Entre la France et les pays du Maghreb, particulièrement le Maroc, l’Algérie et la Tunisie, c’est une guerre froide qui ne dit pas son nom. Le gouvernement français a annoncé durcir les conditions d’obtention de visas pour l’Algérie, le Maroc et la Tunisie. Si Rabat se montre plutôt réserver vis-à-vis de Paris, Alger est passé à la vitesse supérieure en rappelant son ambassadeur en France. Après le Maroc et l’Algérie, la Tunisie s’est aussi exprimée par la voix de son président, lors d’un échange téléphonique avec Emmanuel Macron.
Les pays du Maghreb expriment leur mécontentement. Le Maroc a déploré mardi 28 septembre la décision de la France de durcir les conditions d’obtention des visas à l’égard des ressortissants du royaume, la qualifiant d’«injustifiée».
Paris a annoncé la réduction du nombre de visas accordés aux ressortissants du Maroc, de l’Algérie et de la Tunisie en raison du «refus» de ces pays de délivrer les laissez-passer consulaires nécessaires au retour des immigrés refoulés de France.
« Le Maroc a toujours géré la question migratoire et le flux des personnes, avec une logique de responsabilité et d’équilibre entre la facilitation des déplacements des personnes […] et la lutte contre la migration clandestine», a affirmé le chef de la diplomatie marocaine, Nasser Bourita. Et d’ajouter : «La décision [de la France] est souveraine. Le Maroc va l’étudier, mais les raisons qui la justifient nécessitent de la précision, un dialogue, car elles ne reflètent pas la réalité ».
Ce durcissement de l’octroi des visas aux ressortissants maghrébins survient à moins de sept mois de la présidentielle en France, en plein débat sur l’immigration. «C’est une décision drastique, c’est une décision inédite, mais c’est une décision rendue nécessaire par le fait que ces pays n’acceptent pas de reprendre des ressortissants que nous ne souhaitons pas et ne pouvons pas garder en France», a justifié le porte-parole du gouvernement français, Gabriel Attal, sur la radio Europe 1.
La principale pomme de discorde concerne les laissez-passer consulaires (LPC) qui ne sont délivrés qu’au compte-goutte, selon Paris, freinant des expulsions vers le Maroc déjà rendues compliquées par la crise sanitaire et les fermetures des frontières. Ainsi, selon le ministère français de l’Intérieur, le Maroc a délivré 138 de ces documents entre janvier et juillet, avec «un taux de coopération» de 25 %.
« Si ma mémoire est bonne, nos canaux consulaires ont délivré près de 400 laissez-passer pour des personnes se trouvant en situation irrégulière durant les huit derniers mois », a précisé de son côté Nasser Bourita. « Le Maroc a toujours réagi de manière pragmatique et stricte avec les personnes qui se trouvent en situation irrégulière », a-t-il assuré.
Le ministre a également attribué à un «problème franco-français» la difficulté du rapatriement des ressortissants marocains, regrettant que la France ne leur impose pas de test PCR avant d’embarquer pour le Maroc, alors que Rabat rend obligatoire ce test pour pénétrer sur son territoire, pandémie oblige.
La France a délivré 18.579 visas en 2021 pour 24.191 demandés par des Marocains, un nombre par ailleurs très nettement en baisse. A titre de comparaison, en 2019, avant la pandémie de coronavirus, elle en délivrait 346.000 pour 420.000 demandes.
Vive colère à Alger
A Alger, la décision française a été jugée «disproportionnée» et «malencontreuse» par Amar Belani, envoyé spécial du gouvernement chargé de la cause du Sahara occidental et des pays du Maghreb arabe. «Nous prenons acte de cette décision disproportionnée et nous la déplorons », a déclaré ce haut responsable à l’agence officielle APS. La Tunisie n’a quant à elle pas officiellement réagi.
Et comme s’il n’en suffisait pas, les dernières déclarations du président Macron ont ravivé les tensions. Entre l’Algérie et la France, c’est le froid polaire.
L’Algérie a annoncé samedi le «rappel immédiat pour consultation » de son ambassadeur à Paris, en expliquant cette décision par son «rejet catégorique» de déclarations attribuées au président français Emmanuel Macron évoquant notamment «un système politico-militaire » au pouvoir à Alger.
Dans un communiqué, la présidence algérienne a dit exprimer son «rejet de toute ingérence dans ses affaires intérieures» en précisant réagir à des «propos non démentis que plusieurs sources françaises ont attribué nommément» à M. Macron. En raison d’une «situation particulièrement inadmissible engendrée par ces propos irresponsables», Alger a décidé «le rappel immédiat pour consultation» de son ambassadeur à Paris, Mohamed Antar-Daoud.
Avant même qu’Alger diffuse un deuxième communiqué expliquant sa courte annonce initiale via la télévision publique, les médias algériens avaient diffusé largement des déclarations prêtées à M. Macron publiées samedi par le journal français Le Monde, en les qualifiant d’«acerbes» et de «dérapage».
Tunis «regrette » la décision française
Après l’annonce de Paris de réduction du nombre de visas accordés aux ressortissants du Maroc, de l’Algérie et de la Tunisie, mardi, le président tunisien Kaïs Saïed a eu un entretien téléphonique samedi avec son homologue français Emmanuel Macron. Selon un communiqué officiel, le dirigeant tunisien a exprimé ses regrets face à la décision française. «Le président regrette la décision de réduire le nombre de visas accordés aux Tunisiens qui souhaitent se déplacer en France», a indiqué la présidence tunisienne sur sa page Facebook.
Selon la présidence à Tunis, lors de la conversation entre les deux chefs d’État, Emmanuel Macron a «déclaré que cette mesure pourrait être révisée».
Le président Saïed lui a répondu que «la question de la migration irrégulière ne peut être abordée que sur la base d’une nouvelle vision», et que ce sera l’une des «priorités du nouveau gouvernement» tunisien, attendu d’un jour à l’autre.
Les deux chefs d’État ont abordé les questions migratoires lors de cette conversation téléphonique, et «sont convenus de renforcer la coopération bilatérale dans ce domaine», a pour sa part indiqué l’Élysée dans un communiqué.
Le Maroc et l’Algérie avaient déjà réagi, qualifiant le choix français d’«injustifié» pour l’un et convoquant l’ambassadeur français, pour Alger.
Econews