Dans un entretien exclusif avec Econews, M. Dieudonné Nkishi Kazadi, Chef des travaux au Département des Sciences politiques et administratives de l’Université de Kinshasa, a exprimé son point de vue sur la question brûlante de la révision ou du changement de la Constitution de la République Démocratique du Congo.
Selon M. Nkishi Kazadi, il est temps pour le pays de procéder à un changement radical de sa Constitution. « Depuis 2012, nous nous battons pour une refonte totale de notre Constitution. Il est impératif pour les vrais nationalistes congolais et les progressistes de prendre cette décision », a-t-il déclaré.
Loin des considérations politiques partisanes, M. Nkishi Kazadi a souligné l’importance d’agir au nom de l’intérêt supérieur de la nation. « Il est temps de penser aux besoins et aux aspirations du peuple congolais, et non aux intérêts individuels des politiciens. Nous devons garantir la stabilité politique et le développement économique du pays », a-t-il expliqué.
Interrogé sur les implications d’une révision constitutionnelle, M. Nkishi Kazadi a rappelé que tout changement devrait être mené de manière transparente et démocratique. « Il est crucial d’impliquer la société civile, les partis politiques et la population dans ce processus. Nous devons nous assurer que les droits et libertés des citoyens sont préservés », a-t-il insisté.
En conclusion, M. Nkishi Kazadi a souligné l’importance de mener une réflexion profonde et objective sur la question constitutionnelle. « Nous devons nous éloigner des intérêts partisans et des luttes de pouvoir pour nous concentrer sur l’avenir de notre pays. Le changement constitutionnel doit être un moyen de renforcer la démocratie et de promouvoir le progrès », a-t-il conclu.
En tant qu’expert en politiques publiques et en sciences sociales, M. Nkishi Kazadi apporte un éclairage précieux sur un sujet brûlant qui suscite de vifs débats au sein de la société congolaise.
Il répond aux questions d’Econews.
1. La Constitution du 18 février 2006, née de l’accord global et inclusif de Sun City de 2002 en Afrique du Sud, alimente le débat depuis un temps. Nombre d’observateurs pensent qu’on devait la revoir de fond en comble pour donner un nouvel élan à la République. Etes-vous de cet avis ?
Dieudonné Nkishi : C’est depuis 2012 que nous nous battons pour le changement radical de Constitution dans notre pays. C’est donc de notre avis qu’il faut le faire et vite le faire car cela fait douze ans que notre pays stagne avec une Constitution qui n’est pas en mesure de provoquer son développement au vu du système et du régime politique qu’elle a mis en place.
Cela fait douze ans que les réalités, les vraies et les défis majeurs qui se posent à notre Nation sont ignorées. Cela fait douze ans que cette Constitution nous a poussés à nous concentrer sur des préoccupations mineures alors que celles majeures sont mises de côté. Cela fait douze ans que cette Constitution expose notre Pays à des attaques étrangères nous plaçant dans la position de défensive au lieu de nous positionner sur la préventive. Donc pour les vrais nationalistes congolais et ceux qui sont progressistes, il est plus que temps de changer radicalement de Constitution.
2. En quoi la Constitution de 2006 est-elle en déphasage avec l’état actuel de la République Démocratique du Congo ?
Je viens de l’effleurer. Cette Constitution nous a poussés à nous concentrer sur les priorités individualistes au lieu de nous concentrer sur les priorités existentielles de notre pays. Toutes les neuf valeurs que cette Constitution professe sont cosmétiques et relèvent des visées normales pour un pays. C’est normal qu’il y ait alternance, c’est normal que l’Etat de droit soit une réalité, c’est normal qu’il n’y ait pas conflits entre institutions ; c’est normal que le pays soit sur la voie de la bonne gouvernance ; c’est normal que toutes les neuf valeurs que cette Constitution professe soient une réalité mais elles ne sont pas une finalité. Ces valeurs n’ont été réelles que pour contenter des gens, pour donner une prime aux belligérants et pour conforter les agendas cachés. Mais les deux vrais problèmes, les deux vrais enjeux de notre pays ont été mis de côté.
Quels sont ces deux problèmes majeurs : c’est le génocide congolais et l’exploitation illicite de nos ressources qui sont mis de côté et qu’on a ignoré dans la Constitution.
Imaginez un pays qui a sous la main plus de 20 millions de morts mais qui ne se donne aucune disposition constitutionnelle ni pour prévenir la poursuite du génocide congolais ni pour le contrer. Qu’attendons-nous en RDC pour donner aux dirigeants des pouvoirs constitutionnels de lutter efficacement contre les agressions étrangères dont les conséquences sont désastreuses et destructrices de notre Nation. Avant que le monde, dont nous Congolais disons qu’il est silencieux face au génocide congolais, ne s’apitoie sur notre sort, il serait judicieux qu’on sente que les Congolais eux-mêmes n’approuvent pas qu’ils soient ainsi tués. Et une des manières de proclamer face au monde entier notre désapprobation, c’est d’intégrer dans notre Constitution la prévention du génocide congolais. Faisant ainsi, nous donnerions aux dirigeants des prérogatives constitutionnelles qui leur permettaient de prévenir toute attaque. Les mêmes prérogatives devraient s’étendre aux situations où l’attaque est déjà sur terrain. Les prérogatives constitutionnelles envisagées dans un tel contexte devraient permettre aux dirigeants d’agir sans trop de protocole.
Il en est de même des ressources naturelles du pays qui sont actuellement pillées et dont même un rapport des Nations Unies ne fait que l’objet des jérémiades dans notre pays au lieu de constituer une opportunité pour renverser la tendance. Donc, vous comprendrez que nous avons fort à faire avec la nouvelle Constitution.
3. Malheureusement, ce débat paraît plus politique que technique. Selon vous, qu’est-ce qui doit être fait pour une réelle appropriation de ce projet de refonte de la Constitution de 2006?
Vous savez, notre pays est devenu «la République des partis politiques» et la «République des Politiciens». Ils nous ont confisqué notre pays et ils en font ce qu’ils veulent sans tenir compte de l’opinion ni du peuple, ni de la population. Ils se partagent tout. Ils se partagent le gâteau. C’est ainsi que même pour la Constitution, pourtant votée «au référendum», le peuple est tenu à l’écart. C’est ainsi que vous voyez ce clivage éhonté qui s’est créé entre les tenants de la thèse de la révision – modification ou changement, lequel camp est opposé à celui des tenants de la thèse du statu quo.
De tous les deux camps, on décrète la révision, la modification ou le changement ou non sans se référer au peuple. Les politiciens ont fait de cette question leur fonds de commerce, selon leurs positions actuelles. Mais un phénomène intéressant à observer est ce jeu de rôle ou ce jeu de ping-pong qui s’observe. On dit qu’on «ne touche pas» à la Constitution quand on est dans l’Opposition. Une fois passé au pouvoir, on prévoit d’y toucher. Si vous êtes un peu intelligent, vous comprendrez que le problème de révision, de modification ou de changement de Constitution en République Démocratique du Congo est plus une question d’humeur alors que le problème est réel.
C’est pourquoi, nous sensibilisons le peuple congolais sur la nécessité de changer radicalement de Constitution.
4. Qu’est-ce que la RDC gagne en changeant sa Constitution ?
En changeant de Constitution, la République Démocratique du Congo gagnera ce qui suit :
1. Sortir du contexte historico-politique de la guerre lequel fait penser à tous que même après avoir fait deux fois des élections d’alternance, l’esprit Sun City (négociations, consensus) doit continuer et cela, en opposition avec l’esprit des mandats. Si le peuple a donné un mandat à un Président de la République, aux élus, est-ce pour négocier ou appliquer leurs visions de la République ?
2. La République Démocratique du Congo s’en sortira avec une Constitution qui lui appartient, une Constitution qu’elle aura elle-même rédigée et une Constitution qui tient compte de ses réalités historiques, politiques et sécuritaires ;
3. La République Démocratique du Congo pourra intégrer la notion du génocide congolais et de l’exploitation illégale de ses ressources dans la Constitution, ce qui lui permettra de décliner des prérogatives constitutionnelles permettant de protéger le pays et de réagir en cas d’agression sans trop de protocole comme c’est le cas actuellement ;
4. La République Démocratique du Congo disposera d’une Constitution qui affirme des engagements au lieu d’une Constitution hybride où les dirigeants n’ont pas des pouvoirs réels mais des pouvoirs supposés;
5. La République Démocratique du Congo disposera d’une Constitution lavée de toutes les contradictions, les ambiguïtés, les ambivalences et les dispositions inopérantes comme c’est le cas dans l’actuel texte de Constitution de notre pays ;
6. Etc.
Notez qu’il y a 27 raisons de changer cette Constitution.
5. Quelles sont les grandes innovations que vous pensez retrouver dans ce qui serait, si le projet arrive à terme, la Constitution de la 4ème République ?
Les grandes innovations pour moi sont :
1. Introduire la notion du génocide congolais dans le texte constitutionnel à venir pour que de cette introduction, que les dirigeants du pays puissent disposer des prérogatives constitutionnelles qui réellement les mettent en position de faire face aux agressions et autres attaques dont notre pays et son peuple sont victimes. N’oublions jamais que nous sommes un État convoité. Si nous ne nous donnons pas des moyens de nous défendre, les autres ne pourront que trouver en notre attitude, l’opportunité de nous attaquer continuellement. À cette notion de génocide congolais, il faut ajouter la notion de l’exploitation illégale des ressources naturelles du pays pour réfléchir sur les moyens de contrer toutes initiatives allant dans ce sens ;
2. Une deuxième innovation serait celle de disposer d’une Constitution qui affirme les pouvoirs en lieu et place de celle qui hésite ;
3. Une troisième innovation, c’est d’introduire la notion du régime présidentiel, la forme unitaire de l’Etat, le Parlement monocaméral, l’élection présidentielle et législatives à deux tours, la suppression de toutes les institutions dites «d’appui à la démocratie» pour retourner les missions aux institutions étatiques régaliennes et originelles, etc. ;
4. Confier les missions d’organisation des élections aux entités administratives décentralisées en renforçant le dispositif anti-corruption ;
5. Et bien d’autres.
Propos recueillis par Faustin K.