L’Assemblée nationale du Sénégal a débuté mardi l’examen d’un projet de loi d’amnistie controversé, portant sur les faits liés aux manifestations politiques meurtrières entre 2021 et 2024, en pleine crise autour du report de la présidentielle.
L’amnistie est un des éléments de la réponse du président Macky Sall à la crise provoquée par l’ajournement de la présidentielle, initialement prévue le 25 février. Ce report, décidé par le chef de l’Etat, a causé un choc dans un pays présenté comme l’un des plus stables d’une Afrique de l’Ouest secouée par les coups de force. Le pays est depuis dans l’attente d’une nouvelle date de scrutin.
On ignore si Ousmane Sonko, principal opposant actuellement détenu et dont la candidature a été invalidée en raison d’une condamnation définitive pour diffamation, ou si le candidat à qui il a depuis apporté son soutien, Bassirou Diomaye Faye, lui aussi détenu pour des «actes de nature à troubler l’ordre public », seraient concernés par l’amnistie.
Le texte, initié par le président et adopté en Conseil des ministres il y a une semaine, est examiné par la commission des lois pour être ensuite soumis au vote des députés en séance plénière, peut-être mercredi, a indiqué à l’AFP une source parlementaire. Selon un document authentifié par la même source, seraient amnistiés « tous les faits susceptibles de revêtir la qualification d’infraction criminelle ou correctionnelle commis entre le 1er février 2021 et le 25 février 2024, tant au Sénégal qu’à l’étranger, se rapportant à des manifestations ou ayant des motivations politiques ».
Ces manifestations, liées aux déboires judiciaires d’Ousmane Sonko et au report du scrutin, ont donné lieu à des centaines d’arrestations d’opposants, fait des dizaines de morts et provoqué d’importantes dégradations matérielles comme le saccage de l’université de Dakar. Le projet de loi, élaboré selon la présidence dans un but «d’apaisement du climat politique et social », couvre une période et des faits, mais n’est pas nominatif.
Selon Moussa Sarr, un avocat qui suit les dossiers de plusieurs dizaines d’opposants emprisonnés, les personnes arrêtées dans le cadre des manifestations seraient libérées dès la publication de la loi au journal officiel, et les poursuites seraient abandonnées. De fait, plusieurs centaines d’opposants ont été remis en liberté provisoire depuis mi-février par les autorités dans le but, selon elles, de «pacifier l’espace public ».
«Une seconde mort»
Une grande partie de l’opposition s’est prononcée contre le projet d’amnistie, dénonçant un «déni de justice» et une manœuvre pour assurer l’impunité aux forces de sécurité impliquées dans la répression, ainsi que celle de leurs responsables, y compris gouvernementaux.
«Les victimes, les familles, le Sénégal méritent que la lumière soit faite. La vérité doit précéder le pardon. C’est une seconde mort, un second crime que d’octroyer l’impunité sans la vérité », a dénoncé lundi un des candidats à l’élection, Thierno Alassane Sall. Le projet ne fait pas non plus l’unanimité au sein du camp présidentiel, qui dispose d’une majorité précaire à l’Assemblée.
Amnesty International, dans un communiqué publié lundi, voit dans le projet un «affront aux familles des victimes » et une «prime troublante à l’impunité ». Si la loi permet de «mettre un terme aux poursuites judiciaires engagées contre les personnes détenues arbitrairement dans le cadre des manifestations, elle ne permet pas de poursuivre les personnes soupçonnées d’avoir une responsabilité pénale dans la répression meurtrière des manifestants. Ce n’est pas la justice », a déclaré Seydi Gassama, directeur exécutif d’Amnesty International Sénégal.
Dans une tribune publiée vendredi, plus de 200 universitaires ont qualifié le projet «d’invite à l’amnésie». «Effacer les crimes du passé reviendrait à bafouer la mémoire des victimes et à fragiliser les fondements de l’Etat de droit.»
Le président Sall a reçu lundi les conclusions d’un «dialogue national» préconisant d’organiser la présidentielle le 2 juin et suggérant que M. Sall reste en fonction jusqu’à l’investiture de son successeur, soit plus de deux mois après l’expiration de son mandat.
Le chef de l’Etat, élu en 2012 et réélu en 2019 mais non candidat en 2024, a indiqué qu’il comptait demander l’avis du Conseil constitutionnel sur ces deux points, alors que l’opposition réclame toujours une élection avant le 2 avril.
Avec VOA Afrique