Une hausse drastique des taxes sur les produits du tabac en République Démocratique du Congo (RDC) pourrait entraîner une explosion du marché noir et alimenter la criminalité organisée. Avec l’augmentation du taux d’accise ad valorem de 60 % à 100 %, assortie d’une surtaxe additionnelle de 20 %, le tabac devient l’un des produits les plus lourdement taxés du pays. Si cette fiscalité vise à réduire la consommation, notamment chez les jeunes, elle risque aussi d’encourager la contrebande et la circulation de produits non contrôlés, souvent plus nocifs. L’exemple de British American Tobacco, qui a cessé ses activités en RDC après près d’un siècle de présence, illustre l’impact de cette pression fiscale sur le secteur. À mesure que le marché illégal prospère, des réseaux criminels se développent, facilitant d’autres trafics, notamment d’armes. Déjà classée quatrième pays africain en nombre de fumeurs, la RDC pourrait ainsi voir émerger un commerce parallèle difficile à démanteler, au risque d’aggraver l’insécurité et la fraude fiscale.
La République Démocratique du Congo (RDC) pourrait être confrontée à une explosion du marché noir des produits du tabac. En cause, une pression fiscale jugée excessive sur le secteur, qui risque de favoriser la contrebande et d’alimenter des réseaux criminels bien organisés. Le budget 2025 du pays prévoit une augmentation spectaculaire des taxes sur le tabac, faisant passer le taux d’accise ad valorem de 60 % à 100 %, avec une surtaxe additionnelle de 20 % en droit d’accise spécial. Cette hausse subite place désormais le tabac parmi les produits les plus lourdement taxés en RDC, bien au-dessus d’autres biens soumis aux droits d’accise.
Une industrie fragilisée par une taxation excessive
Les conséquences de cette politique fiscale se font déjà sentir. Après près d’un siècle d’activité en RDC, la multinationale British American Tobacco (BAT) a décidé de quitter le pays, invoquant l’impossibilité de maintenir ses opérations face à une pression fiscale croissante. D’autres acteurs du secteur pourraient lui emboîter le pas, rendant encore plus difficile l’accès aux produits du tabac réglementés et contrôlés.
Dans de nombreux pays, la fiscalité est un levier souvent utilisé pour réduire la consommation de tabac, notamment chez les jeunes. Une étude de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), menée dans 16 pays, démontre que des taxes plus élevées contraignent les fumeurs à arrêter ou à diminuer leur consommation. Selon l’OMS, cette politique fiscale est l’une des plus efficaces et des moins coûteuses pour lutter contre le tabagisme.
Cependant, une taxation excessive peut produire l’effet inverse de celui escompté. Lorsque le prix des cigarettes devient prohibitif, les consommateurs se tournent vers le marché noir et les circuits illégaux. La rareté des produits respectant les normes sanitaires et les procédures de fabrication pousse les fumeurs vers des cigarettes de contrebande, souvent plus nocives et non soumises à aucun contrôle de qualité.
Un marché noir propice au crime organisé
La contrebande de tabac n’est pas un phénomène isolé. Elle s’inscrit dans une dynamique plus large de criminalité organisée. L’Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP) a révélé que l’industrie du tabac alimente intentionnellement la contrebande en Afrique de l’Ouest, ce qui a pour effet de financer des milices armées, des groupes criminels et même des organisations terroristes islamistes.
La RDC, où l’OMS estimait à 5,8 millions le nombre de fumeurs en 2022, est particulièrement vulnérable à ces trafics. Quatrième pays africain en nombre de consommateurs de tabac, la RDC pourrait voir ces chiffres augmenter avec la forte croissance démographique. Une hausse soudaine des taxes risque donc d’amplifier l’attrait du marché noir et d’encourager la prolifération de réseaux criminels organisés autour du commerce illégal du tabac.
Ces réseaux, bien établis à l’échelle internationale, ne se contentent pas d’alimenter la contrebande de cigarettes. Dans de nombreux pays, ils s’imbriquent dans d’autres trafics illicites, notamment le trafic d’armes et de stupéfiants. Selon l’OCCRP, des cigarettiers de renom comme Philip Morris International, Imperial Brands et British American Tobacco ont été accusés de sur-approvisionner volontairement certains marchés en Afrique, sachant qu’une grande partie des produits finirait dans les circuits illégaux.
Un phénomène difficile à enrayer
L’expérience a montré qu’il est plus simple pour un État de prévenir la formation de réseaux criminels que de les éradiquer une fois qu’ils sont établis. Une fois en place, ces structures illégales tissent des liens entre différents acteurs du crime organisé et se reconstituent rapidement après chaque tentative de démantèlement.
En RDC, les douanes ont déjà sanctionné plusieurs entreprises soupçonnées de fraude, notamment par la falsification de vignettes fiscales. Pour contourner ces sanctions, certaines compagnies auraient mis en place des sociétés écrans qui importent le tabac sous d’autres identités, échappant ainsi aux restrictions officielles.
Le phénomène n’est pas propre à la RDC. En France, le Comité national contre le tabagisme (CNCT) a démontré l’existence de liens étroits entre l’industrie du tabac et des réseaux criminels, notamment en matière de financement du terrorisme. Ces observations renforcent la nécessité pour les autorités congolaises d’anticiper les conséquences d’une taxation excessive et d’adopter des mesures adaptées pour éviter d’alimenter indirectement le crime organisé.
Quelles alternatives pour la RDC ?
Plutôt que d’imposer une fiscalité prohibitive qui risque de nourrir la contrebande, la RDC pourrait s’inspirer d’approches plus équilibrées. Certains pays ont adopté une taxation progressive, combinée à un renforcement des contrôles aux frontières et à des campagnes de sensibilisation sur les dangers du tabac.
Un autre levier d’action pourrait être le développement de programmes de lutte contre la contrebande, en coopération avec les services de douane et les forces de l’ordre. L’amélioration des mécanismes de traçabilité des produits du tabac, à travers des codes numériques infalsifiables, pourrait également limiter le recours aux circuits illégaux.
Enfin, un dialogue avec les acteurs du secteur, y compris les fabricants et les distributeurs légaux, permettrait d’identifier des solutions viables pour limiter l’impact économique et social de la fiscalité sur le tabac, tout en poursuivant l’objectif de réduction du tabagisme.
Un défi majeur pour l’État congolais
Si la lutte contre le tabagisme est un enjeu de santé publique majeur, elle ne doit pas se faire au détriment de la stabilité économique et sécuritaire du pays. Une taxation trop brutale risque d’accroître l’emprise des réseaux criminels sur le commerce du tabac et de priver l’État de revenus fiscaux importants.
La RDC se trouve donc face à un dilemme : comment taxer efficacement le tabac pour réduire sa consommation, sans créer un marché parallèle incontrôlable ? La réponse passe sans doute par une approche plus nuancée, combinant fiscalité adaptée, contrôle des frontières et répression des trafics illicites. Un défi de taille pour un pays déjà confronté à de nombreux enjeux sécuritaires et économiques.
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