Depuis Goma, au Nord-Kivu, le Secrétaire général adjoint des Nations Unies aux opérations de paix, Jean-Pierre Lacroix, a souligné l’incertitude qui entoure le retrait progressif des troupes de la Monusco (Mission des Nations Unies pour la stabilisation en République Démocratique du Congo) prévu pour le 31 décembre 2024. Lors d’une conférence de presse tenue le vendredi 20 septembre, Lacroix a jeté un pavé dans la mare, remettant en cause la date limite annoncée par Kinshasa, qui s’inscrit dans un contexte de tensions croissantes et d’appels à une meilleure sécurisation de la région.
Lacroix a qualifié la date de retrait définitif du 31 décembre 2024 de «rumeur», indiquant qu’elle n’a jamais été confirmée ni par les autorités congolaises ni par le Conseil de sécurité des Nations Unies. «J’ai déjà indiqué à la presse que cette date, qui d’ailleurs a toujours été plutôt une rumeur, n’est ni quelque chose de réel ni quelque chose d’acté », a déclaré le haut fonctionnaire lors de cette rencontre avec les médias. En précisant que «cette date un peu fantasmée selon laquelle au 31 décembre 2024 la MONUSCO aura quitté le Congo» n’a jamais reçu un consensus officiel, il a cherché à dissiper tout malentendu.
À quelques mois d’une échéance qui pourrait impacter la stabilité et la sécurité de la région, les déclarations de Lacroix ont suscité des réactions diverses au sein de la population congolaise et des acteurs politiques. Pour de nombreux experts, une telle prise de position contredit les attentes d’une partie des autorités congolaises qui évoquaient une transition vers un retrait progressif de la Monusco.
Ci-dessous, le mot introductif de Jean-Pierre Lacroix à sa conférence de presse du vendredi 20 septembre 2024 à Goma.
Econews
Transcription de la conférence de presse du Secrétaire général adjoint des Nations Unies aux Opérations de paix, Jean-Pierre Lacroix
Bonjour, merci de vous être joints à nous.
Laissez-moi peut-être commencer par faire quelques commentaires. Alors tout d’abord sur la visite elle-même. J’ai commencé cette visite à Kinshasa où je me suis entretenu avec les autorités, le Président de la République, la Première Ministre et quelques Ministres dont la Ministre d’Etat, Ministre des Affaires étrangères, Vice-Premier Ministre, Ministre de la Défense qui était en train de partir, c’était à l’aéroport. Nous avons aussi rencontré les partis politiques, également la Communauté diplomatique, bien sûr, les collègues de la MONUSCO et aussi les leaders religieux. Après, nous sommes allés à Goma, où j’ai rencontré le gouverneur de la province.
Ici, j’ai rencontré les collègues de la MONUSCO. Et nous sommes d’ailleurs en entretien avec la Société civile ici à Goma. Ensuite, nous sommes allés en Ituri, donc à Bunia, à nouveau [avons eu des] entretiens avec les autorités provinciales, puis ce matin, visite dans un site à Tchomia. Où, outre les rencontres avec les communautés, la société civile, évidemment, les éléments de la MONUSCO qui sont présents sur place, nous avons visité un projet de diminution de la violence communautaire. On pourra peut-être en parler tout à l’heure. Voilà en gros les quelques éléments du programme de la visite. Maintenant, nous avons aussi rencontré la SAMIDRC. C’est très important, merci de me le rappeler et le Mécanisme ad-hoc de vérification, donc dans le cadre de la vérification du cessez-le-feu conclu le 30 juillet dans le cadre du processus de Luanda.
Ce qui m’amène d’ailleurs, ça fournit une transition pour parler du contexte de cette visite puisqu’il y a plusieurs éléments de contexte, comme à chaque fois qu’ils sont spécifiques. Le premier élément de contexte, c’est précisément le processus de Luanda, qui est un processus que nous soutenons totalement. Et pour lequel d’ailleurs nous rendons aussi hommage aux efforts de la facilitation angolaise. Nous soutenons ce processus à la fois diplomatiquement, par nos déclarations, par nos expressions de soutien, mais aussi de manière très concrète avec le soutien, l’expertise quand elle est sollicitée de la MONUSCO, mais aussi le soutien que nous avons engagé au Mécanisme de suivi et de vérification du cessez-le-feu qui, comme vous le savez, sera renforcé dans les semaines à venir.
Alors ce processus, comme je l’ai indiqué, a produit un résultat avec le cessez-le-feu conclu le 30 juillet.
J’ai entendu de la part de la plupart de mes interlocuteurs qu’il a conduit à niveau à une baisse du niveau de de la violence dans les zones affectées par les conflits avec le M23. Il y a certainement davantage à faire. La violence ça n’a pas complètement disparu, mais enfin c’est un premier progrès et ce qui est important dans ce contexte, c’est de continuer à tout faire et c’est ce que nous faisons et ce que nous voulons faire pour que, à la fois le cessez-le-feu évidemment soit le plus respecté possible, mais aussi que le processus de Luanda puisse continuer et progresser dans la direction souhaitée, dans la direction de la paix. Donc ça, c’est le premier élément de de contexte.
Le deuxième élément de contexte c’est que vous le savez sans doute, nous avons reçu du Conseil de sécurité d’ailleurs à notre demande, mandat de soutenir davantage la Force de la SADC, la SAMIDRC avec les moyens de la MONUSCO, notamment dans des domaines qui correspondaient aux souhaits exprimés par la SADC, c’est-à-dire le soutien logistique, y compris en matière de transport, le soutien médical. Et aussi le partage d’informations et de renseignements.
Donc j’ai rencontré le commandant de la Force SAMIDRC et nous sommes convenus de faire avancer le plus vite possible la concrétisation de ce soutien tel qu’il a été mandaté par le Conseil de sécurité.
Evidemment [il y a] un certain nombre de détails à mettre en en place, à préciser, mais en tout cas, c’est la direction suivie et nous nous sommes résolus à soutenir la SAMIDRC, sachant que c’est une force de la SADC et de même les efforts dans le cadre du processus de Luanda, c’est un ce sont des efforts de la SADC. L’Angola comme vous le savez évidemment est membre de la SADC, il y a une complémentarité entre ces deux volets du soutien qu’apporte cette organisation régionale aux efforts de paix en République démocratique du Congo, à l’Est du Congo.
Par ailleurs, le troisième volet ou le troisième élément de contexte important, c’est le fait que, à la fin de l’année, la question d’extension du mandat de la MONUSCO va être examinée au Conseil de sécurité. Dans cette perspective, et comme d’habitude, nous devons préparer avec la MONUSCO, le rapport du secrétaire général au Conseil de sécurité. Vous savez que nous avons conclu avec le gouvernement l’année dernière un plan de désengagement de la MONUSCO qui prévoyait une première étape, celle du Sud-Kivu, et puis qui prévoyait ensuite que le processus ferait l’objet de consultations régulières et d’état des lieux avec le gouvernement congolais.
Comme vous le savez, le retrait du Sud-Kivu a été réalisé. Il nous appartient de tirer les leçons de la manière dont s’est fait ce retrait. Je veux dire que la MONUSCO a fait beaucoup d’efforts pour le conduire dans les temps prescrits, ce qui n’était pas facile. De leur côté, les autorités congolaises ont fait aussi des efforts pour faire en sorte que ce retrait se passe dans les meilleures conditions possibles.
Il y a des leçons à tirer, je l’ai indiqué. Qu’est-ce qui s’est bien passé, qu’est-ce qui a bien marché, qu’est-ce qui pourrait faire l’objet de d’amélioration ? Tout ça, nous allons le regarder ensemble avec les autorités congolaises.
Pour ce qui concerne la suite du processus, eh bien la MONUSCO va engager très rapidement un exercice conformément au plan de désengagement avec les autorités congolaises. Bien sûr, nous avons parlé de cette question avec les autorités. Je crois que ce que l’on peut dire, c’est que nous avons entendu de la part des autorités des attentes vis-à-vis de la MONUSCO, du rôle qu’elle est encore appelée à jouer dans la période à venir.
Ça ne veut pas dire que l’esprit du désengagement doit, ne plus nous inspirer, ne plus nous guider parce que nous pensons tous, et d’ailleurs évidemment les autorités en sont d’accord, que l’objectif de rester le désengagement puisque l’objectif de rester, de créer les conditions dans toute la mesure du possible pour que le désengagement de la MONSCO soit possible.
Mais il est certain que nous sommes actuellement dans une phase d’évaluation et de consultation avec les autorités congolaises.
Et lorsque nous avons discuté de ce sujet avec les autorités congolaises, d’abord, je l’ai dit, nous avons d’abord entendu des attentes quant au rôle sur le terrain qui est encore demandé et attendu de la part des autorités congolaises. Nous avons aussi, je pense, commencé à esquisser, je dirais, un accord assez général sur le fait que des modalités et des étapes futures du désengagement pourraient prendre une forme différente de ce qui a été fait au Sud-Kivu, et notamment peut-être une approche, une province, une autre province, puis une 3e province, ne sera pas forcément suivi pour la période à venir. En tout cas, j’ai déjà indiqué à la presse que cette date, qui d’ailleurs a toujours été plutôt une rumeur, que quelque chose de réel et encore moins quelque chose d’acté, cette date un peu fantasmée selon laquelle au 31 décembre 2024 la MONUSCO aura quitté le Congo. J’ai tenu à dissiper totalement cette rumeur.
D’autant plus que, encore une fois, ça n’a jamais été acté, ni par les autorités, ni par nous-mêmes, ni par le Conseil sécurité. D’ailleurs, nous sommes mi-septembre.
Encore une fois, nous sommes aujourd’hui dans une phase de consultation qui a commencé il y a peu, parce que le gouvernement était nommé, est entré en fonction en en juin et il avait évidemment dans les semaines qui ont suivi son entrée en fonction, des priorités immédiates. Donc ces consultations ont commencé il y a peu, mais nous allons les intensifier et donc nous verrons évidemment plus en détail ce qui est attendu de nous de la part des autorités congolaises. Et en fonction de cela, nous verrons comment il nous appartient peut-être d’esquisser les prochaines étapes. Et aussi de vérifier de penser à la meilleure allocation de nos ressources en fonction des besoins, des besoins actuels mais aussi des dévolutions qui peuvent se produire s’agissant tant de la situation sécuritaire, de la situation humanitaire mais aussi, bien sûr, de l’évolution du processus diplomatique.
Voilà peut-être en quelques mots, ce que je voulais vous dire. Peut-être deux choses enfin. Bien entendu, la situation humanitaire reste très préoccupante et il suffit de faire quelques kilomètres de sortir de Goma pour voir ce que nous avons fait de près, ce qu’il en est. Et bien sûr, nous avons une responsabilité de protection des civils dans toute la mesure de nos moyens, que nous voulons continuer à exercer. Vous le savez, les attentes sont souvent disproportionnées par rapport à ce que nous pouvons faire. Mais enfin, il y a, je l’ai souvent dit, des centaines de milliers de civils qui sont protégés par, en tout cas avec le soutien de la MONUSCO, avec le soutien des agences humanitaires des Nations Unies.
Et il y a un problème de financement du soutien humanitaire qui n’est malheureusement pas propre à la RDC, mais qui est également aiguë en ce qui concerne la République démocratique du Congo. Je voulais dire que, à la suite de ce voyage, évidemment, moi et tous et tous nos collègues, nous allons redoubler de plaidoyer pour faire en sorte que l’aide humanitaire ait des fonds alloués à cette aide humanitaire soient renforcés.
Enfin, et dernière chose, je disais, les situations non seulement évoluent selon les provinces, selon les territoires, mais elles sont très différentes aussi. Et on peut s’en rendre compte lorsque, comme je l’ai fait, en visite en Ituri où il y a aussi des défis, mais des défis d’une nature différente. Et je crois que c’est cela qui doit vraiment nous inciter à réfléchir très en détail avec les autorités congolaises sur la meilleure manière d’approcher l’évolution, bien sûr, à terme, le désengagement ou la poursuite du désengagement de la MONUSCO.
Merci de votre attention.