Table-ronde sur l’état de siège au Nord-Kivu et en Ituri : une équation à multiples inconnues

Alors que la Monusco (Mission des Nations Unies pour la stabilisation en République Démocratique du Congo) prépare son départ et malgré la présence des contingents régionaux et les efforts diplomatiques ou encore l’évaluation de l’état de siège, la paix dans la partie Est de la République Démocratique du Congo passe pour une denrée rare, alors que s’ouvre ce lundi 14 août à Kinshasa une table-rond pour l’évaluation de l’état de siège, décrété depuis plus d’une année dans les provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu.
Plus de deux années après son instauration en mai 2023 pour lutter contre l’insécurité et les groupes armés non-étatiques au Nord-Kivu et en Ituri, l’état de siège fera l’objet d’une évaluation à partir de ce lundi 14 août à Kinshasa. Un moment particulièrement attendu de longue date au regard de la poursuite de l’insécurité dans l’Est du pays où la situation s’est plus détérioré qu’améliorée.
La situation a même entraîné des clivages au sein du Sénat et de l’Assemblée nationale où plusieurs voix, dont celles des élus de l’Est, ont demandé la levée de cet état de siège en raison, selon ces voix, de son improductivité par rapport aux attentes des populations. Plusieurs débats ont eu lieu sur cette situation d’insécurité et les commissions défense et sécurité des deux chambres du parlement ont longtemps demeuré sur la brèche pour poursuivre ces évaluations avec des parties prenantes à tous les niveaux.
Ces évaluations ont touché des domaines au-delà du volet strictement militaire et sécuritaire pour s’étendre sur d’autres aspects, notamment sociaux et financiers. Des révélations ont éclaté, notamment sur le détournement, à partir de Kinshasa, de fonds destinés au renforcement des capacités des forces de défense et de sécurité dans l’Est du pays ainsi que des conditions de vie des troupes au front.
Même le Président de la République avait pris le relais, après un travail similaire au niveau de l’Exécutif, pour organiser des consultations, d’abord avec les élus de l’Est, ensuite dans un panel plus élargi comprenant toutes les parties prenantes.
Il faut, cependant, noter que toutes ces consultations, qui ont identifié les atouts et les faiblesses des stratégies de pacification de l’Est et formulé des recommandations pour booster la riposte nationale, n’ont pas produit de résultats notables puisque, formellement, aucune mesure concrète n’a été prise pour implémenter ces résolutions et recommandations.

Politiciens traitres et armée minée
Tous les soupçons d’implication des politiciens dans cette situation d’insécurité n’ont abouti à aucune arrestation, à part le procès Mwangachuchu. Aucun responsable de détournement de fonds de l’armée n’a, non plus, été arrêté.
Même les poursuites contre des opposants accusés de collusion avec l’ennemi n’ont produit aucun effet. Au contraire, il s’avère que la situation de l’Est est de plus en plus instrumentalisée à des fins politiques pour disqualifier des adversaires ou se débarrasser de collaborateurs devenus indésirables.
À ce jour, en effet, aucune affaire liée à des soupçons d’atteinte à la sûreté de l’Etat ou de complicité avec le Rwanda n’a abouti malgré leur médiatisation. Au contraire, presque toutes les personnes arrêtées ont recouvré leur liberté, à part celles de l’opposition.
L’état de siège largement dépassé par le contexte sécuritaire en évolution, la RDC incapable d’asseoir sa cause dans l’imaginaire diplomatique
Par ailleurs, les dernières années ont été caractérisées par une reconfiguration, sans grand résultat, non plus, du dispositif de défense et de protection des civils. À commencer par la décision du Gouvernement d’accélérer le départ de la Monusco suite au constat d’un large déficit de résultat après plus de vingt ans de présence en RDC.
Alors que la RDC se trouvait à la croisée des chemins dans la recherche des solutions à l’hémorragie sécuritaire à l’Est, la situation s’est aggravée de plus belle avec la résurgence du M23 qui avait pourtant été vaincu depuis 2013. À la suite de ce mouvement rebelle s’est relancé le soutien rwandais jusqu’au point où même l’ONU constatera que cette rébellion détenait une puissance de feu et justifiait d’une organisation digne d’une armée régulière.
Et alors également que des preuves sont venues démontrer ouvertement la complicité de l’Ouganda aussi bien dans la résurgence du M23 que sa montée en puissance, le Gouvernement congolais est demeuré tétanisé et comme anesthésié par la traque conjointe des djihadistes ADF en Ituri et d’autres groupes armés. Si, en effet, l’Ouganda peut, aujourd’hui, se féliciter de la sécurité renforcée à sa frontière suite à l’éloignement, grâce à cette traque conjointe, des djihadistes ougandais vers les profondeurs du territoire congolais, la situation pour les populations congolaises n’a guère évolué. Au contraire, les observateurs se convainquent qu’autant qu’avec Kigali qui a trahi sa confiance et sa bonne foi, autant Kinshasa se trouve être le dindon d’une vaste farce de Kampala qui joue un double jeu.
Cette situation d’entour-loupe avait été flagrante lors de la prise de Bunagana (localité située dans la province du Nord-Kivu) par le M23 qui, pour réussir, avait bénéficié des facilités de l’Ouganda par le territoire duquel ces rebelles étaient passés.

EAC : la grande inconnue
Quand l’EAC cristallise la balkanisation de la RDC, la paix dans l’Est de la RDC demeure et demeurera encore lointaine.
Entre-temps, la configuration du dispositif sécuritaire de la RDC a évolué avec le déploiement des contingents régionaux de l’EAC dans le cadre d’un accord de cessez-le-feu en territoire du Nord-Kivu entre les FARDC et la coalition entre le Rwanda et le M23. La diplomatie menée jusque-là aura eu le mérite de faire taire les armes officiellement, mais pas de pacifier les protagonistes, surtout la partie rwando-M23 et ses soutiens dans les cénacles diplomatiques internationaux.
En effet, alors que Kinshasa continue de plaider la cause d’un agressé, la communauté internationale soutient, elle, que le pays est en proie à des conflits armés internes auxquels se sont immiscées des forces armées régulières étrangères. Même l’ONU, dont des enquêteurs ont documenté l’implication du Rwanda, voire de l’Ouganda, tient le même discours et demande aux Congolais de régler leurs problèmes ont poussant fort pour une négociation directe entre Kinshasa et les rebelles du M23, ce à quoi le Gouvernement s’oppose.
Last but not least, les forces d’interposition de l’EAC sont venues cristalliser une balkanisation de fait du territoire congolais en laissant au M23 la mainmise sur Bunagana qui n’est jamais retourné sous contrôle du Gouvernement congolais après le retour des rebelles à leurs positions initiales comme prévu.
Et les perspectives d’avenir sur cette situation ne se dessinent toujours pas, vu que les forces d’intervention ont annoncé, par leurs gouvernements interposés, leurs intentions de demeurer indéfiniment en RDC au motif de l’incapacité du Gouvernement congolais à assurer véritablement la sécurisation du territoire national et des populations congolaises.
À ce jour donc, le constat implacable est que l’état de siège, comme mesure visant à pacifier le Nord-Kivu et l’Ituri avec leurs administrations militaires a, depuis longtemps, été dépassée par la réalité et la nature de la situation sécuritaire sur leterrain. La preuve, pour cela, est la frustration des populations qui devaient en être bénéficiaire, mais qui continue de subir les affres des tueries, surtout de proximité.
Le programme de désarmement, démobilisation et réinsertion sociale, qui devait être facilité par cet état de siège n’a pas connu d’évolution notable. Au contraire, plusieurs vagues de rebelles qui avaient répondu à l’appel au dépôt des armes ont fini par regagner leurs maquis dans les collines.
Quelle suite donc attendre de l’évaluation d’un état de siège largement dépassé par la réalité de terrain ? Plusieurs observateurs sont, en effet, d’avis que cet exercice n’apporterait pas grand-chose de nouveau, vu que les nombreux débats et recommandations du parlement et les consultations du Chef de l’État ont dégagé les matériaux d’une stratégie sécuritaire différente. En attendant, la paix, elle, va encore demeurer une denrée lointaine pour les populations éplorées de l’Est de la RDC.

769 32