Sortie de crise en RDC : Muzito et Fayulu prêts à «élaborer» avec l’ONU «un plan commun réalisable»

A la veille du sommet de Kinshasa sur le Mécanisme de suivi de l’Accord-cadre d’Addis-Abeba, le duo Fayulu-Muzito, leaders de LAMUKA , principale plateforme de l’opposition, a adressé une correspondance au secrétaire général des Nations Unies pour solliciter la mission des bons offices de l’ONU dans la crise politique qui couve en République Démocratique du Congo.

Pour le tandem, «l’accord-cadre pour la paix, la sécurité et la coopération pour la RDC et la région des Grands Lacs est un accord déséquilibré en ce qu’il n’impose des obligations qu’à la République Démocratique du Congo».

Dans leur correspondance, les deux leaders de Lamuka notent que « la légitimité et le respect de la volonté du peuple sont des conditions préalables pour la paix, la sécurité et le développement durables». Aussi demandent-ils au secrétaire général de l’ONU de «prendre courageusement ses responsabilités en faisant tout son possible pour soutenir l’intégrité du processus électoral pour éviter des conflits postélectoraux». Et de préciser : «Au nom de LAMUKA et du peuple congolais, nous demandons instamment à l’ONU d’assumer ses responsabilités. Autrement, la crise qui prévaut dans la partie Est de la RDC et les troubles régionaux qui en découlent continueront de s’aggraver. Des millions de vies continueront d’être perdues et notre espoir de démocratie et d’un avenir meilleur sera injustement différé ou refusé».

Ils se disent d’ailleurs prêts à travailler avec l’ONU dans l’élaboration d’un «Plan commun réalisable» de sortie de crise.

Ci-dessous la lettre du tandem Muzito – Fayulu au secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres.

Muzito et Fayulu écrivent au secrétaire général de l’ONU

Monsieur le secrétaire général,

Des responsables de haut niveau de l’Organisation des Nations Unies séjournent actuellement dans notre pays dans le cadre du 10ème sommet des Chefs d’Etat et de Gouvernement des pays signataires de l’Accord-cadre pour la Paix, la Sécurité et la Coopération pour la République Démocratique du Congo et la Région. Veuillez trouver ci-dessous nos préoccupations.

L’Accord-cadre pour la paix, la sécurité et la coopération pour la RDC et la région est un accord déséquilibré en ce qu’il n’impose des obligations qu’a la RDC

Tout le monde est d’accord qu’Il y a neuf ans, une «fenêtre d’opportunité» s’était ouverte pour permettre la mise en place des réformes. Cependant, dès le départ, plusieurs observateurs avaient pensé que l’accord d’Addis-Abeba comportait de graves lacunes. À titre d’exemple, cet accord ne mentionnait des engagements spécifiques que pour la RDC. Le Burundi, le Rwanda et l’Ouganda – qui ont tous des problèmes internes à la base de la déstabilisation de la RDC – n’ont pas été inclus ou responsabilisés.

Le besoin de «réconciliation nationale, de tolérance et de démocratisation» n’est pas unique à la RDC. Au contraire, il est nécessaire pour tous les pays de la région. Aussi, comment peut-on raisonnablement exiger de la RDC qu’elle «renforce la coopération régionale, y compris par l’approfondissement de l’intégration économique avec une attention particulière portée à la question de l’exploitation des ressources naturelles » ? Les Congolais s’interrogent sur l’intention réelle qui sous-tend cet engagement.

De plus, neuf ans après la signature de cet accord, nous n’avons toujours pas concrétisé les trois premiers engagements :

1. Ne pas s’ingérer dans les affaires intérieures des Etats voisins;

2. Ne pas entretenir, ni fournir aucune assistance ou soutien quelconque aux groupes armés;

3. Respecter la souveraineté et l’intégrité territoriale des États voisins.

Il n’est un secret pour personne que des troupes des pays susmentionnés sont présentes en RDC depuis plusieurs années – elles se sont également affrontées militairement sur le sol congolais. De même, ce n’est un secret pour personne que certains de ces mêmes pays pillent, en toute impunité et pour leur propre compte, les ressources naturelles de la RDC.

Dans ce contexte, comment alors évaluer les propos tenus par le président rwandais le 8 février à Kigali : … Parfois nous mendions, parfois nous faisons des demandes, mais quand elles dépassent les limites, nous réglons nous-mêmes le problème comme il se doit, sans demander la permission à qui que ce soit. « … Le Rwanda est petit, mais notre doctrine est de contrer toute menace d’où qu’elle vienne. Au regard, historiquement, de la politique d’ingérence par procuration du Rwanda dans la partie Est du Congo, ces affirmations sont préoccupantes pour notre peuple et mettent à mal notre sécurité. Il est donc crucial que l’ONU règle définitivement la question des Forces Démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR).

Avec un nombre croissant de morts approchant les 10 millions de personnes ou plus – outre les 6 millions de personnes déplacées internes en RDC et des massacres enregistrés au quotidien – de nombreux Congolais n’hésitent plus à conclure que leur sécurité et leur bien-être, promis dans l’accord-cadre de 2013, ne sont pas une priorité. L’impression qui s’y dégage est que la RDC n’est finalement qu’un bouc-émissaire idéal des problèmes régionaux plus vastes et la victime de l’ingérence continue d’acteurs extérieurs.

L’ONU doit faire tout son possible pour soutenir l’intégrité du processus électoral

Le monde entier sait que les résultats annoncés des élections organisées en RDC en 2018 n’ont pas reflété la vérité des urnes, ni les aspirations démocratiques du peuple congolais.

Aujourd’hui, au moment où la RDC se prépare pour le cycle électoral de 2023, nous sollicitons de l’ONU qu’elle mène de toute urgence la mission de bons offices avec toutes les parties prenantes, y compris les acteurs de la société civile pour garantir la tenue des élections libres, justes, impartiales et crédibles en 2023. Le peuple congolais mérite que sa voix soit enfin entendue. Car, aussi longtemps que sa volonté politique sera différée ou lui sera refusée, la probabilité d’une instabilité additionnelle et de violences potentielles pour notre pays et la région sera élevée.

M. Tshisekedi a déjà entrepris plusieurs initiatives qui minent la crédibilité des élections de 2023, dont ci-dessous quelques exemples :

• La nomination illégale – le 17 juillet 2020 – à la Cour constitutionnelle des juges dociles et politiquement partisans, y compris le président de la Cour;

• La tentative d’instaurer le régime du parti unique par la création de «l’Union sacrée de la Nation» en octobre 2020 pour s’assurer une majorité au parlement, en violation de la Constitution et des Règlements intérieurs de l’Assemblée nationale et du Sénat;

• Le dévoiement du processus indépendant et impartial de désignation des membres de la Commission électorale nationale indépendante (CENI), notamment le président, le premier vice-président, le rapporteur, le rapporteur adjoint et le questeur adjoint

• Les détournements et vols de fonds publics, au travers notamment des voyages pour engranger des gains financiers résultant de ces missions; des projets excentriques et coûteux qui ne se matérialisent pas ou ne profitent pas au peuple congolais;

• L’instrumentalisation du tribalisme. A ce sujet, nous avons été informés que la MONUSCO entend parrainer une proposition de loi sur le tribalisme. Cette initiative est mal venue. Elle brisera la cohésion nationale dans un pays dont les questions d’unité nationale et d’État-nation sont réglées depuis longtemps;

• La proclamation, depuis mai 2020, d’un «état de siège», dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri. Ceci semble avoir été fait avec l’intention d’exclure ces deux provinces des élections de 2023. De plus, l’état de siège a entraîné des conséquences désastreuses pour la population civile, avec notamment plusieurs détentions et des morts rapportés de manière crédible par les médias. Cette politique est utilisée en ciblant spécifiquement les membres des mouvements citoyens et ceux de LAMUKA pour les faire taire.    C’est le cas, par exemple, des membres de la LUCHA détenus à Goma et à Beni, de Luc Malembe à Bunia et de Luc Mulopwe à Kinshasa.

Plus généralement, nous affirmons que la RDC navigue à contre-courant de ses engagements pris dans le cadre de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (CADHP) et de la Charte Africaine de la Démocratie, des Elections et de la Gouvernance.

La légitimité et le respect de la volonté du peuple sont des conditions préalables pour la paix, la sécurité et le développement durables

Chaque jour, la RDC s’enfonce davantage dans des crises. L’ONU et la communauté internationale dans son ensemble ne doivent pas attendre que de graves troubles se produisent avant de s’impliquer. Il est temps d’agir maintenant.

Les pays de la région ont besoin des leaders dûment élus par leurs peuples respectifs et redevables devant eux pour promouvoir la paix, la sécurité et le développement recherchés.

L’ONU doit courageusement prendre ses responsabilités

Nous le savons tous, il y a des dirigeants et une myriade d’intérêts acquis qui se nourrissent de la faiblesse et de l’instabilité de la RDC. Cela leur permet de piller notre pays en toute impunité. C’est inacceptable pour le peuple congolais, car constituant un affront à sa dignité aussi bien individuelle que collective comme nation.

Au nom de LAMUKA et du peuple congolais, nous demandons instamment à l’ONU d’assumer ses responsabilités. Autrement, la crise qui prévaut dans la partie Est de la RDC et les troubles régionaux qui en découlent continueront de s’aggraver. Des millions de vies continueront d’être perdues et notre espoir de démocratie et d’un avenir meilleur sera injustement différé ou refusé.

Nous sommes impatients de travailler avec vous pour inverser cette tendance et élaborer un plan commun réalisable.

Adolphe Muzito

Martin Fayulu

Leaders de Lamuka