Sanctions levées, l’Union européenne rouvre ses frontières à Evariste Boshab et Alex Kande

Ancien gouverneur du Kasaï-Occidental, aujourd’hui Kasaï Central après le démembrement de provinces, Alex Kande Mupompa Mule Nshingu wa mua Kalombo vient de voir les sanctions, prises en mai 2017 contre sa personne, levées par l’Union européenne. Il en est de même du professeur Evariste Boshab. Ainsi en a décidé tout récemment un Tribunal de l’UE statuant au nom de ces 27 Etats membres. Cette levée de sanctions vient après que Kalev Mutond et Ramazani Shadary, deux figures de proue du régime Kabila, aient été extraites en juin 2023 de la liste noire de l’UE.

Sous sanctions de l’Union européenne (UE) depuis fin mai 2017 en raison jadis de leur responsabilité dans les violences et l’impasse politique connues en son temps au Congo, Ramazani Shadary et Kalev Mutondo, deux personnalités de premier plan du pouvoir sous le régime Kabila, ont été extraites le 20 juin 2023, soit six ans après, de la liste noire par les ministres des Affaires étrangères de la communauté. Ceci au motif que les éléments présentés pour les sanctionner ne constituaient pas un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants pour établir la réalité des faits. Dès lors, le maintien des sanctions à l’endroit d’Alex Kande, ancien gouverneur du Kasai Central, sans autorité sur l’armée, la police et les services de sécurité, sans aucune action judiciaire intentée à son encontre, non cité dans le procès du meurtre des deux experts des Nations unies, restait donc arbitraire. Il n’était pas moins l’otage de quelques fonctionnaires européens vraisemblablement manipulés.

AU COMMENCEMENT

En effet, avec les manœuvres entreprises jadis par le président Joseph Kabila pour briguer un troisième mandat en dépit de l’interdiction que lui en faisait la Constitution, la RDC avait connu des violences sur fond des graves violations des droits de l’homme, notamment lors des manifestations de l’opposition. Il s’en était suivi une impasse politique qui conduisit au Dialogue politique sanctionné fin décembre 2016 par un accord consacrant officiellement le glissement de deux ans du mandat présidentiel. Dans la foulée, les provinces du centre du pays, les Kasaï, expérimentèrent le phénomène «Kamuina Nsapu» lié à des miliciens répondant d’un chef coutumier du même nom basé dans le territoire de Dibaya, au Kasai Central. De Dibaya comme épicentre, les violences dues à ces miliciens se diffusèrent dans toute la région du Kasaï, embrasant ainsi les cinq provinces qui la constituent. Selon l’ONU, ces violences firent 1,2 million de déplacés et 400 morts. Engagés dans une enquête sur ce phénomène au Kasaï Central, son centre de rayonnement, deux experts de l’ONU, en l’occurrence Zaïda Catalan et Michael Charp, furent sauvagement assassinés. Leurs têtes furent même exhibées en trophées.

En vue d’endiguer cette dérive, l’UE résolut d’abattre son courroux sur des personnalités de tout premier plan du pouvoir. Lambert Mende, ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, Evariste Boshab, ministre de l’Intérieur jusqu’en décembre 2016, son successeur Emmanuel Ramazani Shadary, et Kalev Mutond, le redouté patron de l’ANR), furent épinglés. L’ire des Européens se porta également sur cinq autres responsables : les gouverneurs du Haut-Katanga et du Kasaï Central, Jean-Claude Kazembe Musonda et Alex Kande Mupompa, les commandants de brigade Muhindo Akili Mundos (commandant de la 31ème  brigade des FARDC ) et Éric Ruhorimbere (Commandant du secteur opérationnel dans le Kasai), ainsi que Gédéon Kyungu Mutanga, un ancien chef de milice de sinistre réputation, réhabilité par Kinshasa.

Les noms de ces neuf personnalités rallongèrent une liste dans laquelle figuraient d’autres personnalités du pouvoir congolais précédemment visées par l’UE et les États-Unis en juin, septembre et décembre 2016. Parmi celles-ci, les généraux Ilunga Kampete (ancien commandant de la garde présidentielle), Gabriel Amisi (ancien commandant de la région militaire incluant Kinshasa), Célestin Kanyama (Commissaire provincial de la police de Kinshasa), John Numbi (Ex-patron de la Police nationale), Delphin Kahimbi (ancien chef de la Demiap), Fernand Ilunga Luyoyo (ancien commandant de la Légion d’intervention de la Police nationale), et Roger Kibelisa (ancisn chef de la Sécurité intérieure à l’ANR). De la sorte, une vingtaine de personnalités congolaises, parmi lesquelles des très proches collaborateurs du président Kabila, se virent interdites de voyage dans l’UE et aux USA. En plus du gel de leurs avoirs, l’interdiction leur fut faite également de percevoir des fonds de la part de tiers en Europe. Ce fut le cas aussi pour ceux sanctionnés par le pays de l’oncle Sam.

Après plusieurs recours en contestation de la procédure, seules trois personnes virent leurs sanctions levées par l’UE. Après Lambert Mende en décembre 2019, Ramazani Shadary, secrétaire permanent du PPRD, ancien ministre de l’Intérieur et dauphin de Joseph Kabila à la présidentielle de 2018, et Kalev Mutond, le redouté patron de l’ANR, furent extraits de la liste noire de l’UE le 19 juin 2023.

En effet, après que la Cour de justice de la communauté eusse estimé trois mois plus tôt que les éléments présentés pour les sanctionner ne constituaient pas «un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants» pour établir la réalité des faits, les ministres des Affaires étrangères n’eurent donc d’autre choix que de lever les sanctions. Mais, ils les maintinrent pour quinze autres, dont Alex Kande, ancien gouverneur du Kasaï Central. Ce qui relevait pour le moins de l’arbitraire.

UNE VICTIME EXPIATOIRE ENFIN INNOCENTEE

En effet, Kalev Mutond fut épinglé dans la deuxième salve des sanctions de l’UE pour son rôle central dans la répression qui avait frappé autrefois les provinces du centre du pays. Ex-vice-premier ministre et ministre de l’Intérieur et de la Sécurité publique, Évariste Boshab le fut parce considéré comme la cheville ouvrière de cette répression. De même pour son successeur, Emmanuel Ramazani Shadary, qui poursuivit la même politique, l’intensifiant du reste.

Quelle avait été donc la responsabilité individuelle de l’ancien gouverneur Alex Kande dans ce drame qui endeuilla sa province, ainsi que les autres faisant partie de l’espace Kasaï? Point n’est besoin de rappeler qu’un gouverneur de province en RDC n’a autorité ni sur l’armée, ni sur la police et, encore moins, sur les services de sécurité. D’autre part, aucune action judiciaire n’a jamais été intentée à son encontre. Il n’avait jamais été non plus cité dans aucun procès, voire celui en rapport avec le meurtre des deux experts des Nations unies.

C’est plutôt dans un livre intitulé «Les massacres à huis clos dans le Kasaï» que Germain-Joseph Muanza Kambulu, son auteur, avait cité Alex Kande comme étant un des responsables de l’assassinat du chef coutumier Jean-Pierre Mpandi des Kamuina Nsapu, à la base de nébuleuse milice «Kamuina Nsapu». Ce qui n’était qu’un tissu d’allégations. Encore fallait-il déterminer le pouvoir dont disposait le gouverneur Alex Kande, dans une province investie par les grosses têtes de l’appareil sécuritaire du pays, pour mettre en mouvement la troupe qui prit d’assaut la contrée du chef assassiné.

A tout le moins, le maintien des sanctions contre Alex Kande par l’UE relevait de l’arbitraire. Ceci au vu de sa parcelle quasi nulle de pouvoir eu égard aux responsabilités de l’ancien vice-premier ministre et ministre de l’Intérieur Ramazani Shadary et de l’ancien flic en chef Kalev Mutondo au moment des faits. Vraisemblablement, il avait été l’otage de quelques fonctionnaires européens manipulés pour des causes inavouées.

Quelle que soit la longueur de la nuit, le jour finit par poindre, dit un adage. Et le jour a fini par poindre pour Alex Kande Mupompa Mule Nshingu wa mua Kalombo dont les sanctions de l’UE à son encontre viennent d’être levées. Le Tribunal de cette communauté en a ainsi décidé tout récemment. Il ne reste que la communication des ministres des Affaires étrangères à cet effet. Il en est de même du professeur Evariste Boshab qui, depuis lors, n’a pu franchir la Méditerranée. Mais, entre-temps, c’est un énorme gâchis qu’a connu l’ancien gouverneur du Kasai-Occidental qui doit réhabiliter son image foulée aux chiens.

Moïse Musangana (CP)