Défendue dur comme fer par des leaders du continent, la banque africaine de l’énergie devrait entrer en service d’ici mi-2024, avec un siège dans l’une des économies les plus dynamiques du continent. Au Caire, la Banque africaine d’import-export (Afreximbank) et l’Organisation des producteurs de pétrole africains (APPO) en livrent quelques détails.
Suscité au lendemain de la COP 26 suite à la décision des institutions et pays occidentaux de stopper progressivement leurs financements dédiés aux énergies fossiles en Afrique, le projet de banque africaine de l’énergie a été officiellement annoncé en mai 2022. Dès lors, les initiateurs – l’Organisation des producteurs de pétrole africains (APPO) et la banque africaine d’import-export (Afreximbank)- ont été clairs sur le motif d’un tel projet.
«Nous traversons une période difficile où nous devons nous efforcer de trouver le juste équilibre entre les impératifs d’atténuation du changement climatique et l’urgence d’éviter les bouleversements sociaux résultant de conditions économiques et financières de plus en plus difficiles en Afrique», déclarait alors Benedict Oramah, président d’Afreximbank.
Aujourd’hui, plus d’un an plus tard, les choses se précisent. «Nous avons fini les négociations sur le traité d’établissement de la banque, la charte de la banque et l’agrément du pays hôte du siège de la banque», révèle à La Tribune Afrique Dr Omar Farouk Ibrahim, secrétaire général de l’APPO qui participe activement à la Foire du commerce intra-africain qui se tient du 9 au 15 novembre au Caire, en Egypte et qui accueille notamment de nombreuses entreprises pétrolières et gazières du continent. « Il reste à présent, poursuit-il, que les pays membres ratifient le traité, car la banque sera supranationale, une institution financièrement indépendante et la ratification par les pays est la seule manière d’avoir ce genre d’institution».
« Une question de vie ou de mort »
Lors d’un échange sur la transition énergétique et l’industrialisation du continent, Dr Ibrahim a défendu ce projet de banque. Le leader nigérian regrette que les préoccupations de l’Afrique au sujet de la transition énergétique «se résument la plupart du temps à la recherche de l’argent». «Nous sommes à attendre qu’on nous donne des sommes dérisoires, alors que nous avons plus de 125 milliards de barils de pétrole brut prouvé, plus de 650 trillions de pieds cubes de gaz naturel, tandis que 900 millions d’Africains qui n’ont accès à aucune forme d’énergie moderne et plus de 600 millions n’ont pas accès à l’électricité», déplore Omar Farouk Ibrahim.
«Comment pouvons-nous donc abandonner ces ressources parce que le monde n’en n’est pas intéressé ? Qui devrait être intéressé par le développement de ces ressources et sortir nos populations la pauvreté énergétique ?», interroge-t-il, soulignant que l’APPO n’est pas contre la transition énergétique et la contribution de l’Afrique, mais estime que l’approche du continent doit être différente, parce que ce dernier n’est pas à l’origine de l’état de la planète, ne contribuant qu’à moins de 4% des émissions de carbone. «C’est la raison pour laquelle nous mettons en place cette banque africaine de l’énergie. L’accès à l’énergie en Afrique est une question de vie ou de mort », a-t-il ajouté.
Huit potentiels pays hôtes
La coordination du projet devrait se réunir d’ici fin mars 2024, pour désigner de manière définitive le pays hôte du siège de la future institution. Huit pays sont en lice, selon nos informations : l’Algérie, le Bénin, le Nigeria, l’Egypte, la Côte d’Ivoire, l’Afrique du Sud et le Ghana. Le choix se fera par consensus en fonction des cartes jouées par chacun de ces pays pour peser dans la balance.
L’Afrique et l’Occident, deux camps opposés face au challenge énergétique ?
L’annonce de l’arrêt du financement des énergies fossiles en Afrique avait résonné comme un coup de tonnerre chez les pays africains. Il ne passait pas un rendez-vous autour du secteur sans que les dirigeants du continent, officiels comme hommes d’affaires, ne montent au créneau. Le Secrétaire général de l’Organisation des pays producteurs et exportateurs de pétrole (Opep), Mohamed Barkindo, alertait même sur la nécessité d’éviter «une tragédie aux proportions inimaginables» sur un continent retardataire en matière de développement.
Au moment où l’industrialisation du continent apparait comme une priorité absolue, plusieurs experts se sont souvent offusqués de ce qu’il est demandé aux pays africains dans leur condition difficile d’abandonner les hydrocarbures, alors que depuis la guerre russo-ukrainienne, l’Europe a gonflé ses importations d’Afrique, particulièrement pour le gaz et le charbon. La demande mondiale pour ces ressources fossiles devrait « atteindre un pic dans les prochaines années », selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE). De plus, les experts africains pointent le fait que les Africains sont pressés de faire tourner leurs usines grâce aux énergies vertes, tandis que plus de 50% du mix énergétique industriel de l’Union européenne (UE) est encore constitué des énergies fossiles, selon Eurostat.
«Nous n’avons pas de problème avec la transition énergétique. Au contraire, nous la jugeons nécessaire. Cependant, rien ne garantit que les énergies renouvelables au stade où nous en sommes auront les mêmes résultats, au regard des immenses besoins du continent», explique Omar Farouk Ibrahim. «Nous ne pourrons pas continuer à être des importateurs de tout ce que nous consommons», tranche-t-il, soulignant qu’il existe «des technologies qui nous permettront de réduire les émissions de carbone ou de les éliminer».
Il rejoint ainsi le raisonnement du ministre des hydrocarbures du Congo, Bruno Itoua. «Nous savons produire l’énergie fossile propre. Nous savons faire de l’énergie avec le pétrole. Nous sommes en train de développer un projet de culture de ricin avec Eni pour produire des biocarburants. Nous sommes capables de séquestrer du carbone avec des forêts », défendait-il lors d’un entretien avec LTA en janvier 2022 alors qu’il prenait la présidence tournante annuelle de l’Opep.
La communauté internationale, même si elle se montre intransigeante au niveau officiel, sait bien que le continent africain connait une situation assez particulière. D’ailleurs, les assemblées annuelles du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale en octobre à Marrakech au Maroc ont questionné, lors d’un panel, la difficile équation d’une industrialisation verte de l’Afrique avec on stage -entre autres- Aliko Dangote, l’homme le plus riche du continent qui est aussi à la tête de l’une des plus grandes raffineries de pétrole au monde. Il assurait que son complexe industriel est alimenté grâce au gaz et au renouvelable. L’essentiel pour lui à ce stade : «nous assurer qu’en Afrique, nous produisons ce que nous consommons ».
La COP 28, l’autre tribune pour défendre la vision d’un continent
La transition énergétique, l’industrialisation et le financement des énergies fossiles en Afrique sera de nouveau évoqué à la COP 28 début décembre à Dubaï. Pour Afreximbank, ce sera encore l’occasion de porter les plaidoyers du continent sur ces sujets. «Quand on regarde le potentiel du Bassin du Congo et de toutes les ressources stratégiques dont nous disposons dans nos pays, on se rend bien compte que la transition énergétique ne pourra se faire sans l’Afrique», constate Helen Brume, des projets et du financement basé sur les actifs. Et d’ajouter : «Nous devons négocier dans une position de force et devons saisir cette opportunité lors de la COP 28 ».
Quoi qu’il en soit, les échanges se poursuivent en vue du lancement de la banque africaine de l’énergie. Les 19 pays membres de l’APPO -dont le Sénégal qui a lancé toute une stratégie de développement pétrolier et gazier suite à ses importantes découvertes- auront bientôt une institution financière qui promet de ne pas mettre de côté les énergies renouvelables.
Avec La Tribune.fr