Révision ou changement de la Constitution  : les ambigüités de Modeste Bahati

Modeste Bahati Lukwebo, 2ème vice-président du Sénat et poids lourd de la scène politique congolaise, a une nouvelle fois attiré l’attention en faisant une déclaration alambiquée lors des États généraux de la justice. Alors que la République Démocratique du Congo débat vivement d’une révision constitutionnelle, Bahati a choisi de dévier le sujet pour pointer ce qu’il considère comme étant le véritable problème du pays : «ce n’est pas un problème de texte, mais de comportements». Cette sortie a aussitôt fait réagir la classe politique, chacun cherchant à décrypter la pensée de l’influent leader de l’AFDC-A, qui reste un stratège politique d’une rare agilité.

Même s’il est prématuré de sonner le glas de l’Union sacrée de la Nation (USN), la plateforme politique qui a porté la course victorieuse de Félix Tshisekedi à la dernière élection présidentielle, le climat ne semble pas au beau fixe et l’heure de se déterminer pour ses membres les plus éminents ne tardera pas à sonner pour ceux d’entre eux qui montrent de l’hésitation à se prononcer ouvertement en faveur ou non de la révision ou du changement de la Constitution selon la volonté du chef de l’Etat. Modeste Bahati, Jean-Pierre Bemba et Vital Kamerhe pour ne citer qu’eux, sont soumis à d’intenses pressions de la part de l’UDPS. Ils sont invités sans ménagement à prendre parti ou à se démettre et à rejoindre les rangs de l’opposition.

Les pressions ont atteint de nouvelles dimensions après le double discours de Félix Tshisekedi à Lubumbashi et à Kipushi (Haut-Katanga). En mettant au défi quiconque l’empêcherait, en sa qualité de garant de la nation, de procéder à la révision ou au changement de la loi fondamentale, Félix Tshisekedi vient d’adresser par voie détournée un avertissement sans équivoque aux membres du présidium de l’USN : s’aligner ou disparaître.

UNE STRATÉGIE DES PETITS PAS

Prenant la parole lors de l’ultime assemblée plénière des Etats généraux de la justice congolaise, Modeste Bahati, deuxième vice-président du sénat et l’un des membres du présidium de l’Union sacrée  de l’Union sacrée, a eu des mots qui suscitent depuis une réelle controverse parmi la mosaïque d’organisations politiques alliées au parti présidentiel, l’UDPS.

En déclarant que «dans notre pays, il n’y a pas un problème de texte. C’est un problème de comportements», le leader du regroupement politique AFDC/A faute de jeter de l’huile sur le feu n’en a pas moins exprimé sa position qui, tout en restant enrobée de mystère et nourrie d’ambigüités, ne signifie pas son rejet affirmé du projet présidentiel de changement de la Constitution.

Modeste Bahati exprimait certes son sentiment sur l’état de la justice en RDC, doutant que les Etats généraux débouchent sur des réformes concrètes, mais des raccordements ont aussitôt fusé de partout, voyant dans sa déclaration une réponse à la campagne menée tambour battant par le camp présidentiel en vue d’un changement de la Constitution du 18 février 2006, et qui ouvrirait à Félix Tshisekedi un boulevard vers un troisième mandat après l’échéance de son deuxième et dernier mandat en 2018.

S’il est établi que Bahati a profité du forum pour donner son opinion bien que de manière détournée, la démarche n’étonnerait pas de sa part. Elle s’inscrit dans la lignée de sa stratégie habituelle des petits pas, mais avançant avec détermination vers des buts qu’invariablement il a atteints. Sauf qu’après avoir dirigé le sénat au cours de la législature passée, il aurait souhaité être reconduit au perchoir de la chambre haute. Mais Tshisekedi en a décidé autrement, lui préférant l’ancien Premier ministre Sama Lukonde. Depuis, un feu dévorant couve sous la cendre entre les deux hommes, attendant l’embrasement général dont la coalition au pouvoir se relèverait difficilement.

Dans son entourage, les rancœurs se ruminent en silence et parmi ses proches, des voix s’élèvent de longue date l’invitant à rompre le cordon ombilical empoisonné qui le relie à Félix Tshisekedi dont les revirements sèment confusion et incompréhension au sein de l’alliance. La frustration est particulièrement ressentie dans son «fief» du Sud-Kivu, dont les fidèles crient à la trahison après avoir joué un rôle déterminant dans la réélection de l’actuel chef de l’Etat.

Cependant, lui-même observe un mutisme tout diplomatique, laissant ses lieutenants s’exprimer au nom de la «démocratie interne au parti». Et pendant que le microcosme politique s’impatiente dans l’attente du discours sur l’état de la nation du chef de l’Etat devant le congrès le 13 décembre prochain, la veillée d’armes dans les états-majors des partis et regroupements politiques s’amplifie et l’UDPS accroit sa campagne en faveur du changement de la constitution à coups de déclarations tonitruantes de son secrétaire général Augustin Kabuya et des «experts» actifs sur les réseaux sociaux et jusque dans les églises de réveil tenues par des proches du pouvoir à coups d’une vaste opération de désinformation tendant à démonter le caractère «mauvais» de l’actuelle constitution.

LE SILENCE MITIGÉ DE KAMERHE

Egalement originaire du Sud-Kivu, lui aussi se réclamant du rôle déterminant joué par son Union pour la Nation congolaise (USN) dans la victoire électorale de Tshisekedi, Vital Kamerhe garde tout aussi un silence stoïque. De tous les membres influents de l’USN, il est sans doute celui qui aurait tout à perdre du changement de la constitution et du maintien au pouvoir de son allié.

Le président de l’Assemblée nationale, sevré de l’opportunité de briguer la présidence aux termes de l’accord de Nairobi, serait certainement celui qui aurait le plus à perdre de la révision ou du changement de la constitution. Avec l’opinion nationale, il est conscient que le passage au septennat projeté, et une réélection de Félix Tshisekedi en 2028 le renverrait à l’échéance de 2042. Il serait alors âgé de 84 ans !

Pour sa part, sans se prononcer même avec des subtilités et la voie contournée choisie par Bahati, il déjà fait savoir qu’il se prononcerait au jour où le projet serait officiellement signifié au corps législatif. En attendant, il doit faire aussi face aux pressions des fanatiques tshisekedistes qui poussent les tièdes à s’aligner ou à dégager.

Econews