Neuf ans après avoir té vaincu dans l’est du pays, le Mouvement du 23-Mars a de nouveau fait parler de lui en mars 2022, en attaquant des positions de l’armée congolaise. Cette renaissance est en partie liée aux promesses non tenues de Kinshasa. Mais le rôle du Rwanda est également pointé du doigt.
Un certain nombre de combattants du M23 ont grandi au Rwanda, une partie d’entre eux ayant même évolué dans les rangs du Front patriotique rwandais (FPR), le mouvement de Paul Kagame dont la branche militaire a fait chuter le régime génocidaire en 1994 – c’est notamment le cas de Bosco Ntaganda. Depuis la naissance du CNDP, Kigali a toujours été accusé de soutenir les mouvements rebelles d’influence tutsi dans le Nord-Kivu. En 2013, le gouvernement américain avait exigé du Rwanda qu’il mette fin à son soutien aux mutins du M23. Réfuté aussi bien par le gouvernement rwandais que par les membres de la rébellion, cet appui n’a jamais fait de doute pour les militaires congolais.
«Kigali niait, mais nous, au front, il nous arrivait de capturer des combattants rwandais ou des soldats du M23 qui étaient passés par le Rwanda, expliquait, sous le couvert de l’anonymat, un gradé congolais ayant pris part au conflit en 2013. Le message, c’était d’anéantir le M23, point ! Il ne s’agissait absolument pas de mener la guerre jusqu’au Rwanda, même si, avec les informations qu’on avait, on savait parfaitement d’où et de qui venait cette guerre. Le Rwanda est dirigé par des Tutsi, le M23 est une mutinerie de soldats congolais tutsi, ils sont frères et parlent la même langue, ils avaient même souvent des liens familiaux au Rwanda ».
Lors de la reprise des combats, fin mars 2022, le gouvernorat militaire du Nord-Kivu a annoncé la capture de deux éléments présentés comme des soldats rwandais issus des rangs du M23. Si Kigali a dénoncé une mise en scène tout en niant leur appartenance à l’armée rwandaise (les deux éléments avaient en réalité été arrêtés un mois plus tôt), le doute persiste à Kinshasa.
Pour le Groupe d’études sur le Congo (GEC), si l’implication du Rwanda n’a pas été prouvée, elle pourrait trouver une justification dans la lutte d’influence à laquelle le pays se livre avec l’Ouganda depuis vingt-cinq ans dans l’est du Congo.
Le député du territoire de Walikale (Nord-Kivu), Juvénal Munubo, avait déposé une «question orale avec débat» au bureau de l’Assemblée nationale à l’attention du ministre congolais de la Défense pour comprendre les causes de la résurgence du M23. «Toute la délicatesse de la démarche est de savoir si le Rwanda est derrière le M23, expliquait-il. Si le Rwanda est derrière ce mouvement, c’est que la diplomatie entre le Congo et le Rwanda n’est pas du tout marquée par la sincérité. Pourtant, nous sommes tous membres de l’East African Community. Donc il nous faut faire des vérifications avant d’affirmer que le M23 a encore bénéficié d’un appui du Rwanda, en dépit du fait que Kinshasa l’a déjà affirmé. Par contre, si le Rwanda soutient bel et bien le M23, alors la question doit être prise au sérieux. J’attends des réponses à ces questions, encore faut-il que le ministre de la Défense vienne y répondre à l’Assemblée nationale ».
«Quiconque nous souhaite la guerre, nous la lui donnons»
Dès son accession à la tête de la RDC, en janvier 2019, le président Félix Tshisekedi avait manifesté sa volonté de rapprochement avec le Rwanda, à contre-courant d’une large partie de l’opinion nationale qui considère l’État voisin comme belliqueux. N’hésitant pas à plusieurs reprises à désigner Paul Kagame comme son «frère», Tshisekedi avait notamment déclenché une vive polémique au Congo en s’affichant main dans la main avec le président rwandais lors d’une rencontre à Kigali en 2019.
Matérialisé par la signature d’accords économiques en juin 2021, cet effort de coopération entre les deux pays est dépendant de la situation sécuritaire dans le Nord-Kivu. En février 2022, Paul Kagame avait brandi la menace d’une intervention militaire rwandaise sur le territoire congolais, sans l’autorisation de Kinshasa, pour combattre les forces hostiles telles que les FDLR.
«Le problème que nous avons avec la RDC, et nous insistons, ce sont les FDLR et ceux qui cherchent à coaliser avec les ADF contre le Rwanda. Nous avons un temps pour observer, négocier, mais pour notre sécurité, on n’a pas besoin d’une autorisation pour intervenir », avait-il déclaré, avant de conclure : « Nous souhaitons la paix à tout le monde dans la région, mais quiconque nous souhaite la guerre, nous la lui donnons. Nous avons des professionnels formés pour cela. Le Rwanda est de petite taille, notre doctrine est de faire la guerre en territoire ennemi quand cela l’exige ».
Lors de l’ouverture de la 12e conférence diplomatique à Kinshasa, quelques jours après ces déclarations particulièrement mal perçues en RDC, Félix Tshisekedi avait rétorqué : «Il est irréaliste et improductif, voire suicidaire, pour un pays de notre sous-région de penser qu’il tirerait toujours des dividendes en entretenant des conflits ou des tensions avec ses voisins ».
Un groupe jamais démantelé
Le M23 n’a jamais été dissous après sa défaite militaire de 2013. Bertrand Bisimwa, le président du mouvement, explique la reprise récente des combats par les refus systématiques du gouvernement d’appliquer les engagements pris par l’État congolais lors de la signature des accords de Nairobi à l’issue du conflit le 12 décembre 2013.
L’un des points de crispation concerne la démobilisation des miliciens et le retour en RDC des combattants congolais réfugiés dans les pays frontaliers. Ce point figure en tête des revendications du M23. Mais, pour l’heure, seule une centaine de ses combattants ont officiellement été rapatriés, dont soixante en provenance d’Ouganda en février 2019. Face aux difficultés de démantèlement de la rébellion, celle-ci a toujours constitué une menace pour la sécurité dans le Nord-Kivu, comme lorsque des combats avaient éclaté de manière sporadique en février 2017.
«Tout ce qui est en train de se passer aujourd’hui était à prévoir, regrettait, sous le couvert de l’anonymat, un gradé du 42e bataillon commando des unités de réaction rapide ayant pris part au premier conflit contre le M23 en 2012-2013. Vers la fin de la guerre, en 2013, quand on prenait le dessus sur eux et qu’on les sentait à bout de forces, nos ordres étaient de neutraliser leurs commandants avant qu’ils ne traversent la frontière avec l’Ouganda. Le but était de décapiter cette rébellion le plus tôt possible, parce qu’on savait qu’elle risquerait de se reconstituer dans le futur et de menacer à nouveau la population congolaise. Si on avait réussi à les stopper à cette époque-là, tout ça serait de l’histoire ancienne».
«Lorsqu’on a vaincu le M23, en 2013, il y a eu un accord signé à Nairobi, explique le député Juvénal Munubo. Dans cette déclaration, il y avait un certain nombre d’engagements que Kinshasa devait respecter, notamment le rapatriement [des anciens combattants] et un mécanisme de réconciliation. Le problème, c’est qu’avec la fin du mandat de Kabila et l’arrivée de Tshisekedi, en 2019, le dossier M23 n’a été suivi ni par le gouvernement sortant ni par le gouvernement entrant. Il faut donc comprendre que le M23 essaie à présent de se faire entendre en faisant pression sur Kinshasa».
«Nous sommes à l’heure du choix»
Le 23 avril 2022, le gouvernement congolais a opté pour une solution négociée en entamant des pourparlers avec les représentants d’une dizaine de groupes armés actifs dans l’est du Congo. Cette décision faisait notamment suite au cessez-le-feu unilatéral décidé par le M23 le 1er avril.
Tenues sous l’égide du Kenya, à Nairobi, et en présence d’observateurs venus de l’Ouganda, du Rwanda et des Nations unies, ces discussions ne plaçaient donc pas le M23 au centre du débat. Le groupe armé s’est même fait exclure de la table des négociations dès le deuxième jour, à la demande de la RDC, en raison de sa rupture du cessez-le-feu dans le Rutshuru : les FARDC ont en effet accusé le M23 d’avoir «violé » la trêve après des combats à Bugusa le 24 avril 2022.
Depuis cette initiative infructueuse, le flou règne autour de la gestion de la menace du M23 par Kinshasa. Pour le député Juvénal Munubo, il est temps pour le gouvernement d’opter pour une solution ferme et résolue, qu’elle soit négociée ou militaire.
«Tout dépend, estime-t-il, de la manière dont les FARDC évaluent leurs propres capacités d’action face à ce groupe. Est-ce qu’en lançant l’offensive il y a vraiment moyen de mettre fin à cette menace-là ? Nous sommes à l’heure du choix. Soit on opte pour la solution militaire et on y va jusqu’au bout sans aucune possibilité de retour à la table des négociations. Soit on se rend compte qu’on n’a pas assez de moyens pour mener le combat jusqu’au bout, et là il faudra se résoudre à appliquer les accords de Nairobi et revenir sur des points sur lesquels le gouvernement s’était engagé à travailler ».
Extraits tirés de www.afriquexxi.info