Sahara : quatre questions pour comprendre la crise entre l’Algérie et le Maroc

Depuis le 1er novembre et la mort de trois camionneurs algériens dans le Sahara, dont le Maroc revendique sa pleine souveraineté, les relations entre les deux pays se sont fortement dégradées. Franceinfo fait le point en quatre questions sur ce conflit enlisé depuis des décennies entre l’Algérie et le Maroc. 

La marocanité du Sahara «n’est pas à négocier».

Les propos du roi du Maroc, Mohammed VI, samedi 6 novembre, à propos de ce territoire disputé depuis des décennies entre son pays et les indépendantistes sahraouis, soutenus par l’Algérie, sont sans équivoque.

Depuis quelques jours, les tensions entre le Maroc et l’Algérie sont exacerbées, atteignant un point culminant le 1er novembre, avec la mort de trois camionneurs, pris dans un bombardement, au Sahara marocain.

Que s’est-il passé ?

Si depuis un an les relations entre l’Algérie et le Maroc se sont progressivement dégradées, les tensions se sont accrues après le 1er novembre, à la suite de la mort de trois camionneurs algériens pris dans un bombardement sur le territoire du Sahara occidental.

Alger accuse Rabat d’un «lâche assassinat », commis «avec un armement sophistiqué (…) alors qu’ils faisaient la liaison Nouakchott-Ouargla», entre la Mauritanie et l’Algérie, a affirmé la présidence algérienne dans un communiqué publié jeudi dernier. Elle a également dénoncé «la gravité extrême de l’acte de terrorisme d’Etat en question, qu’aucune circonstance ne saurait justifier» et a assuré que «l’assassinat de ces trois Algériens ne restera [it] pas impuni».

Officiellement, Rabat n’a toujours pas répondu directement à ces attaques, a relevé TV5 Monde vendredi. Mais officieusement, «si l’Algérie veut la guerre, le Maroc n’en veut pas. Le Maroc ne sera jamais entraîné dans une spirale de violence et de déstabilisation régionale», a réagi auprès de l’AFP une «source marocaine informée». «Si l’Algérie souhaite entraîner la région dans la guerre, à coups de provocations et de menaces, le Maroc ne suivra pas », a insisté la même source, qui a requis l’anonymat.

Quelles sont les origines de cette crise ?

Elle a débuté le 13 novembre 2020. Depuis 1991, un cessez-le-feu a été conclu entre le Maroc et le Front Polisario, soutenu par l’Algérie qui réclame l’indépendance de ce territoire, après seize années de conflit. Mais cette trêve, globalement respectée pendant une trentaine d’années, a été rompue. L’armée marocaine a mené une opération dans la zone tampon du poste-frontière de Guerguerat (extrême-sud) pour rétablir le trafic routier vers la Mauritanie, coupé par les indépendantistes sahraouis. En réaction, le Front Polisario a décrété l’état de guerre.

Un mois plus tard, la tension est remontée d’un cran, quand le Maroc a obtenu du président américain Donald Trump la reconnaissance de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental (reconnaissance qui a été confirmée par Joe Biden, rappelle RFI). En contrepartie, le Maroc a normalisé ses relations avec Israël. Des rapprochements vus d’un mauvais œil par l’Algérie, qui a rompu ses relations diplomatiques le 24 août avec le Maroc, l’accusant de soutenir le Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK), qu’Alger considère comme une organisation terroriste.

Enfin, le 31 octobre dernier, le président algérien a décidé de couper le gaz au Maroc. Or le gaz algérien recouvre 97% des besoins marocains, relève l’AFP. Depuis 1996, l’Algérie a expédié vers l’Espagne et le Portugal environ 10 milliards de mètres cubes de gaz naturel par an via le gazoduc Gaz Maghreb Europe (GME), qui passe par le Maroc. En contrepartie de ce transit, Rabat recevait annuellement près d’un milliard de mètres cubes de gaz naturel.

Pourquoi le Sahara est-il convoité ?

Situé sur la côte atlantique et bordé par le Maroc, la Mauritanie et l’Algérie, le Sahara occidental est une zone quasi désertique très étendue (plus de 250.000 kilomètres carrés) mais attire les convoitises : elle est riche en phosphates et son littoral atlantique est très poissonneux.

Ancienne colonie espagnole, le Sahara occidental est le seul territoire du continent africain dont le statut post-colonial reste en suspens. Le pays est considéré comme un «territoire non autonome» par l’ONU, en l’absence d’un règlement définitif. Le Maroc en contrôle 80% et propose une large autonomie sous sa souveraineté, tandis que le Front Polisario réclame un référendum d’autodétermination.

Au-delà des frontières marocaines et algériennes, la situation du Sahara occidental est également surveillée de près par les Occidentaux. Leurs intérêts «sont très importants dans la région, notamment dans la lutte contre le terrorisme, rappelle Kader Abderrahim, professeur à Sciences Po Paris et spécialiste de l’Algérie et du Maroc, interrogé par TV5 Monde. Un conflit ouvert entre ces deux voisins affaiblirait les positions des Occidentaux, des Européens et des Etats-Unis, dans la lutte contre le terrorisme».

Est-ce qu’un conflit ouvert pourrait éclater entre les deux pays ?

Pour l’heure, «une confrontation directe semble a priori exclue», affirme l’expert en sécurité Akram Kharief, fondateur du site Menadefense, interrogé par Le Monde. «L’Algérie va chercher à répondre au Maroc de manière indirecte et réaliste plutôt que de s’engager dans une guerre frontale», renchérit dans le même quotidien Jalel Harchaoui, chercheur à l’Institut des relations internationales de Clingendael, aux Pays-Bas.

Côté marocain, Mohammed VI a tenté de calmer le jeu dans son discours prononcé samedi. « Si nous engageons des négociations, c’est essentiellement pour parvenir à un règlement pacifique de ce conflit régional artificiel », a déclaré le monarque.

Du côté de la communauté internationale, le Conseil de sécurité de l’ONU a appelé les différentes parties à reprendre les négociations « sans conditions préalables et de bonne foi ». Ces négociations sont à renouer sous l’égide du nouvel émissaire de l’ONU, l’Italo-Suédois Staffan de Mistura, «en vue de parvenir à une solution politique juste, durable et mutuellement acceptable » dans la perspective d’une « auto-détermination du peuple du Sahara occidental », a précisé le 29 octobre l’ONU dans une résolution qui a prolongé d’un an la mission onusienne (Minurso) pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental.

Mais Kader Abderrahim, spécialiste de l’Algérie et du Maroc interrogé par TV5 Monde, n’est pas aussi optimiste : «J’ai toujours pensé qu’il n’y aurait pas de conflit ouvert entre le Maroc et l’Algérie. Je suis plus mesuré aujourd’hui », analyse-t-il. Selon lui, «tous les indicateurs sont au rouge. Nous ne sommes pas à l’abri d’un dérapage qui pourrait enflammer la région ».

Econews avec Franceinfo