A cinq mois de la Conférence de l’ONU sur le climat (COP 28), prévue aux Emirats Arabes Unis, il se tient, les 22 et 23 juin 2023 à Paris, à l’initiative du président français, le Sommet pour un « nouveau pacte financier mondial». Une centaine de pays ont favorablement répondu à l’invitation d’Emmanuel Macron, parmi lesquels une vingtaine de chefs d’Etat et de gouvernement africains. En l’absence du Président Félix Tshisekedi, c’est le Premier ministre, Sama Lukonde Kyenge, qui porte la voix de la République Démocratique du Congo.
A l’agenda des travaux de deux jours, un programme qui ne manque pas d’ambitions : il s’agit, dans le contexte international de se pencher sur les répercussions des multiples crises climatique (fontes des glaciers et montée du niveau de la mer), sanitaire (épidémies) et économique, particulièrement dans les pays les plus vulnérables.
Le Sommet se fixe pour objectifs de redonner un espace budgétaire aux pays qui font face à des situations difficiles à long terme, notamment les pays les plus endettés; de favoriser le développement du secteur privé dans les pays à faible revenu; d’encourager l’investissement dans les infrastructures «vertes» pour la transition énergétique dans les pays émergents et en développement; enfin, de mobiliser des financements innovants pour les pays vulnérables au changement climatique.
Malgré l’empressement de la vingtaine de pays africains à se joindre au Sommet de Paris, il est à remarquer que plus de la moitié se sont abstenus, ou se font représenter à des niveaux inférieurs, ce qui laisse entrevoir sinon un doute, du moins un scepticisme nourri par de multiples promesses non tenues de la part des pays riches.
L’OMBRE DE POUTINE ET DE XI JINPING
Dans les capitales africaines, on ne se fait pas d’illusion. La promesse des 100 milliards de dollars annuels promis à la COP 21 de Paris en 2016 tarde à se matérialiser. De plus en plus, l’opinion selon laquelle l’Afrique qui ne rejette dans l’atmosphère que 3 % à peine des gaz à effet de serre n’est pas rétribuée en conséquence tend à créer une suspicion généralisée. Certains Etats ne trouvant plus d’inconvénient à exploiter leurs ressources énergétiques fossiles au nom de leur développement. Ainsi, l’Afrique du Sud qui traverse une crise énergétique aigue n’envisage plus de désactiver ses mines de charbon, tandis que la République démocratique du Congo a lancé des appels d’offre pour la mise aux enchères d’une trentaine de blocs pétroliers et gaziers.
Dans le contexte de la guerre qui oppose l’Ukraine et la Russie, il est à remarquer que les assises de Paris se tiennent en amont du Sommet Russie-Afrique prévu à Saint Petersburg à la mi-juillet. Il sera suivi de la réunion des BRICS en Afrique du Sud le mois suivant. Quand on considère que lors de ces deux événements le président russe Vladimir Poutine et le Chinois Xi Jinping seront à la manœuvre, on réalise les enjeux immenses auxquels se trouvent confrontées les puissances occidentales déterminées à garder les Africains dans leur giron.
LE SPECTRE DES BRICS
La perspective de voir les Etats africains adhérer en masse au nouvel ordre mondial piloté par la Russie et la Russie, entraînant l’érosion de la prédominance du dollar américain au profit de nouvelles devises (le yuan chinois notamment) est envisagée non sans crainte dans les capitales occidentales.
Ce glissement est par ailleurs aggravé par une lassitude des pays du sud face aux institutions de Bretton Woods. Près de 80 ans après la création de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international, les pays africains croulent sous le fardeau de lourdes dettes qu’ils ont du mal à rembourser. Les appels à l’annulation des créances, ou à tout le moins leur allègement buttent sous des exigences qu’ils peinent à satisfaire.
D’où la recherche de nouveaux partenariats marquées notamment par les sollicitations de plus en plus nombreuses de s’engager avec la banque des BRICS (la Nouvelle Banque de Développement) présidée par la Brésilienne Dilma Roussef.
Bien que participant dans une position de relative faiblesse au Sommet de Paris, les pays du sud partent avec un avantage certain : il est peu probable que cette fois ils se contentent de promesses et d’engagements de bonnes intentions.
M.M.F.
Avec son sommet, Macron veut jouer l’intermédiaire entre le Nord et le Sud
En accueillant un sommet qui ambitionne rien de moins que de réformer le système financier international, Emmanuel Macron endosse son costume diplomatique préféré: celui d’intermédiaire entre le Nord et le Sud, qui s’active tous azimuts pour réduire la «fracture du monde». Avec des résultats mitigés.
«Je le sens: nous pouvons faire une énorme différence pour la planète et contre la pauvreté », a tweeté mercredi avec emphase le président français, à la veille de l’ouverture à Paris du Sommet pour un nouveau pacte financier mondial qui, pendant deux jours, accueillera une quarantaine de chefs d’Etat et de gouvernement.
Le ballet d’entretiens a commencé dès mercredi à l’Elysée avec les présidents tchadien et gabonais ou le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres.
L’idée de ce forum informel avait été lancée en novembre.
C’est un fil rouge de la politique étrangère d’Emmanuel Macron, qui défend un « multilatéralisme efficace ». Il a multiplié les One Planet Summit, en marge des négociations formelles sur le climat et la biodiversité, mais aussi des événements annuels comme le Forum de Paris sur la paix, aux retombées souvent modestes.
«Vieille vision gaullienne»
De la même manière, en allant en Chine pour presser son homologue Xi Jinping d’user de son influence sur la Russie pour qu’elle cesse la guerre en Ukraine, en invitant au défilé du 14-Juillet le Premier ministre indien Narendra Modi avec des visées similaires, ou encore en facilitant la participation au sommet du G7 au Japon du président ukrainien Volodymyr Zelensky, Emmanuel Macron se veut toujours à l’initiative.
Bertrand Badie, professeur à Sciences-Po, y voit une « continuité avec la vieille vision gaullienne, cette volonté d’une France qui garde son rang dans le monde et qui a la prétention de tout pouvoir régler», sans forcément avoir les moyens de ses ambitions car elle «est devenue une puissance moyenne qui ne veut pas s’avouer comme telle».
Mais ce spécialiste des relations internationales décèle aussi «une lucidité, qu’il faut lui reconnaître, de comprendre que la sortie des crises actuelles passe par un ciblage préférentiel des pays du Sud et en particulier des émergents». La «bonne intuition» du président français est donc d’avoir «compris qu’il a une carte à jouer comme intermédiaire entre l’Occident et les émergents».
Cette posture, il la pousse jusqu’à tenter d’être le premier dirigeant occidental invité, en août prochain, au sommet des Brics, ce groupe qui rassemble le Brésil, la Chine, l’Afrique du Sud, l’Inde mais aussi la Russie.
A la tribune de l’Assemblée générale de l’ONU en septembre dernier, Emmanuel Macron avait théorisé la nécessité de «bâtir un nouveau contrat entre le Nord et le Sud », pour éviter «la fracture du monde » et relever les défis de l’époque, du conflit en Ukraine au changement climatique en passant par la lutte contre la pauvreté.
«Pragmatisme impatient»
Le sommet de Paris s’inscrit dans cette volonté d’ «éviter la logique des blocs, d’une confrontation» entre l’Occident et le «Sud global », relève Célia Belin, du cercle de réflexion European Council on Foreign Relations.
Et là aussi, ajoute-t-elle, « l’intuition est bonne» : «il y un besoin et une demande énorme de ces pays» pour améliorer le système de financement international, car «le désespoir est très grand ».
Du coup, la France suscite un mélange d’attentes fortes et de scepticisme.
Emmanuel Macron a engrangé quelques résultats en termes de participation, avec le Brésilien Lula et le Premier ministre chinois Li Qiang. Il a aussi cosigné une tribune avec douze dirigeants, dont Joe Biden, qui s’engagent avec lui à «avancer sur des mesures concrètes» pour une «transition écologique juste et solidaire».
Mais il y a aussi des absents notables, au premier rang desquels le président américain justement, ainsi que l’Indien Modi.
Surtout, faute de mandat formel des Nations unies, cette rencontre organisée «rapidement et un peu improvisée» risque aussi «d’être un sommet de plus», redoute Célia Belin.
C’est à ses yeux le corollaire de ce qu’elle appelle le «pragmatisme impatient» d’Emmanuel Macron, qui veut «que tout marche tout de suite», avec une méthode qui n’est pas toujours au rendez-vous d’ambitions louables.
«Le président français est pratiquement un des seuls Européens à tenter de jouer ce rôle», ajoute-t-elle. «Il a ce mérite-là».
Avec Le Point Afrique