À ce jour, 400 millions de personnes n’ont pas accès à l’eau potable en Afrique et 22 millions sont menacées de famine, suite à une sécheresse sans précédent dans la Corne de l’Afrique, selon l’ONU. Alors que l’enjeu hydrique cristallise les tensions aux niveaux domestique, régional, mais aussi systémique, les experts alertent la communauté internationale sur l’urgence de repenser la gestion durable des ressources en eau.
«Huit ans après l’Accord de Paris, nous n’observons pas de transformations profondes. Nous allons vers de graves problèmes, car nous sommes arrivés à un point de bascule (…) Nous devons immédiatement sortir des énergies fossiles. Il n’est plus acceptable de financer de nouveaux oléoducs (…) Le cycle de l’eau qui est une source vitale est directement impacté par le réchauffement climatique », interpellait Wolfgang Cramer, directeur de recherche au CNRS et contributeur au dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), en ouverture des Water Days de Montpellier, le 9 octobre dernier. Il faut dire que les indicateurs présentés par les experts du climat sont de plus en plus alarmistes.
En chiffres, l’Afrique s’est réchauffée à un rythme moyen de 0,3°C entre 1991 et 2021, soit une augmentation plus rapide que celle enregistrée entre 1961 et 1990 qui s’établissait à 0,2°C. Simultanément, la montée des eaux s’est accélérée. Au bord de la Mer Rouge et dans le sud-ouest de l’Océan indien, elle avoisine aujourd’hui 4 millimètres par an. Entre inondations côtières et augmentation de la salinité des eaux souterraines, ce sont entre 108 et 116 millions d’Africains qui pourraient être directement impactés par l’augmentation du niveau de la mer d’ici 2030, selon l’Organisation météorologique mondiale (OMM).
Le Soudan du Sud, tout comme le Nigéria, la République démocratique du Congo (RDC), le Burundi et la République du Congo ont été durement frappés par les inondations en 2020 et 2021. Parallèlement, la superficie du lac Tchad est passée de 25 000 km2 dans les années 1960 à 1.350 km2 au début des années 2000.
À l’est du continent, les neiges du Kilimandjaro disparaissent à vue d’œil. Au Maghreb, la sécheresse impacte les cultures et provoque des incendies dévastateurs. «Ces cinquante dernières années, les sécheresses ont causé le décès d’un demi-million de personnes », rappelait le président kényan William Ruto lors de la COP27 de Sharm-el-Sheikh. Au niveau économique, ces épisodes de sécheresse ont globalement généré plus de 70 milliards de dollars US en perte sur le continent africain, d’après les estimations des Nations Unies.
Chronique d’une catastrophe hydrique annoncée
«L’aggravation de la crise et la famine qui menace la corne de l’Afrique, en proie à la sécheresse, montrent comment le changement climatique peut exacerber les chocs hydriques, menacer la vie de centaines de communautés, des pays et des régions entières », avertit Petteri Taalas, secrétaire général de l’Organisation Météorologique Mondiale (OMM). Les pays de l’est de l’Afrique affrontent actuellement la plus sévère sécheresse depuis 40 ans. Quelque 22 millions de personnes sont menacées par la faim en Éthiopie, au Kenya et en Somalie, selon l’ONU. La sécheresse altère les productions agricoles et menace la souveraineté alimentaire d’un certain nombre de pays africains. «Depuis 1960, la productivité agricole en Afrique a baissé de 34%, des suites du dérèglement climatique», précise Meryem Tanarhte, professeure et chercheuse en Sciences du Climat à l’Université Hassan II de Casablanca et professeure associée au Max Planck Institute for Chemistry, depuis les Water Days de Montpellier.
Le rapport État du climat en Afrique 2021, publié en septembre 2022 par l’OMM, révèle que le réchauffement climatique a globalement augmenté plus vite en Afrique que la moyenne mondiale depuis l’époque préindustrielle (1850-1900). L’atteinte de l’objectif de développement durable numéro 6 des Nations Unies (ODD6) pour «garantir l’accès de tous à l’eau et à l’assainissement et assurer une gestion durable des ressources en eau», s’éloigne chaque jour un peu plus et, selon toute probabilité avancée par les climatologues du GIEC, quatre pays africains sur cinq ne disposeront pas de ressources en eau gérées de manière durable, d’ici 2030.
«La hausse des températures, les canicules, les inondations massives, les cyclones tropicaux, les sécheresses prolongées et l’élévation du niveau de la mer entrainent des pertes en vies humaines, des dommages matériels et des déplacements de populations qui compromettent la capacité de l’Afrique à tenir ses engagements pour atteindre les cibles des objectifs de développement durable (ODD) de l’ONU », déclarait Josefa Leonel Correla Sacko, commissaire chargée de l’Agriculture, du Développement rural, de l’Économie bleue et de l’Environnement durable de la Commission de l’Union africaine (UA), fin 2022.
L’eau comme élément de discorde ?
«Au Cap-Vert, depuis quelques années, la sécheresse a entrainé des conflits entre éleveurs et agriculteurs», explique Hermenio Fernandes, président de la municipalité de Sao Miguel au Cap-Vert, depuis Montpellier. Au niveau continental, le grand barrage de la Renaissance sur le Nil a réveillé les tensions entre l’Égypte et l’Éthiopie et fait craindre un conflit armé. Les sécheresses qui s’accompagnent de famine – Corne de l’Afrique et Madagascar, notamment – provoquent aussi des migrations importantes, interafricaines ou internationales.
«L’augmentation de la demande en eau, conjuguée à des approvisionnements limités et imprévisibles, risque d’aggraver les conflits et les déplacements », indique l’OMM, qui précise par ailleurs que le stress hydrique pourrait provoquer la migration de 700 millions de personnes d’ici 2030.
«Nous manquons de fonds pour relever le défi de l’eau. Les deux tiers des habitants de Kiffa, la deuxième ville de Mauritanie, ne sont pas raccordés à l’eau et nous n’avons pas de système d’assainissement. Avec nos moyens, nous ne pouvons pas régler seuls ce défi hydrique», interpellait Jemoul Ould Keboud, maire de Kiffa, le 10 octobre dernier, à Montpellier. À ce jour, l’OMM estime que la moitié des pays africains n’ont pas les capacités de mettre en œuvre une gestion intégrée des ressources en eau.
La pression démographique devrait encore compliquer l’équation. «Entre 1900 et aujourd’hui, la demande en eau a été multipliée par six et l’on s’attend à ce qu’elle double d’ici 2050 (…) 40 % de la population mondiale sera confrontée à la pénurie d’eau d’ici 2050 », a ajouté Eric Servat, directeur du Centre international UNESCO sur l’eau «ICIREWARD Montpellier», en clôture des Water Days.
Alerte rouge au Maghreb !
«Cela fait près de sept ans que nous subissons la sécheresse. Nos réservoirs sont remplis à 25 % seulement. La situation est critique et demande des réponses à la hauteur de ces enjeux. Pour l’instant, on ne les voit pas venir malheureusement », regrette Akissa Bahri, ancienne ministre de l’Agriculture, des Ressources hydrauliques et de la Pêche de Tunisie.
L’impact sur l’agriculture est dévastateur et «toute l’eau est orientée vers la consommation, laissant des agriculteurs exsangues. Les contestations se multiplient. Quel choix leur reste-t-il sinon l’exode rural ? (…) Nous en sommes déjà à 20 000 morts. Sans réaction, nous courons à la catastrophe», s’alarme Akissa Bahri.
Au Maroc aussi, les sécheresses ont pris une ampleur jamais vue depuis deux ans, estime Meryem Tanarthe qui rappelle qu’un habitant d’Afrique du Nord consomme en moyenne 253m3 d’eau par an, soit «le plus faible taux de consommation au monde». «Un Subsaharien consomme 4 000m3 d’eau par an en moyenne, grâce aux zones équatoriales humides et c’est en Amérique du Sud que la consommation est la plus importante, avec 30 000 m3 par personne et par an», ajoute la chercheuse à l’Université Hassan II de Casablanca.
Au deuxième jour des Water Days, René Revol, vice-président délégué à la Gestion raisonnée, écologique et solidaire de l’eau et de l’assainissement de Montpellier-Méditerranée-Métropole, a rappelé que l’essentiel de l’eau potable n’était pas destiné à la consommation, mais à l’agriculture et aux toilettes… «Il faut changer d’état d’esprit et sortir d’une logique marchande de l’eau », a-t-il prévenu.
Au-delà de la rationalisation de l’eau potable, les pays du Maghreb misent sur l’innovation pour sortir du choc hydrique (drones, compteurs intelligents…). Le dessalement des eaux de mer est l’une des pistes empruntées dans le bassin méditerranéen. Pour l’ancienne ministre tunisienne de l’Agriculture, Akissa Bahri, «cela ne peut pas être le plan «A», mais une solution alternative, car cette méthode à un coût environnemental non négligeable. Par ailleurs, le coût du m3 d’eau à 1 dollar n’est pas du tout compétitif». Entre hausse de la demande et raréfaction des ressources, l’Afrique fait face à un défi hydrique qui menace les équilibres socioéconomiques de ses populations…
Avec La Tribune Afrique