceptable. Non aux pompiers-pyromanes ! Les mêmes erreurs produiront les mêmes effets tragiques», accuse le célèbre gynécologue.
En 2005, l’Ouganda avait été condamné par la Cour internationale de justice de La Haye pour «violations des droits de l’Homme» et «pillages et exploitations des ressources naturelles».
Une intervention ougandaise qui tombe à pic
Les opérations militaires ougandaises ont été justifiées par des attentats à la bombe, perpétrés à Kampala, que les autorités attribuent aux ADF. Mais on imagine bien aisément que la demande des Ougandais d’intervenir sur le sol congolais n’était pas pour déplaire à Kinshasa. Depuis mai dernier, le Nord-Kivu et l’Ituri ont été placés sous état de siège. Un régime d’exception qui donne les pleins pouvoirs aux militaires et intensifie les offensives militaires.
Mais après sept mois d’état de siège, force est de constater que la violence n’a pas diminué dans la zone. Plus de 1.200 civils ont été tués pendant cette période, et l’aide ougandaise tombe à point nommé pour redorer un état de siège dont les résultats se font cruellement attendre. Mais les risques de l’intervention ougandaises sont bien réels. Car, si les opérations militaires sont indispensables pour éradiquer les groupes armés, elles ne sont pas suffisantes pour ramener la paix dans l’Est du Congo. Les causes de l’insécurité sont, en effet, multiples : problèmes économiques, conflits fonciers, communautaires, sociaux, lutte pour les ressources naturelles ou le pouvoir politique… et la réponse militaire ne peut pas être la seule retenue.
Engrenage
L’arrivée sur le territoire congolais des forces ougandaises risque également de relancer les tensions régionales. C’est ce qu’explique Jason Stearns, directeur du GEC (Groupe d’étude sur le Congo) à l’université de New York. «Le Rwanda, qui a longtemps regardé son voisin du nord avec suspicion, pourrait voir le déploiement de l’Ouganda comme une menace et un empiètement sur une zone qu’il considère comme essentielle pour sa sécurité nationale ».
Début novembre, l’armée congolaise a dénoncé les attaques de l’ancien groupe rebelle du M23 sur les collines de Runyonyi et Chanzu, à seulement 80 kilomètres de la capitale provinciale Goma.
Une branche de l’ex-rébellion démobilisée est accusée d’être soutenue en sous-main par Kigali, ce qu’ont démenti les forces armées rwandaises. Mais la tension est donc bien montée d’un cran dans la région, entre état de siège et incursions de groupes armés. La crainte serait une généralisation du conflit, où l’Ouganda, le Rwanda, et le Burundi plus au sud, se retrouveraient en RDC, avec au milieu, une armée congolaise impuissante.
Un pari risqué pour Tshisekedi
Pour Jason Stearns, le risque de l’intervention militaire ougandaise serait également de dédouaner l’Etat congolais de ses missions premières, et notamment d’assurer la sécurité de ses populations et l’intégrité de son territoire. «Il est difficile d’imaginer une solution globale à la violence dans cette région sans l’implication de l’État congolais. Il est nécessaire de mener des opérations militaires, mais aussi de mener un programme de démobilisation, de servir de médiateur dans les conflits locaux, de construire et d’entretenir les infrastructures et de fournir des services publics», analyse le chercheur.
Pour l’instant, le président Tshisekedi fait le pari d’une amélioration de la sécurité dans l’Est de la RDC grâce aux opérations conjointes menées avec son voisin ougandais, qui, comme lui, a tout intérêt à voir disparaître la menace des ADF. Mais le pari est risqué. Les résultats peuvent être décevants, et la pression militaire sur le groupe rebelle peut avoir l’effet inverse, et notamment d’augmenter les représailles contre les populations civiles. Le pari est aussi risqué politiquement.
L’opposition a fortement dénoncé l’appel à une armée étrangère et la communication hiératique du gouvernement sur les missions exactes des troupes ougandaises, la durée et l’étendue de l’opération qui restent des plus floues.
A l’approche de la présidentielle de 2023, Félix Tshisekedi joue gros sur une de ses promesses de campagne : ramener la paix au Congo. Si certains critiquent la méthode peu cavalière dont les opérations ont été annoncées, d’autres y voient un moyen plus efficace de lutter contre les groupes armés. C’est le cas du député de Bunia, Gratien de Saint Nicolas Iracan. «Vous condamnez la mutualisation des forces sans nous donner de propositions pour éviter les massacres à grande échelle ! Le gouvernement Sama Lukonde a pris la bonne décision », a-t-il écrit sur son compte Twitter.
D’autres élus de l’Est soutiennent également l’initiative présidentielle. La décision de Félix Tshisekedi de laisser entrer les troupes ougandaises pour combattre les ADF est pourtant très pragmatique pour une source sécuritaire occidentale : « Devant le manque de résultats de l’état de siège, le président n’avait pas d’autres choix que de faire appel à ses voisins. L’armée congolaise est encore très faible. Elle n’arrivera pas à ramener la sécurité toute seule et le président sait qu’il est très attendu sur le dossier sécuritaire ».
Econews avec Afrikarabia