RDC : pourquoi le projet de réforme constitutionnelle pose un problème ?

L’annonce d’une réforme constitutionnelle faite à Kisangani, le 23 octobre 2024, par le président Félix Tshisekedi, a provoqué une réaction de rejet de l’opposition et de la société civile. Pour la majorité des Congolais, cette initiative est vécue comme une manipulation du texte suprême par l’actuel régime afin de permettre à son champion de s’accrocher au pouvoir, en faisant voler en éclats le nombre et la durée des mandats du Président de la République. La question est controversée dans un pays où l’initiative de la révision est prévue par la loi fondamentale, et non en rédiger une nouvelle. Ce qui pose un problème.

Le projet de réforme constitutionnelle initié par le président de la République est mal reçu par l’opposition et une frange importante de la société civile qui suspectent Félix Tshisekedi de tenter, par cet exercice, à s’accrocher au pouvoir. De ce fait, il est vécu comme une opération pour faire sauter l’acquis démocratique du nombre et de la durée des mandats du président de la République (article 220 de la Constitution).

En Afrique, les exemples sont légion. En République du Congo, Denis Sassou-Nguesso, a fait voter, par référendum, une Constitution présentée comme une évolution positive du système juridique du pays, mais qui a aussi mis un terme à la limitation à deux, du nombre de quinquennats à exercer par un chef de l’État. Le président congolais s’est ainsi ouvert la voie d’un nouveau mandat, la réforme ayant été votée à une écrasante majorité, selon les chiffres officiels. Au Rwanda, le président Paul Kagame, au pouvoir depuis 1994, a annoncé fin décembre 2016, sa décision de solliciter à nouveau les suffrages des Rwandais en 2017, grâce à une révision de la Constitution qui a fait voler en éclats la limitation à deux du nombre de mandats. Le Burundi, quant à lui, a vécu des tensions politiques et sociales graves, depuis la révision de la loi fondamentale, qui a permis à l’ancien président, Pierre Nkurunziza, de se faire élire pour un nouveau mandat alors qu’il était arrivé au terme de ses deux mandats constitutionnels. Et on pourrait en citer d’autres.

RISQUE D’EMBRASEMENT GÉNÉRAL  

Ce projet amorcé par le président Félix Tshisekedi pourrait, si l’on y prend garde, susciter des conflits violents dans le pays. Pour l’opposition et la société civile, qui entendent combattre férocement ce plan, elles sont convaincues qu’il s’agit d’une voie ouverte pour un troisième mandat présidentiel. Cette intention fait peser un grave risque d’embrasement général et est donc dangereuse pour l’unité du pays ! C’est la chienlit, pour parler comme le général de Gaulle. S’il est vrai que plusieurs dispositions conflictogènes de l’actuelle Constitution sont à revoir, le moment est-il opportun pour engager une telle réforme ? Que compte proposer aux Congolais le président Félix Tshisekedi : révision ou changement de la Constitution ? Il est resté très évasif sur son contenu. Or, en matière de réforme constitutionnelle, le timing est aussi important que le contenu du texte. Dès lors que le président Félix Tshisekedi a annoncé une révision constitutionnelle d’ampleur, a-t-il pris le soin d’assurer qu’il n’était pas partant pour un troisième mandat, et que, par conséquent, l’article limitant à deux quinquennats l’exercice de la magistrature suprême ne serait pas touché ?

Dans une vidéo devenue virale sur les réseaux sociaux, il fait la déclaration suivante : « Moi, je me suis dis, à coup sûr, je ne peux pas m’éterniser au pouvoir. Un homme normal ne peut faire plus de deux mandats s’il veut rester en bonne santé dans ce pays. Ce n’est pas évident. Il faut beaucoup se ménager. » En effet, c’est le bon sens même.  A-t-il changé d’avis ? Assurément oui.

Aujourd’hui, il dit, avec bonne humeur, que la réforme  promise visera à adapter la Constitution congolaise aux réalités du pays et à assurer une plus grande cohérence au niveau des institutions. En vue de cela, il mettra en place, l’année prochaine, une commission nationale d’experts pour préparer une nouvelle Constitution. « L’actuelle avait été rédigée à l’étranger par des étrangers », s’est-il indigné.

UNE CONSTITUTION TRÈS CONGOLAISE

« Cette Constitution est une Constitution congolaise faite par les Congolais (…) Tout est parti de Sun City et c’était des Congolais qui étaient là. Après, cette Constitution a été adoptée par le référendum des 18 et 19 décembre 2005 (…) Nous n’avons pas affaire, ici, à une petite sœur d’une Constitution belge ou autre », a déclaré le professeur de droit constitutionnel, André Mbata Mangu, à propos de l’actuelle Constitution promulguée, le 18 février 2006, par l’ancien président Joseph Kabila.

Le professeur Auguste Mampuya est assez précis : « Le comité de rédaction de cette Constitution était composé des Congolais, membres du pouvoir, de l’opposition et de la société civile, depuis son élaboration jusqu’à l’organisation du référendum. Le seul étranger qui y était, à titre consultatif, est le professeur sénégalais, El Hadji Mbow.  Il a laissé la primauté aux Congolais pour la rédaction des dispositions de cette loi fondamentale. »

Une question tarabuste les juristes : en exprimant clairement sa volonté de réformer la Constitution du 18 février 2006, Félix Tshisekedi n’a-t-il pas rompu avec son serment prêté lors de son investiture de défendre et de faire respecter la loi fondamentale du pays ? Il est aussi paradoxal de constater que l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), le parti du président, qui s’était opposée de façon véhémente à une réforme similaire sous le président Joseph Kabila, souhaite à son tour un chambardement de la loi fondamentale ! À l’époque, elle déclarait que la RDC fait face à des défis urgents, et la priorité n’est pas de changer la Constitution. Aujourd’hui, en quoi a-t-elle montré ses limites ?

UN CHANGEMENT DE CONSTITUTION SE PROFILE À L’HORIZON

Cette réforme, si elle aboutissait, empoisonnerait l’atmosphère politique dans le pays, en créant un sentiment de frustration dans la majeure partie de la population. Une Constitution plus consensuelle, une rédaction plus convenue du texte, où les dispositions controversées seront extirpées, et les propositions de l’opposition et de la société civile prises en compte, apparaissent nécessaires. Pourquoi les consultations ne sont-elles pas engagées en amont ? Car, à propos de cette question importante, dont dépend l’avenir du pays, une réflexion approfondie s’impose.

À n’en point douter, l’avis des Congolais sera sollicité, à travers un référendum. Pourtant, une question se pose : la Commission électorale nationale indépendante (CENI), dont les défaillances, la composition politique et ethno-tribale ouvrent la porte aux dérapages et aux crises, est-elle mieux outillée techniquement et humainement, pour organiser un référendum ? Parce que, l’opposition a toujours réclamé l’institutionnalisation de la CENI et le renforcement de sa neutralité.

Le choix même de cette procédure s’apparente à l’élaboration d’une nouvelle Constitution (IVe République). Selon le politologue Bob Kabamba, si le président Félix Tshisekedi persistait à mettre en œuvre son projet et que cela se matérialisait, il va s’agir, purement et simplement, d’un « coup d’État constitutionnel », le texte suprême n’ayant pas prévu de procédure pour rédiger une nouvelle Constitution, mais seulement des modalités de révision de l’existante. Car, la réforme que l’on entend proposer aux Congolais (selon plusieurs sources concordantes) va au-delà de la révision. C’est le changement de Constitution qui se profile à l’horizon.

LES PRIORITÉS DES CONGOLAIS SONT AILLEURS

La réforme constitutionnelle, par les temps qui courent, apporterait-elle des solutions concrètes aux problèmes de la population ? Cette question se pose avec plus d’acuité dans un pays où le peuple vit dans une pauvreté aiguë : sans eau, sans électricité, sans route, sans emploi pour les jeunes, les grèves se multiplient et l’agitation sociale augmente; un pays où l’Est est occupé, depuis 30 ans, par les groupes armés et l’insécurité qui y règne. Cela risque d’entraîner comme conséquence la balkanisation du pays. D’ailleurs, plusieurs localités ne sont plus sous contrôle de l’armée congolaise.

Comment éviter les conflits et garantir l’État de droit ? Comment assurer l’indépendance de la justice ? Comment assurer le fonctionnement harmonieux des institutions ? Comment veiller à ce que le budget voté par le Parlement soit exécuté par le gouvernement devant lequel il est responsable et que les ressources du pays soient mises à la disposition du plus grand nombre de Congolais ? Comment lutter contre l’impunité ? Comment garantir l’alternance démocratique et contrer les dérives dictatoriales de ceux qui gouvernent ? Voilà les questions que les autorités congolaises doivent se poser, car ce sont là les priorités que les Congolais souhaitent voir mettre en œuvre. Ici et maintenant.

Robert Kongo (CP)