Réformer la Justice par la révision de la Constitution : la thérapie de Constant Mutamba

A l’ouverture des Etats généraux de la Justice, mercredi 6 novembre au Centre financier de Kinshasa, en présence du Président de la République, Félix Tshisekedi, Constant Mutamba, ministre d’Etat en charge de la Justice et Garde des Sceaux, a lâché une déclaration, qui a en juger par les applaudissements qu’elle a suscitée, était attendue par une assistance préalablement conditionnée. S’adressant à un corps judiciaire dans son ensemble, Constant Mutamba a lancé : «J’invite les uns et les autres à travailler de telle manière que nous puissions avoir des recommandations qui puissent déboucher sur des réformes courageuses, celles qui pourront toucher, pourquoi pas, à la révision constitutionnelle !» La thérapie de Mutamba pour guérir une Justice «malade» est désormais connue. Elle passe par des réformes qui riment avec la révision de la Constitution.

Bien que le rapport entre des réformes nécessaires dans une architecture judiciaire «malade» et la révision constitutionnelle ne soit pas facilement discernable, à moins de renoncer au sacro-saint principe universel de séparation des pouvoirs, l’appel de Constant Mutamba, Garde des sceaux et Ministre d’Etat en charge de la Justice, sonne comme une injonction faite à la frange de la Justice appelée à trancher des contentieux relatifs à la conformité constitutionnelle des lois du pays. Elle cache mal une volonté de préparer la justice à l’acceptation du fait accompli.

Sans la citer, le ministre de la Justice s’adressait à mots couverts à la Cour constitutionnelle particulièrement, qui sera au centre des futures confrontations politiques autour du projet de révision (ou carrément du changement) de la Constitution, avec la mise en place dès l’année prochaine par le Chef de l’Etat d’une commission, chargée de mener une réflexion approfondie en la matière.

A moins de faire preuve d’amnésie, il est établi que la Haute Cour est entièrement acquise au Chef de l’Etat et sa famille politique. L’opinion se souvient encore du sort réservé à son premier animateur à l’arrivée de Félix Tshisekedi au pouvoir. Les conditions rocambolesques du limogeage du juge Dieudonné Kaluba et son remplacement dans des conditions tout aussi fumeuses par Dieudonné Kamuleta sont l’un des épisodes dont les répercussions continuent à jeter le doute quant à l’impartialité d’une Cour constitutionnelle dont le tiers renouvelable des neuf membres est arrivé fin mandat sans que la procédure de leur remplacement ne soit déclenchée.

UN CLIN D’ŒIL À SON PROTECTEUR

Prenant successivement la parole à l’ouverture des Etats généraux de la Justice, le Bâtonnier national Michel Shebele Makoba et le président de la Cour constitutionnelle et président du Conseil supérieur de la Magistrature (CSM), Dieudonné Kamuleta, tout en apportant leur caution aux réformes envisagées, ont par ailleurs insisté sur la nécessité de faire au préalable une évaluation des recommandations des assises similaires tenues en 2015.

Les Etats généraux de la Justice 2024 se tiennent dans une atmosphère détendue entre le Garde des Sceaux et la Magistrature, après des tensions nées de la précipitation de ce dernier à engager, dès sa prise de fonction au mois de juin, d’une série de mesures et de décisions qui ont énervé le corps judiciaire, ne manquant pas de vilipender des «magistrats corrompus», provoquant une levée de boucliers des magistrats qui l’avaient invité à davantage de modération dans ses paroles et actes.

La mésentente a atteint son paroxysme quand, à la suite de la tentative d’évasion à la prison Centrale de Makala le 2 mai 2024, le ministre de la Justice avait organisé unilatéralement l’opération de désengorgement des établissements carcéraux sans requérir l’avis des juges instructeurs. Une montée d’adrénaline dans les deux camps qui avait amené Félix Tshisekedi à intervenir, appelant à une collaboration sincère entre la Magistrature et le ministère.

Il est difficile d’affirmer qu’une ambiance de «sincère collaboration» est rétablie. L’ayant sans doute compris, Constant Mutamba, s’adressant au chef de l’Etat, lui a fait une annonce pour le moins inattendue : «Sans votre soutien, je démissionnerais !». Un clin d’œil reçu 5/5 par celui qui passe pour son protecteur et dernier rempart.

La thérapie de choc à administrer à une justice congolaise réputée «malade» est de notoriété publique. Elle va de la lutte contre des arrestations arbitraires aux mauvaises conditions de vie et de travail de différents acteurs de la justice, passant pêle-mêle par la surpopulation carcérale, des saisies intempestives des comptes et avoirs des sociétés publiques et privées. Avec en vedette une corruption généralisée qui pénalise tant le plaignant que le prévenu.

MWIN M.F.

Félix Tshisekedi aux magistrats et acteurs judiciaires : « Le peuple congolais attend de vous une justice qui apaise et rassure… »

Honorable Président de l’Assemblée Nationale,

Honorable Président du Sénat,

Madame la Première Ministre, Cheffe du Gouvernement,

Monsieur le Président de la Cour Constitutionnelle et Président du Conseil Supérieur de la Magistrature,

Madame et Messieurs les Membres du Bureau du Conseil Supérieur de la Magistrature,

Honorables Députés et Sénateurs,

Mesdames et Messieurs les Membres du Gouvernement,

Monsieur le Président du Conseil économique et social,

Messieurs les Membres des Institutions d’Appui à la Démocratie,

Mesdames, Messieurs les Membres du corps diplomatique et Représentants des Organisations internationales accréditées en République Démocratique du Congo,

Monsieur le Bâtonnier de l’Ordre National des Avocats,

Mesdames, Messieurs les Représentants du système judiciaire, en vos titres et qualités respectifs,

Distingués invités,

Mesdames et Messieurs,

C’est avec une profonde solennité et un immense sentiment de responsabilité que je me tiens devant vous aujourd’hui, à l’occasion de l’ouverture des états généraux de la Justice en République Démocratique du Congo. Cet événement crucial nous offre l’opportunité de scruter, avec lucidité et honnêteté, l’état de notre système judiciaire, d’identifier les défis qui entravent son fonctionnement et de tracer ensemble les voies de sa renaissance.

Ma présence en ce lieu n’est pas un simple acte protocolaire destiné à être inscrit dans les lettres de noblesse du Ministère de la Justice. Elle est plutôt le symbole de mon engagement ferme de restaurer la justice de notre pays afin d’être en adéquation avec les Saintes Ecritures qui consacrent la justice comme un vecteur d’élévation d’une Nation, ainsi qu’il est écrit dans Proverbes 14, verset 34 : « La justice fait la grandeur d’une Nation ».

Le peuple congolais au nom de qui, conformément à l’article 149 alinéa 3 de la Constitution, la justice est rendue exige une justice qui porte haut les valeurs d’intégrité, d’impartialité et d’équité.

Très souvent, nos concitoyens se sentent trahis lorsque les principes fondamentaux de la justice sont bafoués par certains acteurs pour satisfaire leurs intérêts personnels et leur appétit du gain indu.

En tant que Magistrat suprême, c’est avec détermination que je me tiens ici pour affirmer que notre appareil judiciaire sera restauré, bon gré, mal gré. Un minimum de volonté de nous tous suffit pour que nous ayons un appareil judiciaire fort, exempt du dysfonctionnement et de divers maux qui le rongent pour ainsi redevenir un sanctuaire où nul n’est au-dessus de la Loi, et où chaque citoyen, riche ou modeste, trouvera la part qui lui est due dans la distribution de la justice.

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