RDC : retrouver le sens du politique pour servir le bien commun (Tribune de Robert Kongo)

Le Congolais aime son pays, et il est préoccupé par sa situation. Ces trente dernières années, la République Démocratique du Congo (RDC) a énormément changé : politiquement, économiquement, socialement… Dans l’Est, les atteintes à l’intégrité territoriale et la situation des  populations civiles sont inadmissibles. Des offensives des groupes armés, dont le M23, avec le soutien du Rwanda, et la présence des forces rwandaises sur le territoire congolais, intensifient la violence dans cette partie du pays, et l’instabilité, étroitement entrelacée avec la géopolitique régionale, persiste. De plus, submergé par l’incertitude de quoi sera fait demain, le peuple congolais est envahi par la tristesse, à la pensée des vies brisées dans un pays aux énormes potentialités naturelles. La politique, qui a en effet comme ambition de servir le bien commun, a perdu de son sens au nom des antivaleurs érigées en mode de gestion de l’État. Cela étant, si le renouvellement de la classe politique devient une nécessité en RDC, l’élite intellectuelle, créatrice d’idées et d’innovation, a besoin d’un nouveau souffle.

La guerre dans l’Est de la RDC occupe tous les esprits. Elle est un enjeu majeur en ce qui concerne la sauvegarde de l’intégrité du territoire national. Au lieu de se noyer dans le flot de sujets qui sont d’une moindre importance afin de distraire la population (organisation d’évènements musicaux, gigantesques rassemblements au stade pour des cérémonies de prêche religieux…), le politique devrait plutôt s’occuper de ce conflit qui connaît un regain de violence depuis 2021, avec une intensité encore redoublée à partir de janvier 2024. À compter de l’année 1994, cette guerre a fait 10 millions de morts, 500 000 femmes violées, des enfants torturés, l’un des pires crimes contre l’humanité depuis 1945.

Et les Congolais ne sont pas prêts d’oublier (devoir de mémoire) la « guerre de six jours » de Kisangani, l’un des épisodes les plus sanglants de la deuxième guerre du Congo (1998-2003).  Du 5 au 10 juin 2000, les armées rwandaise et ougandaise se sont affrontées en plein cœur de cette ville de la province de Tshopo. Des combats intenses et ininterrompus, plongeant la RDC dans un chaos dévastateur : plus de 1000 civils ont perdus la vie dans ces combats acharnés, laissant derrière eux des milliers de blessés et des cicatrices indélébiles. De nombreux bâtiments ont été détruits et la ville en porte encore les stigmates.

Ces faits expliquent donc le bien-fondé de Genocost, « le génocide pour des gains économiques », célébré chaque année, le 2 août. Des années, pourtant, les commanditaires présumés de ces massacres et atrocités errent paisiblement dans la nature, en RDC et dans la région des Grands Lacs africains. Cela semble normal, et il y’a pas lieu de s’en inquiéter. De l’inconscience effarante !

La guerre dans l’Est, que d’aucuns qualifient de banale, parce qu’elle se déroule à 2000 km de Kinshasa,  a bel et bien lieu en RDC. Tenir un propos contraire relève ni plus ni moins de l’irréflexion. Mais voilà que l’on parle à nouveau de rencontre, de réunion, des pourparlers… Des conciliabules secrètes ou pas avec le Rwanda, peu importe la terminologie et les relations sémantiques entre ces termes, ils renvoient tous aux petits arrangements et aux combines politiciens. Où est l’intérêt du peuple congolais, innocent, et qui veut juste vivre en paix et en sécurité, à l’abri des attaques des ennemis du Congo ? Il est complètement ignoré et est le dindon de la farce, parce que les dirigeants ne lui disent pas toute la vérité. Et cela dure depuis trente ans.

L’engagement politique doit être vécu comme un apostolat, une mission qui requiert la vérité. Le peuple a droit à l’information ; la fourniture d’informations complètes, exactes, transparentes et fiables concernant la guerre dans l’Est qui menace l’existence de la nation congolaise.  

S’affairer au dossier de la guerre dans l’Est, c’est servir le bien commun. C’est l’évidence même. Que l’on ne s’y méprenne pas : dans cette partie du territoire national se joue la balkanisation de la RDC, un plan auquel le peuple congolais doit faire échec.

Chapeau bas aux Congolais qui dénoncent avec force et vigueur dans les médias, les réseaux sociaux… ce projet machiavélique ourdi par des pays voisins, notamment le Rwanda et l’Ouganda, avec la bénédiction des Occidentaux via les multinationales occupées à siphonner les ressources minérales de la RDC. Mais ce ne sont pas les menaces, l’intimidation et l’arrogance des Tutsi de la région des Grands Lacs africains (ou de certains dirigeants congolais, politiques et militaires,   complices de cette machination) qui feront peur aux vaillants patriotes congolais. Que nenni.  Les Congolais ne le répéteront jamais assez : non à la balkanisation.

CONGOLAIS DÉPITÉS

Il faudrait être sourd ou aveugle pour ne pas se rendre compte de la lassitude, des frustrations, parfois des peurs et même de la colère, intensifiées par la misère, qui habitent une part importante des Congolais (de l’intérieur et de la diaspora), et qui expriment ainsi des attentes et de profonds désirs de changements. Il faudrait être indifférent et insensible pour ne pas être touché par les situations de précarité et d’exclusion que vivent beaucoup de Congolais. Un homme normal ne peut se désintéresser de ce qui touche à la vie en société, la dignité et l’avenir de son semblable. Ce qui s’appelle l’humanisme civique.

Plus que jamais, on sent que le vivre ensemble est fragilisé, fracturé, attaqué. D’un côté, des politiques (les nantis) qui s’accrochent au pouvoir pour conserver les avantages et le prestige que cela procure. Et, de l’autre côté, la population laissée pour compte. Ce qui fonde la vie en société est remis en cause. Les notions traditionnelles et fondamentales de Nation, Patrie, République sont bousculées et ne représentent plus la même chose pour tous.  Alors même que l’aspiration au débat est forte, il semble devenu de plus en plus difficile de se parler, les sensibilités sont exacerbées, et la violence, sous une forme ou une autre, n’est jamais très loin. 

Depuis trente ans, et on ne le dira jamais assez, la politique en RDC ne cesse de voir son discrédit grandir, provoquant au mieux du désintérêt, au pire de la colère. Le temps qui passe voit le fossé se creuser entre les citoyens et leurs représentants et gouvernants.

La crise de la politique en RDC est d’abord une crise de confiance envers ceux qui sont chargés de veiller au bien commun et à l’intérêt général. Des ambitions personnelles démesurées, des manœuvres et calculs électoraux, des promesses non tenues, la corruption effrénée, le sentiment d’un personnel politique coupé des réalités, l’absence de projet ou de vision à long terme, des comportements partisans, démagogiques, tribaux, claniques… sont injustifiables et sont devenus insupportables. Les Congolais sont dépités.  

SECRÉTER UNE NOUVELLE CLASSE POLITIQUE

Les difficultés actuelles de la RDC ne sont pas une fatalité ou même une manifestation d’une quelconque malédiction divine. Mais bien le résultat d’actions concertées des dirigeants politiques alliés aux ennemis du pays. Avec, bien évidemment, la bénédiction de certains criminels économiques basés en Occidentaux. Il est là la vraie cause du sous-développement de la RDC : la trahison des filles et fils du pays dont les têtes sont censées être bien faites, mais qui agissent contre le peuple.

Comment expliquer que ce pays au sous-sol riche, souvent qualifié de « scandale géologique » avec le cuivre, le cobalt, le coltan, le diamant, l’or, le fer, le nickel, le manganèse, la bauxite, l’uranium ou l’étain, les potentialités agricoles… mais la majorité de sa population vit dans la pauvreté ? La réponse est évidente : une minorité organisée profite, seule, des atouts naturels  du pays. Personne n’est surpris quand on parle de démocratie, de liberté, de l’État de droit, de progrès… On sait pertinemment que ces notions sont vides de sens dans ce pays. Juste des slogans pour se donner bonne conscience et émouvoir une partie de l’opinion internationale qui se soucie réellement du devenir de l’humanité.

La RDC doit arriver à sécréter une nouvelle classe politique, éprise d’indépendance, de liberté, d’égalité et de progrès. Cette nouvelle classe doit jouer à fond la carte du libre échange économique avec l’Occident, tout en privilégiant l’épanouissement et le bien-être des Congolais. Ce dont a besoin la RDC, ce sont de vrais leaders, des éveilleurs de conscience, des personnes prêtes à porter le pays à bout de bras. Sinon la tradition de la dictature qui se voile sous le couvert des présidents « démocratiquement élus » et le genre de propos « ça va changer » finiront par achever les minces espoirs que nourrissent les Congolais pour leur pays.

Il faut que cela soit clair : le renouvellement de la classe politique ne consiste pas à remplacer des vieux par des jeunes, mais à renverser l’échelle des valeurs afin de remplacer l’immoralité par la moralité, la malhonnêteté par l’intégrité, la traitrise par le patriotisme. Voilà le vrai renouvellement ! 

Et ce n’est pas faire injure à la classe politique congolaise lui dire qu’elle ne semble pas être consciente des responsabilités qui lui incombent, et qu’elle ne joue pas son rôle vis-à-vis du peuple et de la nation ; qu’elle n’est pas à mesure de s’acquitter de ses tâches , car elle est prise dans l’engrenage de l’opportunisme… Elle doit le savoir parce qu’elle a lamentablement échoué.

Les Congolais n’ont point besoin d’une classe politique amorphe et dont la cupidité se dispute à la fourberie. Ils ont besoin d’une classe politique à même de leur apporter des solutions pour se tirer du bourbier dans lequel ils se trouvent actuellement.  

L’ÉLITE A BESOIN D’UN NOUVEAU SOUFFLE

Le rôle d’un intellectuel, s’il faut parler de cette élite, n’est pas de produire des louanges par la soumission contreproductive pour le pouvoir en contrepartie d’une distribution de la rente, mais d’émettre des idées constructives, selon sa propre vision du monde, par un discours de vérité pour faire avancer la société. 

« La morale et les principes d’un intellectuel ne doivent en aucune façon devenir une sorte de boîte de vitesses hermétiquement close, conduisant la pensée et l’action dans une seule direction. L’intellectuel doit voir du passage et disposer de l’espace nécessaire pour tenir tête à l’autorité, car l’aveugle servilité à l’égard du pouvoir reste dans notre monde la pire des menaces pour une vie intellectuelle active, et morale », écrit l’universitaire américano-palestinien, Edward W.Saïd, dans un de ses ouvrages majeurs : « Des intellectuels et du pouvoir » (Éditions du Seuil).

C’est « La trahison des Clercs » (Éditions Grasset), comme l’écrit à son tour le philosophe et écrivain français, Julien Benda, qui voyait dans les parcours des intellectuels une propension à trahir leurs idéaux pour les positions sociales auprès des princes du moment.

En effet, il est sidérant de constater à quel point les intellectuels congolais manquent à leurs obligations et semblent jouer le jeu du pouvoir ! L’éthique intellectuelle est bafouée, piétinée, plaquée depuis belle lurette. Ils sont impliqués dans des polémiques primitives et des conflits insignifiants, s’abaissant plus bas que des béotiens.

C’est ainsi qu’ils ont mis fin à tout modèle positif pouvant servir d’exemple pour les différentes franges de la société. Ils ont tout détruit et permis aux opportunistes, aux détenteurs de l’argent et du pouvoir d’occuper le terrain.

L’élite intellectuelle congolaise, qui ignore – avec délectation – la cause du bien commun, a besoin d’un nouveau souffle. Elle doit se remettre en cause. Son niveau est médiocre et ne répond à aucune norme d’excellence.

Pour conclure, il convient de rappeler que l’action politique a un fantastique enjeu : servir le bien commun. Les Congolais, qui aspirent à un profond changement, rejettent l’égoïsme des politiques, l’un des pires ennemis du bonheur humain. Leur soutien à la démarche des détenteurs du pouvoir politique est conditionné par cette prise de conscience. Car, il y’a un sentiment de déception vis-à-vis de l’État qui n’arrive pas à satisfaire les attentes.

Robert Kongo (CP)