Pour son premier voyage dans la région des Grands Lacs, le tout nouveau président kenyan, William Ruto, a choisi la République Démocratique du Congo. Arrivé dimanche soir à Kinshasa, c’est le lundi matin qu’il a rencontré son homologue congolais, Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo. Que retenir de ces 24 heures de Ruto à Kinshasa ? Deux mots les résument : sécurité et business.
A l’instar de son prédécesseur Uhuru Kenyatta, le nouveau président du Kenya, William Ruto, s’inscrit dans la même lignée en maintenant le pont entre Nairobi et Kinshasa.
C’est donc sans surprise que, pour son premier déplacement dans la région des Grands Lacs, le président a choisi la RDC qu’il a atteint, dimanche soir. Selon la présidence congolaise, cette visite officielle s’inscrivait dans le cadre du processus de Nairobi, au regard de la dégradation de la situation sécuritaire et humanitaire dans la province du Nord-Kivu où le Rwanda continue à attaquer la RDC sous couvert du M23.
C’est le lundi, dans la journée, que le président kenyan s’est entretenu, en aparté, avec son homologue congolais, Félix Tshisekedi, suivie d’une rencontre bilatérale entre les délégations des deux Etats.
Le communiqué final qui a sanctionné ce séjour de travail du président kenyan à Kinshasa indiquait que les deux Chefs d’Etat ont échangé sur les questions de coopération bilatérale et sur la situation sécuritaire prévalant dans l’Est de la RDC.
S’agissant de la coopération bilatérale, Félix Tshisekedi et William Ruto se sont félicités de l’excellence des relations d’amitié qui existe entre la RDC et la République du Kenya depuis de longues années et ont réaffirmé leur volonté de les consolider davantage au profit de leurs peuples respectifs. Plus particulièrement dans les domaines de la Défense et Sécurité, de l’Agriculture, de l’Energie, des Infrastructures, des Finances, de l’Administration publique et du Commerce.
A cet effet, relève le communiqué conjoint, les deux Chefs d’Etat ont convenu d’instruire leurs gouvernements respectifs de mettre en place un comité mixte qui va réfléchir sur les voies et moyens de renforcer cette coopération et de leur faire des propositions pertinentes dans le plus bref délai.
Concernant la situation sécuritaire dans l’Est de la RDC, les deux Présidents de la République ont réaffirmé leur détermination de mettre fin à l’insécurité dans cette partie du territoire congolais le plus rapidement possible et de travailler ensemble avec leurs pairs de la communauté d’Afrique de l’Est afin de créer les conditions optimales d’une coopération multilatérale au profit des peuples de la région.
Face à la presse, le président kenyan est revenu sur les motivations profondes de sa visite en RDC. «Ma visite est dans le cadre du problème de la sécurité qui endeuille notre région (…) C’est l’occasion de venir renforcer les relations diplomatiques que nous avons entre les deux pays, le Kenya et la RDC », a-t-il déclaré, répondant à une question de la presse.
De l’avis du chef de l’Etat kenyan, Kinshasa peut compter sur Nairobi dans les dures épreuves qui rongent sa partie Est. A ce propos, le président William Ruto a confirmé son engagement pour soutenir la RDC dans ses efforts tendant à maintenir la paix. Ce qui se traduit, selon lui, par l’engagement de son pays au sein de la Force régionale de la Communauté d’Etats de l’Afrique de l’Est, marqué spécialement par le déploiement des troupes kenyanes à partir de Goma, dans le Nord-Kivu.
De son côté, le Président Félix Tshisekedi s’est félicité de la promptitude avec laquelle le Kenya s’est mobilisé pour venir au secours de la RDC, victime d’une agression injuste et barbare de la part du voisin rwandais.
Au-delà des questions sécuritaires, le Chef de l’Etat congolais a fait remarquer que la présence à Kinshasa de son homologue kenyan est le symbole de l’excellence des relations entre les deux pays.
«Ces relations sont appelées à s’améliorer et à se consolider davantage parce que nous sommes d’abord de la même région économique et nous avons les mêmes intensions, les mêmes engagements par rapport à nos populations respectives; mais également à notre continent qui, comme vous le savez, a lancé depuis le début de l’année la zone de libre-échange », a rappelé le Président Tshisekedi. Et d’ajouter : «Nous avons donc comme mission de rendre ce projet viable, d’accroître les échanges entre Etats africains pour lutter contre les fléaux que sont la pauvreté, l’analphabétisme, le chômage et bien d’autres difficultés et surtout celle qui est liée au réchauffement climatique qui a des conséquences néfaste ici en Afrique ».
Le business en fond de toile
Si le Kenya porte autant d’intérêt sur la RDC, il y a de gros enjeux économiques qui sont en jeu. A Nairobi, on estime que la situation de guerre qui sévit dans la ceinture orientale de la RDC impacte négativement l’économie congolaise qui estime un manque à gagner annuel de plus d’un milliard de dollar américain. Une situation désastreuse que le président Ruto veut inverser. Ce n’est donc pas pour rien que Nairobi a été aussi prompt à dépêcher ses militaires en RDC dans le cadre de la Force régionale de l’EAC. En effet, pour le Kenya, la paix dans la partie Est de la RDC est un impératif pour relancer son économie.
Depuis quelque temps, le Kenya dispose de gros intérêts économiques en RDC, marqués spécialement par l’acquisition de la BCDC et de la TMB par deux grandes institutions bancaires kenyanes. Des indiscrétions qu’une troisième banque kenyane est très avancée dans ses démarches pour s’implanter en RDC. Autant de motivations qui poussent Nairobi à garantir son soutien sécuritaire à Kinshasa.
Preuve qu’entre Kinshasa et Nairobi il y a une importante relation d’affaires qui se met en place, la Cour constitutionnelle vient d’annuler la décision de vente aux enchères de l’imposant immeuble de la BCDC, patrimoine immobilier du groupe kenyan Equity. Ce véto de la Cour constitutionnelle à un jugement rendu précédemment par le Tribunal de commerce de Kinshasa/Gombe a fait une victime : Jean-Pierre Bemba, leader du MLC et grand allié du Président Félix Tshisekedi.
C’est dire qu’entre rassurer le Kenya et protéger les intérêts du chairman du MLC, Kinshasa a fait son choix.
Hugo Tamusa