Des forces russes déployées depuis des semaines près de la frontière ukrainienne ont commencé à retourner dans leurs garnisons, a annoncé mardi le ministère de la Défense, alors que les Occidentaux craignaient une opération militaire imminente.
Econews avec
«Les unités des districts militaires du Sud et de l’Ouest qui ont achevé leurs tâches, ont déjà commencé à procéder au chargement sur les moyens de transports ferroviaires et routiers et commenceront à retourner vers leurs garnisons aujourd’hui », a annoncé le porte-parole du ministère, Igor Konachenkov, cité par les agences de presse russes.
Cette annonce est le premier signe d’un recul de Moscou dans la crise avec les Occidentaux qui dure depuis fin 2021. La Russie avait massé depuis décembre plus de 100.000 soldats aux frontières de l’Ukraine, faisant craindre à Kiev une invasion imminente de ce pays.
L’OTAN a ainsi parlé du «plus grand déploiement depuis la guerre froide », et de de nombreux Etats ont appelé leurs ressortissants à quitter l’Ukraine au plus vite, laissant présager le pire.
C’est une possibilité, peut-être plus réelle que jamais, que la Russie décide de procéder à une action militaire.
Les Etats-Unis ont, eux, martelé que la voie diplomatique restait ouverte, tout en répétant qu’une invasion pourrait être imminente, selon Ned Price, porte-parole du département des États-Unis : « C’est une possibilité, peut-être plus réelle que jamais, que la Russie décide de procéder à une action militaire. Avec de nouvelles forces russes continuant d’arriver à la frontière et organisées tout autour de l’Ukraine, une invasion peut débuter à tout moment. Pendant ce temps, nous essayons de parvenir à une solution diplomatique ».
Mardi 15 février, le chancelier allemand Olaf Scholz s’est rendu à Moscou pour persuader le président russe Vladimir Poutine de renoncer à une action militaire.
Une rencontre qui survient après sa visite à Kiev lundi, où il a apporté son soutien au président ukrainien : « Nous sommes prêts à avoir un dialogue sérieux avec la Russie sur les questions de sécurité européenne. L’OTAN et les Etats-Unis ont fait des propositions à Moscou, que nous soutenons. Nous attendons maintenant une réaction et une réponse de la Russie ».
Le président ukrainien Volodymyr Zelenskyy s’est ensuite adressé à la population pour calmer les inquiétudes, tout en appelant à la mobilisation : « On nous dit que l’invasion aura lieu le 16 février. Nous en ferons une journée de l’unité nationale. Le décret correspondant a été signé. Nous déploierons des drapeaux nationaux, nous mettrons des rubans jaune-bleu et nous montrerons que nous sommes unis, au monde entier ».
Les possibilités de pourparlers «loin d’être épuisées»
Pendant leur séjour à Moscou, le président Vladimir Poutine et son ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, ont proposé de prolonger et d’élargir le dialogue. Le maître du Kremlin semble penser que la diplomatie est loin d’avoir épuisé toutes les possibilités de compromis.
Les pourparlers «ne peuvent pas se poursuivre indéfiniment, mais je suggérerais de les poursuivre et de les élargir à ce stade», a ainsi déclaré Serguei Lavrov, notant que Washington a proposé de discuter de limites aux déploiements de missiles en Europe, de restrictions aux exercices militaires et d’autres mesures de confiance.
Moscou veut des garanties que l’OTAN ne permettra pas à l’Ukraine et à d’autres anciens pays soviétiques de devenir membres. Elle souhaite également que l’Alliance mette fin aux déploiements d’armes en Ukraine et retire ses forces d’Europe orientale. Le chef de la diplomatie russe a déclaré que les possibilités de pourparlers «sont loin d’être épuisées ».
Vladimir Poutine a lui fait remarquer que l’Occident pourrait tenter d’entraîner la Russie dans des «pourparlers sans fin» et a demandé s’il y avait encore une chance de parvenir à un accord. Sergueï Lavrov a répondu que son ministère ne permettrait pas aux États-Unis et à leurs alliés de faire obstruction aux principales demandes de la Russie.
Ce qui se négocie concrètement entre Poutine et les Occidentaux
Le jeu des montagnes russes continue dans la crise ukrainienne. En cette semaine, les déclarations alternent entre guerre imminente et règlement diplomatique. Les Occidentaux et Moscou ont ainsi évoqué lundi une chance d’issue diplomatique, les Etats-Unis estimant que Vladimir Poutine n’avait pas pris sa « décision finale » sur le déclenchement d’une invasion.
Les dirigeants de plusieurs pays de l’Otan se sont déplacés à Moscou et à Kiev ces derniers jours pour tenter d’enrayer la crise ukrainienne. Mais qu’est-ce qui est mis sur la table des négociations ? Le contenu des échanges reste très secret, mais un ex-ambassadeur et une chercheuse en géopolitique russe nous ont donné quelques pistes.
«Désescalade», «discussions», «diplomatie»… On ne sait pas bien ce qui compose réellement les entretiens entre Vladimir Poutine et ses homologues occidentaux sur la crise ukrainienne ces dernières semaines. Emmanuel Macron parle de «lourdes conséquences» en cas d’«agression militaire», Joe Biden assure «qu’aucune option n’est exclue», mais rien d’ouvertement concret. «Au moindre risque majeur, nous prendrons des décisions immédiates», a également déclaré Jean-Yves Le Drian, ministre français des affaires étrangères, lundi 14 février, au micro de «C à Vous» sur France 5, estimant que «tous les éléments» étaient réunis pour que les forces russes mènent «une offensive forte» en Ukraine.
« Si on énonce les différentes gradations de sanctions, les Russes peuvent interpréter jusqu’où ils peuvent aller sans prendre trop de risques. Donc, il y a toujours un flou», précise Michel Duclos, ancien ambassadeur en Syrie et en Suisse, désormais conseiller spécial à l’Institut Montaigne.
Toutefois, certains sujets majeurs sont nécessairement au cœur des discussions. On fait le point sur ce qui s’échange vraiment à la table des négociations avec Vladimir Poutine.
Préoccupation principale du président russe, l’intégration potentielle de l’Ukraine à l’Otan est l’épicentre de cette crise. La Russie souhaite par-dessus tout éviter « l’entrée de l’Ukraine dans l’Otan et l’armement des pays appartenant à l’ex pacte de Varsovie», explique Michel Duclos. Le pays préfère conserver une zone tampon entre son territoire et les territoires de l’Otan. «La question qui se pose, c’est : faut-il ou non armer l’Ukraine ? »
La Russie presse ses troupes à la frontière militaire ukrainienne. Pourtant, les pays de l’Otan prennent la direction contraire. Les Américains ont ordonné le retrait de leurs forces militaires sur place, mais ont envoyé des armes. Une intervention militaire directe semble alors écartée pour contrer la Russie.
«L’Ukraine ne fait pas partie de l’Otan, donc l’Otan n’a pas à intervenir. De ce fait, pas un militaire américain n’ira se battre en Ukraine », détaille Carole Grimaud Potter, enseignante-chercheuse en géopolitique et fondatrice du think tank CREER (Center for Russia and Eastern Europe Research) à Genève. Elle poursuit : «Donc de quoi aurait peur la Russie ? Les Américains arrivent en Pologne pour rassurer les pays alliés de l’Otan. En aucun cas pour combattre. Sauf si invasion d’un pays de l’OTAN, là, oui, nous entrerons dans une autre dimension. Mais tant que ça reste en Ukraine, on n’interviendra pas ».
Exit donc les menaces militaires. «Tout ce que l’on peut apporter aux Russes, ce sont des sanctions économiques ».
Couper la Russie de l’économie mondiale
La possibilité de couper la Russie du réseau Swift semble avoir fait partie des options sur la table. Le réseau Swift est un système de traitement des opérations bancaires internationales, utilisé pour la plupart des virements internationaux aujourd’hui. En 2014, déjà, lors de l’annexion de la Crimée par la Russie, l’Union européenne avait envisagé l’exclusion du pays de ce réseau.
«Cette possibilité semble écartée parce que cela provoquerait de trop grands problèmes pour les compagnies européennes, canadiennes, pour l’économie globale », tempère Carole Grimaud Potter.
L’Iran est pourtant exclu du réseau Swift, ce recours n’est donc pas entièrement impossible. Pour la chercheuse, il y a d’autres sanctions financières plausibles : « Il y a aussi une autre sanction, qui serait de poser des restrictions sur la signature de contrats en dollars avec la Russie, comme avec l’Iran ». Ce type de sanctions financières isolerait immanquablement le pays.
Carole Grimaud Potter ajoute à cela des «sanctions sur les technologies», plus précisément les «microprocesseurs », nécessaires dans les appareils électroniques : «On interdirait aux gros pays, notamment à Taïwan, de fournir à la Russie ces microprocesseurs. Cela pourrait être très significatif pour la Russie ».
L’épineux sujet de l’énergie
Autre sujet central dans les négociations avec la Russie : l’énergie. Et notamment du côté allemand. En décembre dernier déjà, la cheffe de la diplomatie allemande Annalena Baerbock a menacé d’arrêt le Nord Stream 2 en cas d’escalade. Ce gazoduc alimente l’Allemagne et toute l’Europe. Cette sanction aurait un impact sur la fourniture énergétique européenne mais surtout sur l’économie russe.
Dans l’histoire du gaz, on voit qu’elle a créé de très gros contrats avec la Chine il y a quelques semaines, pour 30 ou 35 ans, explique Carole Grimaud Potter. L’approvisionnement de gaz en Chine pourrait peut-être compenser un peu la perte de marché européen ».
Ces «solutions de contournement» pourraient suffire à absorber les sanctions. «Je crois que si ces menaces étaient si terribles que cela, la Russie aurait déjà donné des gages de bonne volonté dans les négociations…»