Pour les terroristes de M23 et leur parrain, le Rwanda, les massacres de Kishishe et de Bambo ont été de trop. Devant les évidences brandies par Kinshasa, confirmant l’implication des troupes rwandaises derrière ces tueries en masse d’une centaine de personnes dans le territoire de Rutshuru, la communauté internationale a fini par laisser tomber ses masques. Fini ce soutien aveugle et compromettant au Rwanda jusqu’à le couvrir des crimes qu’il commandite, depuis une vingtaine d’années, en République Démocratique du Congo. Visiblement, le président Paul Kagame n’est plus en odeur de sainteté avec ses parrains occidentaux. Tous commencent à lui tourner le dos, à l’instar du président américain, Joe Biden, qui a refusé de le recevoir en tête-à-tête à Washington, lors du dernier Sommet USA-Afrique. Paul Kagame est plus qu’isolé. Et comme s’il n’en suffisait pas, l’Union européenne le presse de mettre fin à son soutien aux terroristes du M23. Au sein de l’Union européenne, on tend vers l’unanimité autour de cette position. Après Bruxelles, Paris a pris position, exigeant à Kagame la fin de son soutien au M23. Berlin a emboîté le pas. A Londres, la Grande-Bretagne ne semble plus être disposé à couvrir le président Paul Kagame. Bref, à Kigali, c’est la fin d’un cycle.
Enfin, la France est revenue à la raison. Plus question, se dit-on à Paris, de fermer les yeux face aux crimes atroces que commettent les troupes agissant derrière les terroristes de M23, dans la partie Est de la RDC. Les massacres de Kishishe et de Bambo qui ont fait plus d’une centaine de mort ont été la petite goutte qui a fait déborder le vase, poussant la communauté internationale à reconsidérer ses rapports envers le Rwanda.
Lors d’un point de presse, la porte-parole du Quai d’Orsay a exhorté Kigali à respecter les processus de Luanda et de Nairobi visant à mettre fin aux hostilités au Nord-Kivu où l’ancienne rébellion a repris les armes il y a un an.
C’est la première fois que la France évoque ce lien entre le M23 et le Rwanda. Une véritable évolution de la ligne diplomatique. Jusqu’ici, la France avait plutôt opéré ces dernières années un rapprochement avec les autorités de Kigali. Le président Macron a assez vite voulu se distinguer de ses prédécesseurs. C’est pour ça que Paris a notamment soutenu la candidature de Louise Mushikiwabo à la tête de la Francophonie en 2018. À cette époque, elle était la ministre rwandaise des Affaires étrangères.
C’est aussi dans ce sens-là qu’a été mise en place la commission Duclert, chargée de faire la lumière sur le rôle de la France lors du génocide des Tutsi au Rwanda en 1994. Rapport qui a établi «un ensemble de responsabilités lourdes et accablantes» de Paris. Et puis surtout, il y a eu un voyage officiel du président Macron au Rwanda en 2021.
À cela s’ajoute la présence de l’armée rwandaise au Mozambique pour lutter contre les jihadistes au Cabo Delgado, où la France a des intérêts avec un projet d’exploitation gazier pour l’entreprise Total.
«Une anticipation du rapport des experts de l’ONU»
Un chercheur spécialiste de la zone explique ce changement de cap comme : «Une anticipation du rapport des experts de l’ONU sur la situation dans l’Est de la RDC ». Ce rapport, attendu dans les prochaines heures, ajoute cet analyste, doit pointer une nouvelle fois le soutien du Rwanda au M23. Une nouvelle fois puisqu’en août un premier rapport avait déjà évoqué ce lien.
Ce nouveau document contiendrait des preuves «accablantes », toujours selon les spécialistes de la région. Et ce rapport est déjà depuis plusieurs jours aux mains des diplomates à New York. On peut donc en déduire qu’il s’agit d’un coup de pression pour la diplomatie occidentale.
Parce que jusqu’ici finalement, le seul pays à avoir affiché clairement sa position, ce sont les États-Unis. La diplomatie américaine a plusieurs fois pointé le lien Rwanda/M23 et a plusieurs fois officiellement demandé que ce soutien cesse.
Quid des autres chancelleries
Un rapport qui vient aussi appuyer les efforts diplomatiques congolais de ces derniers mois. «Voyons si les autres vont suivre aussi », s’interroge un expert. Les autres, ce sont surtout la diplomatie européenne et le Royaume-Uni.
Du côté du Parlement européen, un pas a déjà été fait il y a quelques semaines. Fin novembre, il avait officiellement demandé au «Rwanda de ne pas soutenir le M23 ». Mais tout est dans la formulation, ce n’était pas une condamnation comme celle de la France. En revanche, du côté de l’Union européenne, et notamment de la Commission, il n’y a pas eu encore de déclaration en ce sens.
Le Royaume-Uni de son côté, qui fait partie des voix importantes de la diplomatie occidentale, a des intérêts importants avec Kigali. Les deux pays ont conclu un accord controversé qui prévoit que le Rwanda accueille les migrants arrivés illégalement au Royaume-Uni le temps d’examiner leur demande d’asile. Et lundi, la justice britannique a reconnu la légalité de cet accord. On imagine donc que ce sera difficile pour le Royaume-Uni de condamner le soutien rwandais au M23.
Après Paris, Berlin apporte de l’eau au moulin
Dans l’Union européenne, la mise à l’écart du Rwanda gagne du terrain. Après la France, l’Allemagne est également monté au créneau, pressant le Rwanda à cesser tout appui aux terroristes de M23. Bien avant, c’est Washington qui avait appelé ouvertement Kigali à rompre tout contact et soutien militaire avec les terroristes de M23.
A ce propos, Christoph Retzlaff, directeur Afrique au ministère allemand des Affaires étrangères, a appelé mardi le Rwanda à mettre immédiatement fin à son soutien au M23.
«La situation à Rutshuru dans l’Est de la RDC reste désastreuse car le cessez-le-feu n’est pas respecté et le M23 ne met pas en œuvre son annonce de retrait. L’Allemagne s’attend à ce que le Rwanda cesse immédiatement tout soutien au M23 et contribue à une solution rapide à la crise», a-t-il déclaré.
Selon Berlin, «les atrocités commises contre la population civile à Kishishe et Bambo sont épouvantables et doivent faire l’objet d’une enquête exhaustive et indépendante dans le plus bref délais ».
Pour rappel, pendant deux jours, les 29 et 30 novembre, des combattants appartenant à la rébellion du Mouvement du 23-Mars (M23) ont rassemblé et tué des villageois autour de Kishishe, un village de l’est de la République démocratique du Congo. Selon une enquête préliminaire des Nations unies, 131 civils, dont des enfants et des femmes, ont été massacrés.
Econews avec RFI