La rencontre Tshisekedi-Kamerhe du 28 juin, quatre jours après que Vital Kamerhe eût été acquitté par la Cour d’appel de Kinshasa-Gombe donne lieu à de multiples spéculations sur l’avenir politique imminent de l’ancien directeur du cabinet du chef de l’Etat. Sa nomination éventuelle en qualité de chef du gouvernement est mise en exergue par un lobby organisé sur les réseaux sociaux. Pourtant, les raisons ne manquent pas d’affirmer le contexte ne joue pas en sa faveur.
Quatre jours à peine après son acquittement par la Cour d’appel de Kinshasa-Gombe, Vital Kamerhe était reçu à la Cité de l’Union africaine par le chef de l’Etat. Les images de son entrevue avec Félix Tshisekedi dans une atmosphère détendue et abondamment partagées sur les réseaux sociaux et les services de la Présidence montrent les deux hommes en parfaite harmonie, comme si l’affaire du détournement de quelque 57 millions de dollars US du programme dit des 100 jours n’avait jamais existé.
Une affaire qui avait amené à la condamnation de l’ancien directeur du cabinet du Président de la République à 20 ans de prison, réduits à 13 ans, pour aboutir, enfin, à une liberté provisoire. L’entrepreneur libanais Samih Jammal (83 ans), son principal co-accusé, condamné à la même peine a, depuis, regagné son pays.
Il n’en fallait pas plus pour qu’un influent lobby pro-Kamerhe n’inonde la toile de l’intention prêtée au chef de l’Etat de nommer Kamerhe à la Primature, certains allant jusqu’à annoncer la probable démission du premier ministre Sama Lukonde et son gouvernement dès le 30 juin.
Pourtant, une analyse froide et objective laisse entrevoir quelques raisons pour lesquelles Vital Kamerhe, leader de l’Union pour la Nation congolaise, ne peut être nommé comme chef du gouvernement.
Kamerhe, un homme «correct…»
Premièrement, l’acquittement-surprise de l’ex-Dircab n’est pas accepté dans l’opinion en général. Il n’échappe à personne qu’il s’agit d’un verdict purement politique. Elle en veut pour preuve cette déclaration faite à Goma par Félix Tshisekedi en personne qui, à une question du journaliste Christian Lusakweno, avait répondu que Vital Kamerhe est un homme correct, qui est appelé à jouer un grand rôle dans ce pays. Cette déclaration, formulée alors que l’intéressé venait d’être condamné, préfigurait déjà l’issue du procès en appel, la première chambre ayant été dessaisie du dossier.
Deuxièmement : pour le président Tshisekedi, nommer Kamerhe à cette haute charge reviendrait à s’aliéner la fidélité de ses proches qui se recrutent pour la plupart dans les milieux luba, et qui constituent l’essentiel de son cabinet. L’on se souvient encore des témoignages-massues apportés au procès par ses conseillers Bilomba et Kazadi, le premier chargeant l’ancien Dircab du détournement de pas moins de 400 millions de dollars us, les 57 millions pour lesquelles il était poursuivi ne constituant que la pointe visible de l’iceberg ! Sans omettre une administration autocratique du cabinet présidentiel.
Troisièmement : il n’est pas certain non plus que les partenaires internationaux qui portent la politique économico-financière de l’Etat congolais à bout de bras accepte les yeux fermés la nomination d’une personnalité, certes populaire auprès d’une frange de la population, mais qui restera longtemps le symbole de l’impunité, d’une justice dévaluée et aux ordres.
Quatrièmement : il n’est pas certain non plus que le retour éventuel de Kamerhe dans le cercle immédiat de Tshisekedi emportera l’adhésion unanime des parlementaires qui composent la coalition hétéroclite de l’Union sacrée de la Nation s’alignent au garde-à-vous et saluent dans l’euphorie le fait de voir Kamerhe rejouer les grands rôles.
Le nœud gordien
De ce qui précède, il n’est pas hasardeux d’avancer que le chef de l’Etat se trouve face à dénouer un nœud gordien, entre la satisfaction de son partenaire co-fondateur de Cap pour le changement (CACH), par ailleurs candidat à la présidentielle de 2023 aux termes de l’Accord de Nairobi, et la concrétisation de sa propre candidature à la même présidentielle, sur la base de programmes qui peinent à décoller, et un appui des irréductibles de l’UDPS qui ne jurent par un second mandat de leur leader.
Un politologue qui a requis l’anonymat estime qu’il reste à Félix Tshisekedi des ouvertures qui lui permettraient de ménager son ancien Dircab : « Puisqu’il est exclu de voir Kamerhe accéder à la Primature, le président, par son pouvoir discrétionnaire, a la possibilité de le nommer au mieux, comme son conseiller spécial en charge de la sécurité, ou coordonnateur de l’Union sacrée et au pire, comme ambassadeur… ».
Il en veut pour preuve le fait que l’Union sacrée de la Nation reste encore à ce jour une structure informelle, sans base légale. Une coalition qui, au fil du temps, se lézarde en raison des dissensions internes, mises en exergue par les ambitions qui se font jour à 18 mois des législatives et de la présidentielle. Les positions des uns et des autres sur la conduite de la guerre dans les Kivu et l’Ituri en disent long sur la santé d’une alliance faite de bric et de broc, qui a besoin d’un redressement politique de poids. Et Kamerhe serait alors, selon notre source, l’homme de la situation.
M.M.F.